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la crise fédéraliste en Crau

Le conseil municipal de Salon du 17 janvier 1793 décide d'engager des poursuites contre les agitateurs responsables des désordres. La délibération est suivie d'un certain nombre d'arrestations, des actes plus graves encore sont alors commis. Pendant la nuit du 21 au 22 janvier 1793, les prisons sont ouvertes, le geôlier et sa famille maltraités ; des volontaires du bataillon de l'Aveyron pris à parti.

Désormais, la municipalité, qui siège en permanence, ne maîtrise plus la situation. Elle se sent menacée, d'autant plus que la Garde Nationale est désorganisée. La venue de nouveaux commissaires départementaux est sollicitée. Malgré l'arrivée des commissaires, l'agitation subsiste.

Jusquà quel point le centralisme jacobin avec limposition du français comme langue unique ne joue t il pas un rôle dans lengagement politique en faveur des fédéralistes dune partie des artisans et des agricutleurs.

Le 16 février 1793, un mouvement, qualifié d'insurrection secoue de nouveau Salon. La municipalité est prise de force et les municipaux attaqués. Le 21, trois cadavres, dont celui du prêtre Rolland, sont détachés d'un arbre.

Mais cette fois-ci afin d'en juguler les meneurs, le 23, une taxe révolutionnaire est levée ; pour se faire trente mandats d'arrêt sont délivrés et les gardés à vue relâchés rapidement contre un cautionnement pécunnier dans les mains de la mairie. La municipalité obtient donc par ce truchement 130 000 livres. Toutefois une part importante de ces cautionnements, appelés ailleurs taxe révolutionnaire, se fait sans mandat ou quittance, ni listes. De ce fait, en prairial an II, l'agent national du district ne peut valider les comptes de la municipalité, ses recettes ne pouvant pas être justifiés. A ceci s'ajoute, après vérification de l'agent national, le 29 prairial an II, l'impossibilité de la municipalité de justifier ses dépenses. Le 1er messidor suivant, la municipalité de Salon pour se justifier de l'absence de ces documents, rejette al faute sur les fédéralistes, qu'elle taxe de contre-révolutionnaire et aussi, un peu, sur la présence des troupes marchant sur Marseille.

En mars 1793, avec les menaces d’invasion des Piémontais sur la Provence, les conflits politiques en Provence se durcissent au printemps. Les représentants en mission envoyés pour contrôler la levée des 300 000 hommes, défendent les exigences du club mais, face aux agissements des sectionnaires, ils doivent se réfugier à Montélimar dès avril 1793. Le 25 avril, une section de Marseille critique l’action de Boisset, qui se fera connaître des mois plus tard dans l’Ain, pour ses positions anti-terroriste et thermidoriennes. Elle lui rappelle, ainsi qu’à Bayle, que « le peuple…est en droit… de vous destituer ». Ces propos tenus pour fédéralistes, lorsqu’ils seront tenus au printemps 1794 dans l’Ain seront alors taxés d’hébertistes.

De son côté, le directoire du département des Bouches-du-Rhône, également montagnard, s'installe à Salon-de-Provence ils forment un Comité Central, comme cela sera le cas à Bourg-en-Bresse en juin. Depuis quelques jours, se réunissaient à Salon tous les Jacobins du département. Trois membres du directoire, ayant à leur tête le président Paris, avaient formé, par opposition au Comité général des trente-deux sections, un Comité central de résistance. Dès le 12 mai, 40 sociétés populaires envoyent des délégués et la puissance de cette assemblée mettait en péril l'œuvre des trente-deux sections de Marseille.

Face à ces actions, une partie des administrateurs du département des Bouches du Rhône jugeant ne plus pouvoir agir en conscience, décident de ne pas rentrer à Marseille et sinstallent à Salon. Là, les sans-culottes, soutenu par un bataillon de lAveyron et les gardes nationaux de Lambesc, Eguille et Saint-Chamas, font régner une atmosphère inspirée par la société populaire de Marseille : violences verbales à lencontre de ceux déclarés bourgeois et la chasse aux curés, le tout face à une population patriote mais médusée.

