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John Scott Lillie

« CEUX QUI BRAVAIENT L’AIGLE » : JOHN SCOTT LILLIE, OFFICIER DU 7E BATAILLON DE CAÇADORES PORTUGAIS.

Juillet 1807. Napoléon, sitôt le traité de Tilsit conclu avec Alexandre Ier de Russie, tourna son regard en direction du Portugal, qu’il comptait envahir sous peu. Conformément à ce dessein, des troupes françaises, dénommées « 1er corps d’observation de la Gironde », se concentrèrent à Bayonne, alors que des diplomates français et espagnols s’employaient à faire pression sur Lisbonne. Au nombre de leurs exigences, la participation effective du Portugal au « Blocus Continental » décrété par l’Empereur l’année précédente, la fermeture de ses ports aux navires marchands anglais, voire une déclaration de guerre à l’Angleterre. Les négociations marquant le pas, les troupes du général Junot, entrées en Espagne à la mi-octobre, envahirent finalement le Portugal le mois suivant. Lisbonne, quant à elle, fut atteinte le 30 novembre. Cette première invasion française du territoire lusitanien serait bientôt de deux autres incursions.

Dès les premiers mois de 1808, Londres, alarmée par la tournure des événements, dépêcha au Portugal un petit corps expéditionnaire commandé par le général Arthur Wellesley. Avec l’aval de son gouvernement, ce dernier s’attela tout à la fois à une réforme et à une réorganisation profonde de l’armée portugaise. De même, l’effort consenti par les Britanniques pour ré-équiper les troupes lusitaniennes fut colossal. De telles décisions étaient, sans nul doute, marquées du sceau du pragmatisme. En effet, il était probablement plus avantageux et rapide de lever des troupes autochtones – près de 30000 hommes ‒ que d’acheminer par voie maritime une égale quantité de troupes britanniques. Dans le même temps, l’épineuse question du commandement fut promptement tranchée : de nombreux Britanniques serviraient dans les rangs portugais, à l’instar de John Scott Lillie.

 

LES CAÇADORES, DES UNITÉS D’ÉLITE DE L’ARMÉE PORTUGAISE.

A l’été, les Britanniques, épaulés par leurs alliés portugais[1], défièrent les troupes napoléoniennes d’abord à Rollica, puis à la bataille de Vimeiro, qui se solda par une défaite française. Si ces premiers combats révélèrent la combativité et la discipline des troupes portugaises – rapidement surnommées les « coqs de combat de l’armée de Wellington » ‒, ils eurent également pour corollaire de mettre en lumière le manque cruel de troupes d’infanterie légère en leur sein. Comme le rappelle René Chartrand[2], la Légion des Troupes Légères avait été licenciée au mois de décembre précédent, une part importante de ses effectifs servant à former un bataillon de la Légion portugaise au service français. C’est donc pour répondre à cette impérieuse nécessité que les Anglo-Portugais mirent sur pied, le 14 octobre, 6 bataillons de caçadores [chasseurs d’infanterie], voués à constituer des troupes d’élite, ce qu’ils devinrent effectivement. A vrai dire, le défi était monumental : il s’agissait d’habiller, d’armer, d’entraîner ces corps créés ex-nihilo. Tous ces obstacles n’en furent pas moins surmontés. Les officiers furent nommés dans un délai de deux mois, tandis qu’en décembre, débuta l’enrôlement des hommes. Nombre d’entre eux s’étaient portés volontaires. Ils résidaient fréquemment dans les zones montagneuses ou dans de petites fermes présentes en nombre dans les collines, maniaient les armes depuis leur enfance et passaient, au demeurant, pour d’excellents chasseurs. Les 2420 recrues qui incorporèrent les caçadores entre le 1er et le 15 décembre furent entraînées aux standards des troupes légères britanniques, dont le manuel avait été traduit par William Warre, aide de camp du général Beresford. Les services dont s’acquittèrent ces troupes au cours des trois années suivantes justifièrent bientôt la création, décrétée le 20 avril 1811, de 6 nouveaux bataillons. Ainsi, c’est au sein du 7e caçadores constitué à Guarda, dans la province d’Estremadure, à l’aide du 1er bataillon de la Loyal Lusitanian Legion (Légion Loyale de Lusitanie), qu’officia Lillie jusqu’à la fin de la campagne d’Espagne.

 

JOHN SCOTT LILLIE : UN ANGLAIS À LA TÊTE D’UNE UNITÉ PORTUGAISE.

Au demeurant, quel fut donc le parcours militaire de Lillie ? Le concours de Jenny Spencer-Smith, conservatrice au National Army Museum de Londres, a permis de le retracer au plus près.

