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les Cents Jours de Murat, suite

Le 8 avril, Florence tombait aux mains des divisions Livron et Pignatelli détachées en Toscane pour couvrir le flanc gauche de l’armée principale, mais ces deux généraux se révélèrent incapables de repousser les troupes du général Nugent qui occupaient Pistoia.  De cette position, le général autrichien pouvait déboucher par la vallée du Reno sur les arrières de Murat. Le roi, bloqué devant le Pô, ses arrières peu sures, attendant en vain un soulèvement général des Italiens se résolut à adopter une stratégie d’attente. Le général Frimont en profita pour reprendre l’initiative dès le 10 avril en envoyant Bianchi et ses 15000 hommes attaquer la brigade Pépé (trois bataillons, quatre vingt lanciers et deux pièces d’artillerie)  à Carpi la repoussant au-delà de Reggio. Pépé dénonce dans ses mémoires un de ses colonels qui annonçant d’une voix forte pour couvrir le bruit de la fusillade que les autrichiens occupaient déjà une partie de la petite ville, ce qui jeta la panique dans les rangs du 2ème léger qui se débanda en quelques instants. Ce recul de Pépé puis de  la division Carascosa annonça l’offensive généralisée des autrichiens. Trois colonnes débouchèrent d’Occhiobello contre la division d’Ambrosio le 12 ce dernier fut repoussé vers Bologne. La pression autrichienne augmenta sur le Panaro et des combats partiels se succédèrent jusqu’au 16 avril. Murat, pressé à l’ouest et au nord dût évacuer Bologne et se replier vers ses frontières par des marches forcées sous la pression de plus en plus vive des troupes légères autrichiennes. Les divisions napolitaines en Toscane avaient abandonné Florence qui était reprise par Nugent le 15 avril. Le plan du général Frimont se mis alors en place, la division Neipperg devait suivre l’armée de Murat au plus près en recherchant le combat afin de ralentir sa marche vers Ancône. La division Bianchi était détachée vers Florence afin d’intercepter la route de retraite de Murat en le tournant par son flanc gauche et en débouchant sur ses arrières dans la région de Macerata. Bianchi fit alors preuve d’une rapidité dans ses mouvements qui était rare dans les armées autrichiennes, parti de Forli le 17 avril, il atteignait Florence le 20, Arrezzo le 23, Pérouse le 25 et Foligno le 26. Il se trouvait alors derrière Murat dont les troupes marchaient en combattant entre Rimini et Ancône. Le 29 avril l’avant garde de Bianchi atteignit Tolentino  une cinquantaine de hussards, que les 40 gendarmes de la garnison napolitaine de Tolentino avaient accueillis à coups de fusil, conquirent la ville; le soir, 120  fantassins hongrois entrèrent eux aussi dans la petite bourgade. Le 1er mai, Bianchi arrive à Tolentino et prend des dispositions de défense ; le général Starhemberg est envoyé avec une partie de l’avant garde occupé  le village de Monte Milone qui domine la route de Macerata. Bianchi se décide alors  à recevoir les napolitains sur la position de Madia en avant de Tolentino.

 