Les sans-culottes marseillais impriment aux salonais un langage mais aussi une idéologie ultra-démocrate : «  Nous y sommes, tombons sur ces coquins de Messieurs, sur ces coquins de noirs, il nen faut plus, il faut quils y pètent, et en tenant ces propos, il portait la main à la garde de son épée » dit Jean Baptiste Bon. A des salonais venus apporter une pétition, Paris, président du département des Bouches-du-Rhône, répond : « quils étaient égarés par leur bourgeois, quils navaient quà retourner dans leurs foyers, que jusqualors il ny aurait point de justice pour eux quils étaient des factieux, que leur pays était peuplé daristocrates et surtout infecté de laristocratie bourgeoise, que sils étaient de bons patriotes et quils voulussent pas paix, ils devaient pendre en arrivant à Salon trois à quatre de leurs bourgeois et leur curé ». Salon fait alors office de laboratoire des idées sans-culottes en dessous de la Durance.

En opposition à lactivisme des sections parisiennes et à la main mise des jacobins, soutenus par les sans-culottes et le maillage des sociétés populaires, sur la Convention par des procédés tenant du plus du coup détat que de lexpression démocratique, la Normandie, le Midi, la Gironde et le Lyonnais sinsurgent conte la Convention Montagnarde.

A Marseille, comme à Lyon, les Jacobins favorables aux Montagnards tiennent la municipalité et le club de la rue Thubaneau. Les modérés, anciens notables et négociants aisés, exercent eux leur influence dans les assemblées de sections. Pour la contrebalancer, les Montagnards du club défendent dès la fin de 1792 la création d'une armée révolutionnaire de 6 000 hommes et la constitution d'un Comité central des instances patriotes. En réaction, les sections réclament un tribunal révolutionnaire.

A Lyon, les girondins sont bien implantés dans les sections, face aux jacobins tenant la municipalité et qui réclament aussi des arrestations et létablissement dun tribunal révolutionnaire. Les sectionnaires fédéralistes lyonnais prennent le contrôle des comités de surveillance. Le 18 mai, un représentant des sectionnaires fédéralistes de Marseille arrive à Lyon. Il exhibe une lettre du comité central salonais écrite à la société populaire de Lambesc, afin de jeter l'opprobre sur les jacobins provençaux et tenter lunion avec les lyonnais glissant doucement vers le fédéralisme.

Dans cette lettre, les jacobins du comité de Salon prennent des positions radicales contre leurs adversaires  : « Ils sont des traîtres, ceux qui voudraient vous empêcher d'envoyer deux de vos membres au Comité central établi à Salon. Ils sont des bourreaux du peuple, ceux qui osent avancer {qu'il est faux) que les sections de dirigées maintenant par les marchands, les capitalistes et toutes les personnes riches de cette ville, ont juré de tout ftenter pour anéantir les sociétés populaires. Bientôt le Comité central fera imprimer des pièces qui ne prouvent que Urep cet horrible projet formé contre ceux qui ont eu le courage de dire, conformément à la loi, que c'étoit aux riches à pourvoir aux besoins des femmes et des enfants de ceux qui vont verser leur sang pour la patrie. Le fait est encore que, s'il était possible que les 4e Marseille l'emportassent sur les patriotes de cette ville, ce qui ne. sera pas, les patriotes de tout le département seraient successivement conduits à l'échafaud, et qu'enfin Marseille se séparerait de la France et dicterait des lois à tout le reste du département, comme autrefois les les diet oient à leurs vassaux. C'est pour prévenir si grands maux, frètes et amis, qu'il s'est établi un comité central à Salon, composé des députes et de toutes les sociétés qui sont et veulent rester affiliées avec celle de Atatseille ».

 

Alors que les fédéralistes marseillais essayent de gagner à leur cause le bataillon de Martigues commandé par le salonais Moisson positionné à Avignon, les sections marseillaises fédéralistes, craignent que le bataillon ne prenne fait et cause pour le Comité central jacobin de Salon qui fait paraître, le 10 mai 1793, un programme de revendications populaires. Le directoire fédéraliste du département se résout à sévir. Le 20 mai 1793, le Comité Central de Salon est dissout et le 29 mai, après l'entrée à Salon de 600 gendarmes, les officiers municipaux jacobins sont arrêtés ; les fédéralistes marseillais exercent des poursuites contre trois membres du directoire, un juge au tribunal du district, le président même de ce tribunal sont incarcérés. En dehors de ces magistrats, quinze à vingt personnalités politiques des plus importantes sont également mises sous les verrous. A ceux-ci sajoutent la municipalité toute entière de Salon. La terreur fédéraliste est à l'ordre du jour. Un procès est organisé par le tribunal criminel du département, des auditions à charges tenues afin de charger les jacobins, mettre en évidence leurs excès, leurs violences et leur envie de violence. On surenchéri alors dans la description de lhorreur, peut être plus fantasmée que réelle : on parle de « loppression la plus tyrannique et la plus cruelle » e but tant dopposer à des bons citoyens qui ont fuit « les poignards des assassins », ces dits assassins qui nont alors eu de cesse que de commettre des meurtres les plus affreux tout en manipulant la justice.

