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décembre 1791 : nominations et émigration au 67e de ligne

En complément de Paroles de Grognards, aux éditions Gaussen, voici une nouvelle lettre inédite. Un capitaine du 1er bataillon du régiment du Languedoc, devenu 67e régiment d’infanterie de ligne, écrit à son frère

"Au Puÿ, le 5 décembre 1791

Répondu le 6

Je n’aurais pas tant différé à vous répondre, cher frère, si je n’avais voulu attendre les résultats des nominations, desquelles je ne suis pas guère avancé. Messieurs de Regnaud et de la Ferrière nous ont quitté, ce pourrait à ce qu’on dit avoir passé à Lyon, le second pour chez luy ayant permission d’aller rétablir sa santé jusqu’au 1er février prochain qu’il devra joindre son régiment, il m’a écrit une lettre honnête avant son départ, le 26 dernier, pour me l’annoncer. Nous n’avons pas encore de colonel, mr Ferrand de Rose de Montauban est lieutenant-colonel et on dit l’Aleyrac [1], le second. C’est un soldat décoré de votre compagnie à qui Aligni a donné permission pour deux mois qui me l’a dit.

Les emplois vacants sont nommés en partie, on dit Gérard, Here, Basttre, Isabée, le chevalier la Sale et un parent de Dequillou. J’ai écrit deux fois à mr de Regnaut qui était chargé de la nomination, mais il ne m’a pas fait l’honneur de me répondre au sujet du beau-frère de Tremoulet, qui désire le faire entrer au service et qui le mérite à tous égard ! Bien de nos messieurs croyent que vous viendrez colonel du régiment. On avait d’abord cru que vous le seriez de quelques régiment et je l’avais cru aussi d’après ce que m’avait écrit mr de la Ferrière, que puisqu’il l’était, vous deviez l’être aussi étant son ancien, mais je ne vois pas que cela se réalise ; il pourra le faire, que si vous ne l’êtes pas dans ce moment-ci, vous ne tarderez pas. Je vous ai écrit vers le commencement du mois dernier, vous n’aviez pas reçu ma lettre lorsque vous m’avez écrit le 14 que j’ai reçu le 21. Vous aurez reçu votre bordereau avec ma lettre. Nous sommes assez tranquilles mais nous faisons beaucoup de détachements. Mon commandement, la finance et le recrutement me donnent tant de peine que je n’ai pas un moment à moi, surtout ce dernier travail, j’ai déjà fait 60 hommes ici.

Vous ne m’avez pas dit si vous êtes le second-lieutenant colonel ou le premier, si votre autre a été fait colonel, comme il y a apparence, vous devez être le premier. Si vous n’êtes pas colonel, je crains que votre retard d’aller joindre soit en cause. Il y a apparence que tous les lieutenants-colonels ont été faits colonels à la quantité qu’il en manque. Vous aurez trouvé le port de vos malles cher comme nous les nôtres.

Cliette doit vous avoir écrit et mandé que votre sergent-major a manqué se noyer au tampan. J’ai reçu de ses nouvelles le 30 dernier. Chamand veut bien se mêler de mon billet  et écrire à mr Sarazin. J’ai vu madame de Morangés allant à Paris, elle ne m’a pas donné de bonnes raisons. Je crois qu’il faudra plaider, nous verrons ce que dira mr Sarazin à Chamand. Je n’ai pas encore de moyens de ravoir vos effets, tant il y a peu d’occasion, d’ici à Clermont et Amber où est votre compagnie, à 9 lieues de cette première.

