1793 : les subsitances un enjeu dans l'Ain

3.30 LES SUBSISTANCES : UNE ARME POLITIQUE

 

            Avec des années post-révolutionnaires synonymes de disette dans le Bugey et une chute des prix du vin, la Révolution dans l'Ain reste sous le signe latent du manque de nourriture durant toute la période révolutionnaire. A la proximité lyonnaise qui engouffre une grande quantité des productions provenant de Dombes et du Bugey[1], s'ajoute le mauvais temps des années 1784-1791 [2] qui n'arrange pas les affaires des affamés de l'Ain et rapidement la dimension du ventre, à laquelle s'ajoute celle du maximum[3], joue un rôle indirect mais réel dans les prises de positions politiques de l'Ain révolutionnaire notamment envers Lyon, où le prétexte frumentaire devient une arme politique.

 

            En l'an II, même si l’engouement patriotique bat son plein[4], le manque de main d'œuvre, dû au départ des jeunes gens de 18 à 25 ans à la frontière[5], et les troubles politiques intérieurs, les marchés des grandes villes de l’Ain sont mal approvisionnés et la population ne mange pas à sa faim[6]. Si, dans un premier temps la faute est rejetée sur des "accapareurs"[7], les sans-culottes de Bourg, bien inspirés en politique, ne manquent pas de se pencher sur le problème des subsistances et envoient, le 7 brumaire an II, Martine auprès des représentants du peuple à Lyon à ce sujet, donnant à la cité rhodanienne une hégémonie bienvenue sur le sujet. Ainsi, de Lyon, les représentants du peuple envoient des commissaires nationaux dans le district de Gex et Vauquoy à Montluel afin d’assurer le ravitaillement de Lyon. Ce sont ces hommes qui informent le Comité de Salut Public de l’action modérée de Gouly. Dès lors la question des subsistances devient une arme politique dans l'arsenal des sans-culottes. Si ils l'utilisent pour dénoncer tous les députés de l’Ain sauf Jagot, car “ ils demeurent dans une inaction criminelle ”[8], allant même jusqu'à prétendre que si le département est “ accablé de réquisitions pour les subsistances ce n’était qu’à eux auxquels nous devions nous en prendre ”[9], l'argument se retourne contre eux lorsque le peuple les assimilent aux pressions économiques : le 28 pluviôse an II, le citoyen Definod, de St Jean de Gonville, dénonce au comité de surveillance communal l'aubergiste Jean Midot pour ne pas avoir voulu vendre son vin au maximum et sa femme pour avoir dit : "qu'elle se foutait de la municipalité et du comité de surveillance, qu'elle leur chiait entre le nez et le menton"[10].

Si l'argument des subsistances devient un moyen de s'imposer au niveau local, il devient aussi pour l'Ain et surtout le Bugey le moyen de se défaire de la charge lyonnaise.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

mis en ligne par l’association SEHRI

 



[1] En 1806, le département de l'Ain exporte 2 483 bœufs gras, 800 porcs gras, 25 000 porcelets et 1 000 poulains en dehors du département.

[2] Dès septembre 1789, Thomas Riboud et le Pierre Antoine Buget sont envoyés en mission dans le Revermont pour apaiser des troubles frumentaires. En 1790, une épizootie ravage le bétail à corne de Buellas à Montcet pour se terminer vers Vendeins, Montracol, Corgenon, St André sur Vieux Jonc et Neuville les Dames.

[3] La loi du 29 septembre 1793, fixe le prix maximum pour la viande fraîche, la viande salée, le lard, l'huile douce, le bétail, le poisson salé, le vin, l'eau de vie, le vinaigre, le cidre, la bière, le bois à brûler, le charbon de bois, le charbon de terre, la chandelle, l'huile à brûler, le sel, la soude, le sucre, le miel, le papier blanc, les cuirs, les fers, la fonte, le plomb, l'acier, le cuivre, le chanvre, le lin, les laines, les étoffes, les toiles, les matières premières qui servent aux fabriques, les sabots, les souleirs, les colsat et rabette, le savon, la potasse et le tabac.

[4] Le 3 novembre 1793, la société des sans-culottes de Bagé rebaptise Bâgé-le-Châtel, Bâgé-la-Montagne et ordonne le changement de noms des rues.

[5] "Il est bien malheureux pour nous que nous ayons toujours des ennemis à combattre et qui veulent s'opposer à la tranquillité que la République. . .. Vous devez être instruit que notre commune est une des plus petite en population de votre district. Il nous y manque des bras pour la culture. . .malgré ces observations, si vous en exigés, nous vous prions instamment de les faire requérir". Lettre des officiers municipaux de Montfalcon du 21 Août 1793, A.D. Ain série L non classée.

[6] “ citoyen représentant, les officiers municipaux de la commune de Belley Régénéré t’observent que le marché de leur commune est mal approvisionné...la plus part des citoyens murmurent , et si les choses de changent pas, il est à craindre que la tranquillité publique ne soit compromise ”. Lettre des officiers municipaux de Belley à Gouly, 18 nivôse an II. Collection particulière.

[7] Le 18 frimaire an II, la municipalité de St Julien sur Reyssouze donne une définition de l'accapareur : "déclarons accapareur les pourvoyeurs qui auront harrés ou achetés avant neuf heures". A.C. St Julien sur Reyssouze, 7e registre de délibérations.

[8] Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Bourg, A.D. Ain 13L 9.

[9] Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Bourg, A.D. Ain 13L 9.

[10] A.D. Ain 14L 59.

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