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les confidences indiscrètes d'un officier

En période de conflit, un militaire est tenu plus que jamais à la discrétion en matière d'opinion personnelle sur la politique gouvernementale. Enfreindre cette règle, dans un discours empreint de franchise et qui plus est en public, attire forcément des soupçons et des déboires...

« Miquereau de Nevers servant en qualité de capitaine au 3e bataillon de la légion de la Montagne et cy devant capitaine au service d'Espagne et cy devant off(icier) au régiment de Beausse [Beauce] a comparu devant le comité de surveillance de la commune [de Montpellier] et l'ayant interpellé s'il n'avait dit que notre armée d'Espagne n'étoit composée que de 25 mille hommes disponibles et y avoit 15 mille malades, a dit qu'il étoit vray qu'il l'avoit dit mais qu'il le tenoit du citoyen Guillet [1] chef de l'état-major de Cette [Sète].

Interpellé s'il n'est vray qu'il ait dit que nous fairions mal de commencer si tôt la campagne, que dans ce cas nous serions battus parce que les généraux Doppet et Dugomier était divisés ; a répondu tenir du même adjudant Guillet que Doppet et Dugommier était tous les deux généraux en chef et que tous les deux prétendant à l'être.

Luy ayant demandé sy d'apprès les tableaux qu'il avait fait dans différentes occasions de la magnanimité, de la générosité et de plusieurs autres bonnes qualités qu'il prétendait constituer le peuple espagnol il n'avait pas cherché à diminuer la haine qui doit animer les républiquains contre les suppots du despotisme à nous inspirer de la méfiance sur la justice de notre cause et nous intimider sur les évènements de la guerre ; a répondu que les tableaux dont on luy parle il ne les a fait que parce qu 'il a reconnu dans les Catalans un amour de la liberté qui bien dirigé pourroit en faire un peuple libre, qu'il scait qu'il a été commis des attrocités par quelques individus des trouppes françaises, que lors de leur entrée en Catalogne se portèrent à violer des femmes et à les bruler en mettant le feu aux pailliasses.

Interpelé s'il n'a pas mis en opposition cette conduite de  quelques Français avec celle des Espagnols pour en tirer des avantages en faveur de ces derniers, a dit que cela n'était pas possible, et que les crimes de quelques individus ne doit pas être imputté à toute une nation.

Interpellé s'il n'a pas eu de relation avec les prisonniers Espagnols qui sont à la citadelle ; a répondu qu'éfectivement il s'est transporté une fois à la citadelle sur l'invitation de l'adjudant général Guillet et du commandant de la place, et que ce fut uniquement dans le dessein de faire aux prisonniers un discours patriotique, qu'ils écoutèrent avec la plus grande attention.

Interpellé quel pouvoit être son dessein lorsqu'il a dit dans le Caffé de Guiraud que Doppet et Dugomier étoit divisés et qu'il y avoit 17 mille malades à notre armée ; a répondu qu'il n'a dit cella que parce qu'il le tenoit de l'adjudant Guillet, et qu'en le disant il n'avoit aucun mauvais dessein en vüe.

Interpellé s'il ne savoit pas qu'en avançant publiquement de pareils propos fussent ils même fondés l'on ne pouvoit que nuire à la chose publique en ébruitant ce qui devoit être tenu caché ; à répondu qu'il croyoit que dans un gouvernement républiquain il importoit que le bien et le mal fussent également connu afin qu'on peut y remédier.

Interpellé pourquoy dans une occasion il a publiquement assimilé les comités révolutionnaires du gouvernement français à l'inquisition espagnole sy ce n'étoit pas pour jetter sur ces établissement sauveurs de la République l'adieux que tout honnette homme doit ressentir contre l'infâme tribunal de l'inquisition ; a répondu que ce n'est que par manière de comparaison qu'il a fait ce rapprochement voulant donner à entendre que de même qu'il y avait des ennemis de la liberté en France qui nécessitoit l'établissement des Comités révolutionnaires, il y avoit également en Espagne des ennemis du fanatisme qui étoit l'objet de la surveillance de l'inquisition, le présent interrogat ayant été lu au dit Miquereau a reconnu qu'il contenoit ses réponses telles qu'il les avoit rendues et a signé avec nous à Montpellier le 13e germinal l'an 2e de la République française, une et indivisible.

(2 avril 1794) [Signatures]     Miquereau       Roquemartine off. m(unicipa)l + autres notables » [2]

 

En bons patriotes, les montpelliérains s'informent sur le suspect auprès de la municipalité de Nevers.

« Aux citoyens composant le Comité révolutionnaire de surveillance de Montpellier.

Liberté, égalité, fraternité ou la mort.

Nevers le 24 germinal l'an deux de la République une et indivisible (13 avril 1794) .

Flamen[3], maire de Nevers

Citoyens         

Le citoyen Miquerot est par votre ordre en arrestation dans vos murs.

Il m'a écrit 2 fois, il a écrit à sa mère et lui a mandé avoir écrit par le même courrier au Comité de Surveillance de cette ville.

 Sans pénétrer citoyens les motifs qui ont décidé son arrestation, s'il est coupable le glaive de la loi doit en faire justice ; s'il est innocent il n'a rien à craindre.

En Républicain je dois vous attester les faits suivant comme étant à ma parfaite connaissance.

Miquerot a commencé à servir en France sous l'ancien Régime.

Ensuite il a servi 12 ans en Espagne. Mais aux approches de la guerre avec ce pays, il a eu horreur de sa position ; il a franchi tous les obstacles, il a demandé à Bourgoing[4] Ministre de France à Madrid tout son appuy et avec lui il a quitté cette terre d'esclavage et d'idolatrie.