En 1807, âgé de 17 ans à peine, John Scott Lillie rejoignit le 6th Regiment of Foot. L’année suivante, il embarqua pour le Portugal avec le petit corps expéditionnaire anglais commandé par Arthur Wellesley, futur duc de Wellington. Dès le mois de décembre de cette même année 1808, il intégra l’armée portugaise comme capitaine de la Légion Loyale de Lusitanie. C’est au sein de cette unité aux ordres de Robert Wilson – surtout connu pour avoir été un redoutable espion au service de la Couronne britannique ‒ que Lillie participa à la défense du territoire portugais alors confronté à l’invasion des troupes françaises. C’est également en son sein qu’il fut présent, à l’été 1810, à la bataille de Bussaco. A l’instar du reste de l’armée anglo-portugaise, la Légion fit ensuite retraite sur le formidable complexe défensif que constituaient les lignes fortifiées de Torres Vedras. Lors du licenciement de son unité, Lillie fut versé au 7e bataillon de caçadores. En 1812, il fit paraître, en Angleterre, un opuscule intitulé A narrative of the campaigns of the Loyal Lusitanian Legion, under Brigadier General Sir Robert Wilson, with some account of the military operations in Spain and Portugal during the years 1809, 1810 & 1811, récit « sur le vif » de ses campagnes dans la Péninsule. Comme major du 7e caçadores, Lillie participa à de nombreux engagements, parmi lesquels les batailles des Pyrénées et de la Nivelle à l’été et à l’automne 1813, puis celles d’Orthez et de Toulouse, respectivement en février et en avril 1814. C’est d’ailleurs à Toulouse qu’il fut très sérieusement blessé. Laissé pour mort sur le champ de bataille, le major ne fut secouru qu’au terme de 48 longues heures passées au milieu des morts et des agonisants. Après avoir quitté l’armée, Lillie se maria en 1820 avec miss Sutherland, événement qui motiva très certainement le portrait ici reproduit.

 

UN PRÉCIEUX PORTRAIT.

Réalisé à l’issue des guerres de coalition, ce portrait du major Lillie, œuvre d’un artiste à ce jour demeuré anonyme, a pour principal mérite [3] de dépeindre, avec un grand luxe de détails, l’uniforme des officiers de caçadores portugais à la fin de la guerre de la Péninsule.

L’habit « à la hussarde » du major, est taillé dans un drap d’une nuance brun sombre[4]. Les boutons, ronds et noirs, sont disposés sur trois rangées et des brandebourgs barrent la poitrine. Originellement, ces derniers, conformément aux dispositions du 19 mai 1806, devaient être dorés. Néanmoins, pour bon nombre d’officiers portugais, un tel luxe demeurait inabordable, de sorte que un décret du 11 juillet 1809 édicta que désormais, les brandebourgs seraient noirs, pour les officiers comme pour la troupe. Le collet est noir lui aussi ; les parements de drap jaune sont taillés en pointe et soulignés de deux galons or. A l’exemple des habits délivrés à la troupe, celui de Sir John Scott Lillie fut probablement confectionné localement par un tailleur portugais. Le major ne porte guère d’épaulettes mais un système de galons ‒ qui, en vérité, ne fut réglementé que fin 1815 ‒ témoigne cependant de son grade.

Sur son baudrier en cuir noir, est fixé un petit sifflet en argent destiné à transmettre les ordres. Chaque régiment léger de l’armée combinée de Wellington possédait d’ailleurs ses propres sonneries, soigneusement codifiées. Le grade d’officier supérieur de Lillie est également matérialisé par la longue-vue de poche qu’il tient dans sa main droite. On note également le port d’une ceinture-écharpe – alternant coulants or et écarlates ‒ par-dessus un ceinturon auquel est suspendu un sabre « à l’orientale ». A l’imitation de leurs homologues britanniques, les sergents des régiments légers portugais avaient lancé cette mode dès 1809-1810. La culotte, réalisée en drap brun, est toutefois troquée contre une culotte blanche à l’été.

Sur une table basse, est posé un shako. Le premier modèle de shako porté par les troupes légères portugaises fut le barretina, également utilisé par les troupes de ligne en 1806. Vers 1809-1810, les caçadores adoptèrent le stovepipe de feutre noir, qui se distingue toutefois du modèle britannique par la cocarde aux couleurs nationales portugaises, le rouge et le bleu. Celui-ci est en outre agrémenté d’un petit plumet vert ‒ ou noir ? ‒, de cordons tressés verts, d’un bugle stylisé et de chiffres romains en cuivre, au même titre que les jugulaires.

Pour conclure, quelques réflexions succinctes sur l’épineuse question des ‒ nombreuses ‒ décorations arborées par notre homme. La plupart furent ajoutées postérieurement à la réalisation du tableau. A titre d’exemple, la British Military General Service ne fut accordée à John Scott Lillie qu’en 1848. Huit de ses décorations passèrent, en décembre 2001, sous le feu des enchères chez Chrisitie’s London. Plusieurs d’entre elles, notamment l’Army Gold Cross for Pyrenees, Nivelle, Orthes and Toulouse, sont au demeurant représentées sur la toile.


Par Pierre-Baptiste Guillemot

membre de la SEHRI.

 



[1] Largement sous-estimée, la participation militaire des Portugais à la lutte contre l’envahisseur français fut pourtant loin d’être négligeable. Les unités portugaises représentaient en effet près du tiers des forces combinées dont disposait Wellington. En outre, les caçadores étaient probablement les meilleures unités de l’armée portugaise. Au demeurant, les 1er et 3e caçadores bénéficiaient d’un tel niveau d’entraînement qu’ils furent embrigadés avec des bataillons britanniques et formèrent ainsi la fameuse « division légère » du général Crawford.

[2] Chartrand, René, Younghusband, William, The Portuguese Army of the Napoleonic Wars (2), Osprey Publishing, p. 4-5.

[3] L’arrière-plan du tableau a également son importance. Figurant un relief montagneux arboré de pins, il fait explicitement référence au théâtre d’opérations des Pyrénées, sur lequel John Scott Lillie se distingua à l’été, puis à l’automne 1813.

[4] Ce drap de laine – dénommé zaragoza ‒ était produit localement. Très solide quoique rêche, il était par conséquent bien adapté aux besoins des caçadores, voués à remplir le service des tirailleurs.

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