1794 : sans-culottes et commissaires civils dans l'Ain

3.29 L'union sacrée

 

Les idées des commissaires civils répondent aux attentes des Sans-Culottes : "Si j'avais commandé le siège de Lyon, j'aurais fait prendre toute la race des marchands, tous les accapareurs d'argent, tous les trafiqueurs d'assignats, tous les prêtres, tous les riches, tous les procureurs et les gens de loi et je les aurais fait foutre dans le Rhône par les sans-culottes"1 dit Dorfeuille dans le père Duchesne de Lyon. Sous l’influence de ce dernier et de Vauquoy, les Sans-Culottes vont pencher vers une politique hébertiste, en prenant “ grand soin de propager les maximes impures d'Hébert. Dorfeuille surtout s'est montré le plus chaud apologiste de ce conspirateur"2. Dorfeuille, plus que tout autre, influe sur la politique départementale, d'une part à cause de son expérience théâtrale et d'autre part avec ses idées très parisiennes, revigorées au contact de la répression lyonnaise : "Antoine Dorfeuille leur offre autant de clés pour la nouvelle société, autant de catégories pour un manichéisme militant"3.

Les commissaires civils influencent les sans-culottes, d’autant plus que l'Ain est entouré, en l'an II, de commissions d'exception à Lyon et à Mâcon. Proches des représentants de Commune-Affranchie, ils se font l'écho de la politique de répression dont ils ont été une pierre angulaire : "Dorfeuille faisait journellement l'éloge des opérations du Tribunal Révolutionnaire de Commune-Affranchie, dont il avait été membre et disait qu'il faudrait qu'on en forme un dans ce département, durant la guerre pour punir les traîtres, les aristocrates et les fédéralistes"4. Les commissaires civils cherchent à établir, en pluviôse an II, une politique répressive similaire à celle que Lyon a connue, en encourageant la délation : "Il y a environ quatre ou cinq mois que les citoyens Dorfeuille et Millet vinrent chez la déclarante pour lui rapporter des livres de talents appartenant au citoyen Lalande et que la conversation rentre sur la société populaire et sur la tribune des femmes. Qu'ils ont dit tous deux qu'elles n'étaient pas encore au pas, qu'elles devaient dénoncer les propos aristocrates qu'elles entendaient. Que la déclarante répondit qu'elle n'avait jamais entendu des propos aristocrates, que les femmes qui venaient à cette société étaient toutes bonnes patriotes, ainsi que toutes celles de la ville . . . .Dorfeuille ajouta que l'on l'avait dénoncé. Que Millet et Dorfeuille dirent affirmativement à la déclarante, que dans deux mois on verrait cette commune déclarée en insurrection comme Ville-Affranchie et traitée comme elle. Que la guillotine serait permanente et que les épouses verraient exécuter leurs maris et qu'elles les suivraient de près pour subir le même supplice. . . .(Dorfeuille et Millet ajoutent) que ce sort nous attendait, si nous ne nous réunissions pas tous aux Sans-Culottes"5.

Mais l'influence des commissaires civils coupe la sans-culotterie urbaine de son soutien rural. Les commissaires civils d'Albitte perçoivent leur séjour dans l'Ain comme une promenade répressive plus qu'une mission administrative : ils vivent en terrain conquis ; le 25 Pluviôse, le payeur général du département de l'Ain reçoit une facture de 666 livres et 16 sols pour une fourniture de draps faite par Aillaud Lombard à Dorfeuille, Vauquoy et Millet. Il est à noter par ailleurs que les déplacements des commissaires civils d'Albitte se font grâce à l'aide précieuse de la municipalité de Bourg qui n'hésite pas à réquisitionner des cabriolets appartenant à des détenus6 notamment une voiture verte provenant des biens de Marron-Belvey7.

La promenade révolutionnaire des commissaires civils s'arrête le 19 germinal an II avec l’arrestation de Vauquoy et son envoi devant le Tribunal Révolutionnaire de Paris. Dès lors, seul Dorfeuille reste attaché à ses frères bressans puisque Méaulle le propose pour la place d’administrateur le 15 floréal an II. Il est aussi le seul à partir à Paris prendre la défense des officiers municipaux de Bourg et de Belley, alors que Millet prône, le 24 germinal an II, la réconciliation entre modérés et sans-culottes à la séance de la société populaire de Bourg.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

mis en ligne par l’association SEHRI

 

1Cité par TRENARD (Louis) : la Révolution française dans la région Rhône-Alpes, éditions Perrin, Paris 1992, page 433.

2Tableau analytique. . ., Collection particulière.

3 BOURDIN (Philippe) : Des lieux, des mots, les révolutionnaires. Publication de l'Institut d'Etudes du Massif Central, collection Prestige, faculté des lettres et sciences humaines de l'Université Blaise Pascal, Clermont II, Clermont-Ferrand, 1995, 509 pages.

4Déclaration de Convers, A.D. Ain 15L 131.

5Témoignage de Marguerite Aimard, cahier de témoignage A. A.D. Ain 15L 132.

6"Le déclarant ajoute que le maire Alban, lui donnait une réquisition pour donner un cabriolet pour Dorfeuille et Vauquoy, commissaires du représentant Albitte. Ils lui ont cassé le cabriolet sans l'avoir indemnisé en aucune manière." Témoignage du citoyen Mathieu Royer. Extrait des dénonciation du comité révolutionnaire du district de Bourg, 8 nivôse an III. A.D. Ain ancien L219.

 

7 Note sur les réquisitions faites par Albitte chez des particuliers, an III. A.D. Ain série 1L 253.

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