En 1821 fut publié à Bruxelles une relation de la bataille de Tolentino par un officier supérieur autrichien qui voulut rester anonyme, il y propose une description précise du champ de bataille :  «  la Chienti, qui passe tout près de Tolentino, est un torrent qui, comme toutes les rivières de montagne est sujet à s’enfler subitement, mais dans son état ordinaire , offre plusieurs gués praticables, tant à l’infanterie qu’à la cavalerie […] la montagne côtoie de très près la rive droite, tandis que la rive gauche offre aux regards une plaine de 1500 pas, traversée par la chaussée très bien entretenue, qui conduit de Tolentino à Macerata ; distante de cinq lieues ». Le déploiement des autrichiens se fit le 2 mai au matin, l’aile gauche était formée de deux bataillons du régiment de Chasteler vers  le hameau de Cassone, un bataillon de Simbschen et un de Hiller devant Carmaggio , cette aile recevait l’appui d’un escadron de dragons. Le lieutenant général Mohr commandait le centre et l’aile droite avec sur la chaussée un bataillon de Simbschen, un du régiment de l’Archiduc Charles, le 9ème chasseurs, quatre escadrons et 24 canons. Une hauteur près de Vomacio était occupée par un bataillon du régiment de  Modène, un bataillon de Hiller et une escouade de hussards. Le flanc gauche est couvert dans la vallée de la Potenza par un bataillon du régiment de l’Archiduc Charles et quelques hussards, le dernier bataillon de l’Archiduc Charles occupait Tolentino à plus de cinq kilomètres derrière la position de Madia. Des avant postes  de cavalerie étaient dispersés en dans la vallée du Chienti.  Murat de son côté n’était pas resté inactif, le roi de Naples  avait fait ses dispositions avec beaucoup de sagesse et d’intelligence militaire. Favorisé par la forte position de Scapezzano, couverte par la rivière Esino, le général Carascosa avait réussi à retarder la marche en avant  de Neipperg. Murat pouvait donc compter avec raison, soit  se frayer un chemin vers Foligno et au-delà, Terni puis Rome, en remportant une victoire complète sur Bianchi, soit de battre les deux colonnes autrichiennes, chacune séparément, et de se maintenir près d’Ancône. Ce plan de bataille était raisonnable, Bianchi repoussé, Neipperg se serait retrouvé dans une situation difficile ; on peut voir dans ce plan l’ébauche d’une imitation de son beau frère. Mais apprenant à sa grande surprise que les autrichiens l’attendaient de pied ferme, le roi de Naples sentit bien qu’il n’y avait pas de temps à perdre. L’armée napolitaine devait marcher, sur deux colonnes principales sur Monte Milone et Tolentino. La plus grande partie de l’artillerie et de la cavalerie devait s’avancer sur la chaussée de Macerata à Tolentino en passant le pont d’Arancia ; la majorité de l’infanterie dans la direction de Monte Milone par des chemins de montagnes. Les mouvements napolitains furent immédiatement aperçus par les avant postes de cavalerie autrichienne près de Sforzacosta. Nous possédons avec les « Mémoires du général Pépé » une description de l’armée napolitaine le 29 avril : « l’armée était composée de 44 bataillons, et bien qu’affaiblie par les maladies, les tués et les blessés, elle atteignait 20000 hommes d’infanterie, la cavalerie atteignait à peu près 3000 chevaux ». Ce grand vantard s’enorgueillit plus loin dans ses mémoires « bien que je n’étais pas, ainsi que la 1ère division à la bataille de Macerata, je peux néanmoins en  relater les moindres détails puisque j’en ai parlé non seulement avec le roi mais aussi avec des officiers et même des simples soldats ».  Pépé raconte : « le roi se décida à tenir Neipperg sur ses positions et à attaquer Bianchi, vers lequel il s’avança le 2 mai, ayant pour objet une indispensable reconnaissance de son ennemi. Sa majesté avait avec elle, neuf escadrons de la Garde, le 10ème de ligne, et 8 bataillons de la 2ème division, ce qui faisait en tout de 7 à 8000 hommes. Elle donna des ordres pour que les six autres bataillons de la Garde, ainsi que les quatre derniers bataillons de la 2ème division avancent en soutien de son mouvement, que le général Lecchi avec 7 bataillons et 4 escadrons se tiennent près à marcher sur Macerata, et que cinq autres bataillons commandés par le général Carafa occupent Fillotrano ; et finalement que la 1ère division quittent Ancone et se retrouve au matin du 3 mai à Osimo. De cette manière Bianchi et Neipperg étaient parfaitement séparés dès le 2 mai, et le roi se décida à attaquer l’un dès qu’il aurait mis en déroute l’autre ».  