Il est arrivé en France, il a commencé à servir en qualité de soldat ; ensuite il a été élu au grade de capitaine.

Sa santé étant devenue mauvaise il a aeu un congé pour aller se rétablir. Ila été à Montpellier et vous savez ce qu'il a fait.

Voilà citoyens les faits que je connois et que j'atteste en bon et loyal citoyen.

            Vive la République !   Salut et fraternité                    Flamen, maire

 

Qui est Guillet ?

La carrière de Pierre Joseph Guillet est émaillée d'affaires qui révèlent une moralité douteuse.

Dans un document de l'an 13, contenu dans son dossier de la légion d'honneur[5], il indique rechercher une place de membre du conseil d'administration de la 9e cohorte à Béziers : ma demande est motivée sur ce que j'ai une résidence et mes propriétés à une lieüe du chef lieu de cette cohorte, étant l'un des plus forts propriétaires du département […]. Dans une adresse non datée au général Berthier, ministre de la guerre, il rappelle ses mérites militaires et affiche sans complexe son aisance matérielle : Ma conduite, mon intégrité m'ont toujours mérité de la considération dans tous les paÿs où j'ai été ; je veux la continuer et la transmettre à mes enfants qui seront à la tête d'une fortune de trois cent mille francs en biens fonds patrimoniaux, situés près de Béziers département de l'Hérault.[6]

La réalité sur cet officier semble moins flamboyante.

L'adjudant général Ramel (1768-1815), commandant de la garde du Corps Législatif, a laissé un Journal[7] sur les évènements du 18 fructidor an V (4 septembre 1797) qui l'ont condamné à la  déportation en Guyanne en compagnie de Pichegru et d'autres opposants au coup d'état. Beaucoup sont des vieillards qui siégeaient au conseil des cinq cents et au conseil des anciens...

Le 17 septembre, alors que le convoi de proscrits chemine entre Paris et la Charente Maritime, le chef du détachement d'escorte, le général Dutertre [8] est mis en état d'arrestation par l'adjudant général Guillet qui a ordre de le faire conduire à la capitale pour y être jugé à cause des concussions et des friponneries qu'il avoit commis depuis notre départ.

[…] L'arrestation de Dutertre étoit pour nous un événement de peu d'importance parce que l'adjudant général Guillet, qui le remplaça, ne valoit pas mieux que lui […].

Insensible au sort des prisonniers houspillés par la foule des badauds, Guillet se montre coléreux, voire menaçant envers les autorités municipales et ses subordonnés.

Les détenus, toujours surveillés par Guillet, embarquent finalement sur un ancien corsaire amarré sur la Charente, qui de là les dépose en mer sur une corvette, La Vaillante, commandée par le capitaine Julien (21 septembre) puis par La Porte, un officier particulièrement sévère. [Guillet n'est pas du voyage].

Le 10 novembre, à 5 heures du soir la corvette mouilla dans la grande rade de Cayenne […].

Ramel avait bien jugé Guillet : en octobre 1807, ce dernier est suspendu par décision impériale, et appelé à Paris pour se justifier. (Il était accusé de prévarications et d'avoir fait fusiller 4 hommes sans jugement) ; fut emprisonné à la Force comme ayant des relations avec Malet en juin 1808.

 

Quid de Miquerot ?

Au vu de ces indications, il semble que Miquerot, en compagnie de Bourgoing, ait connu un départ d'Espagne assez mouvementé. Par la suite le réseau de relations et de protecteurs qu'il conservait à Nevers ont pu lui faciliter l'admission dans la légion des Montagnes. Malheureusement, il n'obtient pas l'aide nécessaire pour échapper aux investigations du comité de surveillance révolutionnaire de Montpellier, qui le juge trop proche des Espagnols.

Son sort reste mystérieux ...

 

Frédéric Pradal

Membre de la S.E.H.R.I.

 



[1] Pierre Joseph Guillet (1765-1836). Savoyard, soldat depuis 1779, au service de régiments étrangers, au service de l'Espagne. Lorsqu'il rejoint la France en février 1793, il est nommé lieutenant puis capitaine de la compagnie n°6 au 1er bataillon de volontaires de Mont-Blanc.

De l'armée des Alpes, il rejoint dès l'automne l'armée des Pyrénées-Orientales où il se fait remarquer par son courage. Nommé adjudant général chef de bataillon, 2 janvier 1794.

Employé à Sète en février 1795. Promu général de brigade (1799). Commandeur de la LH (1804).

Extrait de la notice de Six (G.) Dictionnaire des généraux & amiraux français, Paris, librairie G. Saffroy, 1934 (p. 545-546).

[2] A.D. Hérault : cote L5797

[3] Jean Claude Flamen d'Assigny (1741-1827). Homme politique, agronome (il a contribué à l'introduction du mouton mérinos en France). Il est nommé conseillé à la formation du département de la Nièvre, en compagnie de Philippe François Le Bourgoing (frère du diplomate, voir ci-dessous). Nommé maire de Nevers en 1793 par le représentant en mission Fouché.

Il a pour beau-frère le général de Sorbier, créateur de l'artillerie à cheval.

(Voir les articles que leur consacre Wikipédia)

[4] Jean françois, baron de Bourgoing (1748-1811). Diplomate de la France révolutionnaire en Espagne. Il est expulsé de Madrid le 19 février 1793, après avoir failli être condamné à mort.

D'origine noble, Commandeur de la Légion d'honneur (Voir l'article que lui consacre Wikipédia).

[5] Base Léonore, cote LH/1240/13, p.5

[6] Base Léonore, cote LH/1240/13, p.13

[7] Le Journal de l'adjudant général Ramel [etc] est paru en 1799

[8] 1760- après 1838. Escroc récidiviste

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