A Lyon, les sections, ayant pris le contrôle des comités de surveillance, entrent en opposition armée contre les représentants du peuple et la municipalité jacobine le 29 mai. Le 31 mai, des commissaires des sections de Marseille entrent à Salon et proclament, de concert avec les sectionnaires salonnais : « A présent que nous avons terrassé nos tyrans, nous jurons de maintenir les principes que les Marseillais professent».

 

            Après avoir critiqué les jacobins, les fédéralistes appliquent les mesures quils leur avaient reprochés : ils cherchent à influencer voir den imposer aux administrations, notamment au Département des Bouches du Rhône, en voulant nommer les membres des comités révolutionnaires, qui sont élus ; subordonnant au souhait dune minorité agissante le vœu de lexpression populaire. Plus encore, les sections sinscrivent en opposition des corps administratifs, en déclarant les commissaires nommés par les administrations, qui accepteraient ce poste, comme perturbateur et traite.

Le 17 juin, le tribunal du district de Salon se positionne avec les sections marseillaises, quil encense, contre la Convention et pousse une partie de la ville dans le fédéralisme, la révolte ouverte contre la Convention. Afin de justifier leur position, les fédéralistes salonais reprennent pour leur compte le vocabulaire dénigrant la Convention Montagnarde, en vogue à Marseille ou à Lyon : ainsi « une faction criminelle domine insolement la Conventionquelle tient sous son poignard la majorité de lAssemblée quine délibère quau milieu des menaces & des attentas». Dès lors les fédéralistes semparent dun vocabulaire stigmatisant et violent : les jacobins deviennent la « horde sacrilège danarchistes et de factieux » qui « professeles maximes atroces du crime du maratisme »[1]. Ces vocables seront reprises par les thermidoriens, en lan III, parmi les quels on retrouve beaucoup de fédéralistes et de bourgeois de 1790.

Le lendemain, cest au cours de la municipalité provisoire et des sections réunies en comité générale de proclamer « ne plus reconnaître les décrets de la Conventiondepuis le 31 mai ». Les sections et la municipalité épurée à sa botte se justifient, du moins tentent de donner une légalité à leur coup détat : « la représentation nationale a été outragée et violéeles décretsne sont plus le résultat de la volonté générale » et embraye sur une description extrême de lopposant politique : « une faction dont on connaît les principes désoraganisateurs »[2]. encore, les sections et la municipalité se conforment aux vœux des sections marseillaises.

Le 20 juin, les fédéralistes salonais se plient à lexercice fédéraliste qui consiste à réunir les corps constitués et des commissaires des communes de son arrondissement pour siéger de concert et stigmatiser Marat et le « ramas de frénétiques & de brigands arméshorde desclaves et dassassins » pour ensuite davoir expulser la haine de lopposant politique, bien affirmer de concert de ne plus reconnaître les décrets de lAssemblée Nationale et pour ne pas tergiverser et se donner limpression de saffirmer, prêtent même serment (ce qui ne se voient pas ailleurs). A ces mesures anti constitutionnelles sajoute la volonté de former une armée départementale à Avignon pour marcher, dans leur fantasme, contre Paris.

Ces mesures qui leur semblent que politiques, ouvrent de fait un abîme de conséquences désastreuses.

 

Jérôme Croyet
président - fondateur de la SEHRI


[1]              Extrait du greffe du tribunal du district de Salon, 17 juin 1793, imprimerie David , Aix. A.D. 13 série L.

[2]              Extrait des registres des délibérations de l’administration du district de Salon. 18 juin 1793. A.D. 13 série L.

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