La bataille  de Tolentino commença par une multitude de combats de poste sur la route de Macerata à Tolentino ; affaires d’avant-gardes qui faillirent avoir des répercussions bien au-delà de leur importance réelle. En effet, Les colonnes napolitaines se mettent en marche à partir de 11h. Un détachement de chasseurs autrichiens en avant poste, se replia en combattant mais pas avec assez de célérité puisqu’il fut chargé par des lanciers napolitains qui le firent prisonnier. Le Lieutenant Général  Bianchi qui s’était rendu en personne aux avants postes faillit être pris dans cette escarmouche. Il ne dût son salut qu’à la charge d’un escadron du régiment de Hussards du prince régent qui libéra les prisonniers en dispersant des napolitains trop confiants.  Cependant la colonne principale napolitaine s’avançait par la grande route, couverte par six escadrons formés en bataille. Afin de permettre à la ligne autrichienne de s’établir fermement sur la position de Madia, trois escadrons des hussards du Prince Régent chargent la cavalerie napolitaine qui va s’enfuir après un bref combat jetant le désordre dans la tête de colonne de l’infanterie sur la route de Macerata. Vers 12h, précédés de nuées de tirailleurs, les napolitains débouchent devant la position autrichienne et se forment en bataille, la fusillade devint générale. Les batteries commencèrent leur feu tant sur la chaussée que dans la plaine. Les troupes légères autrichiennes se replièrent vers Monte Milone, pressées par les napolitains qui les suivaient de près. Le Lieutenant Général  Mohr, retira la plus grande partie de ses troupes sur la partie ouest du vallon de Cassone et plaça son artillerie sur les pentes douces, qui commandaient et balayaient avec avantage toute la plaine et la route. Le témoin anonyme autrichien rapporte : « les napolitains s’étaient battus ce jour là avec beaucoup de valeur. Leurs nombreux tirailleurs avaient montré de l’intrépidité et une grande adresse, on avait vu un grand nombre de leurs officiers, qui devançant la tête de leurs troupes, les excitaient, par des paroles et par des gestes, au courage et à la fermeté ». Les combats du 2 mai restent infructueux pour les napolitains, ils avancent, s’emparent de villages (Monte Milone, Védova et Canta Gallo)  et de crêtes, mais sans jamais atteindre la ligne principale de résistance des autrichiens. Les combats ont fait une perte d’importance, le général d’Ambrosio est blessé et replacé par l’incapable d’Aquino qui abandonne le terrain sans combattre sur une position de repli, en laissant les autrichiens reprendre les villages gagnés sur l’aile droite.  A la nuit tombée Bianchi reçoit une lettre de Neipperg datée  du 1er mai : « le général Carascosa se trouve dans la forte position de Scapezzano, mais j’espère néanmoins que la colonne du major Socher, que j’ai envoyé par les montagnes sur le flanc gauche de l’ennemi pour tourner la position le forcera à la retraite ; le feu des vaisseaux ennemis met un obstacle à pouvoir avancer          avec le corps d’armée sur la chaussée qui longe la mer ». Neipperg fait savoir qu’il ne pourrait arriver à Jesi que le 3 mai et qu’il n’y avait pas à compter sur son assistance. Mais Bianchi, décide de reprendre le combat dès le lendemain, le laudateur inconnu insiste : «  les calculs ordinaires et les conseils de la prudence prescrivaient de se tirer de ce pas dangereux par une retraite nocturne ; mais le général Bianchi embrassant, avec ce tact et ce coup d’œil qui caractérisent le génie militaire, l’importance du moment, le vrai de la situation et celle de l’ennemi ; se fiant à lui-même et à la valeur bien connue de ses troupes, résolut d’accepter, le lendemain, la bataille ».

à suivre ...

 

 Gilles Boué 

auteur de "Napoléon en Italie, 1805 - 1815" et "l'armée de 1814"

membre du forum de la S.E.H.R.I.

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