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les confections régimentaires des uniformes

Les conseils d’administration ne transigent guère sur la qualité des tissus réceptionnés. A partir de 1811, les fabricants soumettent ainsi des échantillons tant au ministre de la Guerre qu’aux instances régimentaires. De même, les draps, tissus et passementeries nécessaires à la confection des uniformes ne sont expédiés au dépôt de l’unité concernée qu’après vérification  – et validation – par des agents de l’administration de la Guerre.

Mais pour recevoir ce précieux drap, parfois faut-il circonvenir le commissaire des guerres de la place. Sous le Consulat, c’est ainsi que procède Jean-Pierre Bial pour obtenir – à la faveur d’un repas à Paris – les fournitures dues à son régiment. En 1811, le drap de Lodève nécessaire aux régiments stationnés à Toulouse – à l’instar du 3régiment d’artillerie à pied – provient d’un magasin installé à Bordeaux. Il est envoyé au petit dépôt des bataillons (ou escadrons) de guerre, auprès duquel se trouve le conseil d’administration de l’unité. Bien entendu, ce système entraîne des mouvements financiers tout à la fois conséquents et complexes[1]. A réception de ces textiles – voyageant en ballots marqués –, leur qualité est contrôlée par un membre du conseil d’administration de l’unité réceptrice, accompagné d’un sous-inspecteur aux revues et d’un commissaire des guerres.

En raison du Blocus continental et de besoins toujours plus conséquents, la qualité des tissus destinés aux armées s’avère de plus en plus médiocre, les fabricants augmentant leur production au détriment de la qualité. Telles pratiques impliquent des récriminations en nombre sans cesse croissant. Ainsi, le 13 janvier 1807, le conseil d’administration du 3e régiment d’infanterie de ligne refuse-t-il provisoirement 73 pièces de tricot, expédiées de Tours, en vertu d’un ordre du ministre de la Guerre. De même, en avril 1811, les 3e, 4e, 5e et 13e bataillons du train, alors cantonnés à Toulouse, refusent quasi-systématiquement les livraisons de drap destiné à habiller les conscrits. Ces refus concernent fréquemment d’importants volumes. Le 20 avril 1811, le 3e bataillon principal du train refuse, lui, 205m de tricot bleu céleste et 24m de tricot bleu impérial. Si ces textiles sont refusés, c’est qu’ils ne correspondent guère aux échantillons envoyés. Le procès-verbal d’examen des draps expédiés au 3e bataillon principal du train stipule que le tissu est « énervé aux rames pour obtenir de la longueur et une allonge au delà du raisonnable » [2]. Lors de la vérification, seule la chaîne a résisté, tandis que la trame du drap s’est brisée. Ces vérifications parviennent jusqu’au ministère, ce dernier informant ensuite les autorités préfectorales. Le 29 juin 1811, suite au refus de fournitures par le conseil d’administration du 4e bataillon bis du train d’artillerie, le ministre de la Guerre informe le préfet de Haute-Garonne que le conseil de préfecture a été désigné pour arbitrer la querelle. Ce dernier nomme alors des experts. Semblable décision advient le 7 octobre 1811, suite au refus de draps par le 3e régiment d’artillerie à pied. La plupart du temps, le conseil de préfecture donne raison aux conseils d’administration régimentaires et demande par conséquent le remplacement du drap. Le drap de laine n’est pas le seul visé. En effet, le 2 mai 1811, le 5e bataillon bis du train refuse du cadi – destiné aux revers des basques ou des parements –, ainsi que des shakos. Les textiles refusés sont stockés au dépôt du régiment. Ainsi, lors de la dissolution du 7e régiment de hussards en décembre 1815, les stocks du magasin régimentaire recèlent pas moins de 3 pelisses et 2 dolmans de trompette, 916 ceintures-écharpes, 91m de drap vert, 5900m de tresse carrée, 7936m de tresse plate et 123 douzaines de petits boutons jaunes pour gilet.

Les matières premières désormais acceptées, les ouvriers régimentaires entrent en action. Chaque unité peut compter sur leurs services, y compris dans les moments les plus sombres. En 1793, le 12e régiment de dragons compte ainsi un maître sellier, un maître bottier et un maître cullotier. Vingt ans plus tard, le 7e régiment de hussards emploie un maître sellier, un maître tailleur et un maître bottier. De même, au 9e régiment de hussards, officient un chef sellier, un chef tailler et un chef bottier. Les habits sont fabriqués suivant des patrons et des modèles fournis par l’administration centrale. Réalisés de manière proto-industrielle, ils sont coupés à bord franc et – le plus souvent – déclinés en trois tailles : petite, moyenne et grande. Ils peuvent par la suite être réajustés, notamment sur décision du colonel. Ainsi des pantalons de route du 2e régiment de conscrits-chasseurs de la Garde Impériale, qui « devront être plus larges et plus longs et serrés dans le bas contre la cheville par un cordon blanc passé dans la coulisse qui sera établie à cet effet »[3]. Les habits des sous-officiers sont confectionnés par des tailleurs régimentaires, sur mesure et à l’aide d’un drap plus fin et de meilleure qualité.

 

Jérôme Croyet

Docteur en histoire

 

Conférence donnée à Corps lors des journées Napoléoniennes 2005

 



[1] En mars 1813, le conseil d’administration du 12e régiment d’infanterie légère demande ainsi conjointement au payeur général de l’armée du Midi et au maréchal Soult l’autorisation de transformer en avoir une somme de 25000 francs due au dépôt du régiment pour des fournitures de matières premières textiles.

[2] Archives Départementales de Haute-Garonne, Procès-verbal établi suite à la livraison de tissu au 3e bataillon du train, Toulouse, 20 avril 1811.

[3] Livre d’ordres du 2e régiment de conscrits-chasseurs de la Garde, 4 août 1809.

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