septembre 1793 : l'affaire des modérés belleysans

Malgré des airs de victoire politique[1], la crainte d’une sortie des fédéralistes Lyonnais gagne tout le département. Si au mois d’août, seule la ville de Belley craignait un coup de main lyonnais, le 7 octobre, une députation de la municipalité et de la société populaire de Nantua se rend auprès du district pour lui faire part de leurs inquiétudes quant à la sortie des contre-révolutionnaires de Lyon pour pousser une offensive vers Nantua afin de se rendre en Suisse. Le 10 octobre, afin d'apaiser les esprits, les administrateurs du département de l'Ain prennent un arrêté relatif aux mesures de mobilisation à prendre en cas d'invasion des rebelles Lyonnais et le 11, la municipalité de Pont-de-Veyle déplace le corps de garde de la Garde Nationale du côté de la ville le plus favorable pour surveiller les rebelles Lyonnais.

 

A Belley, la main mise des sans-culottes sur l'administration ne s'effectue pas aussi facilement qu’à Bourg. Le fait qu’aucun événement politique majeur n’ait eu lieu à Belley entre les modérés, conduit par Brillat-Savarin, et ceux qui se nomment sans-culottes, ne permet pas à ces derniers d’agir en toute légitimité comme à Bourg, et lors des premières arrestations de modérés en septembre 1793, une résistance active de ces derniers se fait sentir [2]. Toutefois la tension est très vive entre les deux sociétés populaires. A la fin d’un repas civique donné par la société du Temple de Belley, le 3 septembre, le canon est tiré deux fois. Alertés, des citoyens se rendent auprès de Brillat-Savarin pour savoir s’il faut prendre les armes. Ce dernier les renvoie mais l’un d’eux, membre de la société des sans-culottes est pris à parti par le procureur de la commune et deux autres citoyens, qui l’insultent et le frappent. Le 5 septembre, les membres de la société populaire du Temple de Belley, conduits par Brillat-Savarin, lancent les premières attaques politiques à l’égard de la société des sans-culottes : “ le mot sans-culotte est en horreur. . .on le transforme en brigand et l’on ridiculise affreusement ceux qui se décorent de ce nom ”[3]. C'est dans ces conditions que la crise fédéraliste belleysanne débute. Au début du mois d’octobre 1793, les patriotes belleysans Carrier et Bonnet, “ victimes de l’aristocratie ”[4], fuient Belley et se rendent à Bourg, auprès des représentants du peuple, “ chercher justice dans une autre cité où ils trouveront des citoyens qui aiment la république ” [5]. De Bourg, ils vont Dôle auprès de Prost, à qui ils donnent, comme les bressan quelques temps plus tôt, une liste de fonctionnaires belleysans à destituer. Ce que fait Prost, le 7 octobre. La prise de Lyon, la correspondance active avec Bourg et l'arrêté du représentant Prost destituant certains fonctionnaires belleysans modérés, marquent la victoire politique des sans-culottes. Celle-ci est incarnée, le 10 brumaire an II, par une fête civique qui a lieu sur la place de la Liberté, autour d’une même table où se réunissent tous les citoyens. Cette fête qui se veut aussi un acte de fraternité entre les deux factions de la ville ne donne que l’apparence de l’union. Quelques jours plus tard, le 16 brumaire, suite à une intervention de quelques belleysans à la Convention et auprès de Ferrand le 9 novembre 1793, celle-ci décrète qu'il est sursis à l'exécution de l'arrêté épuratoire du représentant Prost. Connaissant la situation belleysanne et fort de leur réussite politique, le Comité Central de Surveillance, le représentant du peuple Reverchon et la municipalité de Bourg commissionnent, le 22 brumaire, Blanc-Désisles et Alban à Belley afin de juger qui sont les vrais patriotes : "il serait dangereux que dans ce moment l'aristocratie reprît son empire et que les détenus dans les maisons d'arrêt ne reprissent la place des sans-culottes "[6] notent les officiers municipaux de Bourg. Arrivés le 24 brumaire à Belley où s'affrontent la municipalité modéré et le comité de surveillance, les deux bressans utilisent la peur de la Convention pour se faire obéir. Ils dénoncent à la barre de la société des sans-culottes de Belley les menées de Siriat, curé d’Arbignieu, qu’Alban fustige publiquement. Contradictoirement, alors que les deux bressans demandent au district de réintégrer dans leurs fonctions les destitués, Alban prend publiquement la défense de Bonnet qui est à l'origine de l'arrêté de Prost. Mais Blanc-Désisles se ravise rapidement et le 25 brumaire, après enquête sur les fonctionnaires à réintégrer à Belley, il demande au conventionnel Jagot l’annulation du décret de réintégration de la Convention car les fonctionnaires destitués par Prost sont fédéralistes.