J’ai eu des nouvelles de mes enfants. Toujours biens bons et bien portants. Je ne sais si je vous ai mandé que mon fils a été bien mal d’une rechute, il n’est plus à Montauban, son maître a une des classes de Lauzerte où ils ont été le 12, ayant mené mon fils et où ils ont été très fêtés. L’ouverture de sa classe de quatrième fut ouverte le 15, il y a eut plus de 40 étudiants ; mon fils fait la 4e, a commencé les mathématiques, la géographie et l’arithmétique et s’applique très bien. Ma fille m’a écrit une charmante lettre et a beaucoup gagné dans son écriture, elle est toujours plus charmante. Votre lettre, cher frère, m’a fait beaucoup de plaisir et m’a tiré de la peine que votre silence me causait. J’ai vu avec le même plaisir que vous avez été bien accueilli de tout le régiment. C’est beaucoup que vos soldats se comportent bien. Les nôtres sont assez tranquilles mais je crains l’arrivée de De Nattes, Chambeau et Lalande qui sont à Paris où ils demandent des congés mais on doute qu’ils en aient et qu’ils reviennent et que les soldats les reconnaissent. Lalande a eu un congé. Nous avons 18 émigrants ; Parsonne, Reuvillier, chevalier de Gers, la Galvaque et les Morin, ce qui fait croire que les moteurs n’oseront pas revenir. Je dois avoir mandé le 12 du 2e bataillon. On ne sait si de Gens et Dauzeville reviendront.

Adieu cher frère, je vous embrasse bien sincèrement, de vos nouvelles, mes respects à mr Dampuis.

La Clericy"

 



[1] D’aleyrac, Jean-Baptiste D’, né le 2 avril 1737 à Saint-Pierreville, Ardèche. Fils de Noé d’Aleyrac et de Jeanne-Marie Vernhes. Issu d’une famille de militaires, Jean-Baptiste d’Aleyrac appartenait à la noblesse de province. En 1754, il s’enrôle comme volontaire dans le régiment de Languedoc et, en mai de l’année suivante, il s’embarque pour le Canada avec le grade de lieutenant. En septembre, il participe à la bataille du lac Saint-Sacrement sur le lac George, vers New York. Sa conduite à la tête du détachement fut plus tard louée par Levis, parce qu’au contraire de quelques autres officiers, il ne donna pas faussement l’alarme alors qu’il était harcelé par les Britanniques. Il combat, en août, 1757, au fort George sur le Lake George à New York, et au fort Carillon vers Ticonderoga, en juillet 1758. Durant l’hiver de 1758–1759, il commande à Bécancour, à Québec, où l’une de ses tâches consiste à entretenir les bonnes relations entre les troupes régulières, les Canadiens et Abénaquis de l’endroit. Il y réussit si bien que les Abénaquis l’adoptent et lui donnent le nom de Soleil. En juillet 1759, d’Aleyrac se trouve parmi les défenseurs de Québec ; ce même mois, il participe à la bataille de Montmorency. Blessé en août, alors qu’il était de garde à Québec, il peut encore se battre sur les plaines d’Abraham le 13 septembre. En avril 1760, il est à la bataille de Sainte-Foy. On lui reconnaît le mérite d’avoir sauvé la vie de Lévis dans une embuscade, avant la bataille, en tenant à distance, avec les 28 grenadiers sous ses ordres, un parti de 100 Britanniques. Il assiste à la capitulation de Montréal le 8 septembre et, peu après, rentre en France. Pour ses officiers supérieurs, d’Aleyrac est un « jeune tête léger », il parait quelque peu emporté. Montcalm l’appelle même « une mauvaise tête », mais lui trouve des manières engageantes et le potentiel d’un bon officier. Il semble avoir servi avec distinction pendant les campagnes de 1759, puisqu’il est promu lieutenant des grenadiers et reçoit une gratification de 200 livres octroyée par Montcalm. De retour en France, d’Aleyrac sert, de 1765 à 1768 en Corse. Il est nommé capitaine en 1768 et capitaine des grenadiers en 1781. L’année suivante, il reçoit la croix de Saint-Louis. Il semble avoir accepté la Révolution française et sut se faire agréer du gouvernement, puisqu’on le nomme lieutenant-colonel en 1792. Son état de santé le force à se retirer l’année suivante. Il décède en 1796, sans laisser de postérité.

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