La lutte menée par les sans-culottes de la société des Ursulles contre les modérés de la société du Temple, “a électrisé tous les patriotes ”[7] du Bugey. La distorsion des événements mise en place par les Montagnards[8] fonctionne a plein dans les départements : ainsi, les arrêtés pris dans les sociétés populaires pour s’insurger de l’arrestation des députés ou pour dénoncer la politique des représentants en mission deviennent en l’an II, des « arrêtés liberticides et fédéralistes » [9]. Tout ceux qui ont apposés leur signature à ces documents voient dès lors leur action administrative invalidée et invalidant les documents portant leur signature : certificat de résidence, passeports, ect…

Les sans-culottes belleysans se rapprochent de ceux de Ceyzérieu, St Rambert et Hauteville, dont ils chapotent la création de la société. Toutefois, à Belley, la tension est à son comble et les esprits embrouillés. Dans la fièvre politique, un membre de la société des sans-culottes de Belley jure, le 26 brumaire, de venger la mort de Chalier. Face au déterminisme des sans-culottes, la municipalité de Belley, commençant à perdre pied, commissionne, le 29 brumaire, deux des ses membres pour se rendre à la Convention, afin de défendre la municipalité des attaques de modérantisme lancées contre elle. Alors qu’ils s’apprêtent à partir, les passeports des deux commissaires sont confisqués par le comité de surveillance qui en informe la société populaire. Alertés, Brillat-Savarin et les officiers municipaux se rendent à la séance de la société des sans-culottes, en écharpe, pour se disculper. Malgré leurs discours, les sociétaires les jugent perfides, Brillat-Savarin est même l’objet d’attaques et les sociétaires, après un vote, décrètent que la municipalité a perdu la confiance du peuple. Malgré ce désaveu qui sonne le glas politique des modérés belleysans, certains sans-culottes, comme leurs homologues bressans quelques mois auparavant, reçoivent des menaces de mort. Bonnet part secrètement pour Paris le 5 frimaire. Sa femme n’en fait part à la société des sans-culottes que le lendemain. A leur tour, les modérés belleysans veulent faire entendre leur voix à Paris et c’est avec surprise que le 13 frimaire, les sociétaires de Belley apprennent que Brillat-Savarin et les deux officiers municipaux désavoués, Charcot et Roux, ont quitté leur poste.

 

Jérôme Croyet

Docteur en histoire

d'après "Sous le bonnet rouge" thèse de doctorat obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

mis en ligne par l’association SEHRI

 



[1] Le 3 novembre 1793, une chanson est chantée à la société populaire de Bâgé en l’honneur de Marat.

[2] "Lorsqu'un homme armé de pistolets, le sabre à la main entre dans la maison d'un homme honnête, qu'il est accompagné de 10 coupes jarrets tout ce qu'il y a de plus scélérats dans une commune, qu'il saute au collet de cet homme, qui un instant surpris de cette attaque soudaine veut en connaître le motif, et que pour toute réponse on lui appuie un pistolet à deux coups sur la poitrine, que le lache exécuteur d'ordres arbitraires surpris par lui est repoussé par un homme sans arme, que la fraueyr que lui cause cette résistance lui fait appeler à son aide ses soupes jarrets aussi laches que lui et armés de fusils à deux coups ". Lettre Genin des Prost, n.d. A.D. Ain 79J2.

[3] Registre de délibérations de la société populaire de Belley, A.C. Belley.

[4] Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Belley. A.C.Belley.

[5] Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Belley. A.C.Belley.

[6] Registre de délibérations de la municipalité de Bourg. A. C. Bourg série D.

[7] Lettre des sans-culottes d’Hauteville, 24 brumaire an II. Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Belley. A.C.Belley.

[8] « les Montagnards infligent aux événements une torsion chronologique, en inversant la cause et l’effet. Ils arguent des révoltes départementales pour justifier l’arrestation des Girondins et font du 2 juin une mesure de salut public conséquente à l’intention fédéraliste des Girondins ». DE MATHAN (Anne) : « Le fédéralisme Girondin. Histoire d’un mythe national » in Annales historiques de la Révolution française, no. 3, 2018, pp. 195-206.

[9] Dénonciation de Anthelme Sevoz, de Belley, n.d. Collection de l'auteur. Fédéralisme B4/1.

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