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1794 : l'amalgame - l'exemple de l'armée du Rhin

 

 

Avec l’entrée en guerre d’avril 1792 et l’émigration d’une partie du corps des officiers dès 1790, la République doit créer une armée nationale : cette dernière sera faite par l’amalgame des citoyens et des militaires car, avec la restructuration de l'armée en juin 1791, une différence politique est faite entre l'armée de ligne et les gardes nationaux volontaires. Avec la chute de Louis XVI et la proclamation de la République, cette dernière récupère une armée qu’elle connaît peu et dont elle apprend la conduite.

 

Recréer une armée pour mener la guerre des idées

Avec la déclaration de guerre à l'Autriche, la Convention en faisant appel aux volontaires espère bien que, dans l'urgence, la politisation de ces nouvelles troupes pallie leur manque d'instruction à côté d’une armée royale dont sa vision passéiste cache la réalité. En effet, l’administration républicaine ne voit son armée que par le prisme de la politisation.

Si l’armée héritée de la Monarchie pourrait être valorisée pour son aptitude au combat, disciplinée, bonne manœuvrière, le Gouvernement Révolutionnaire ne veut y voit qu’un groupe politiquement suspect, puisque « composée de soldats recrutés comme des mercenaires par l'ancienne monarchie »1 encadré par des officiers obligatoirement nobles depuis 17812, mais surtout avec un esprit de corps, marque de l'aristocratie dont la chasse est faite partout depuis le mois de mars 1793. Face à des volontaires citoyens, qui « entendent conserver leurs droits naturels »3, les députés et une partie des élus ne voient dans les régiments de ligne que des mercenaires sans aucun enthousiasme politique.

Dès lors, il faut motiver politiquement les anciens régiments royaux. Désormais "chaque Français serait fier de servir et de faire son devoir, ce qui devenait ainsi l'une des obligations impliquées par la citoyenneté"4.

Cette politisation de la troupe, afin d’être sûr qu’elle mène le combat idéologique de la République contre l’Europe des Couronnes devient un tel point d’enjeu que le 4 juin 1793, la Convention demande aux soldats de ligne, expulsés de leur régiment car trop patriote, de parvenir à le prouver afin de toucher la paye de pied de paix.

 

Les habits blancs

Contre toute attente, les soldats de ligne en 1793 ne sont plus ceux de la guerre dIndépendance Américaine. Les idées patriotiques ont pénétrées leurs rangs, gonflés par des engagements volontaires auprès des agents recruteurs de passage, comme à Beaurepaire en 1792 Putigny sengage à Navarre Infanterie pour défendre la Patrie auprès de recruteurs venant de Louhans. Le choix de sengager dans les troupes de ligne nest pas le fruit du hasard et plus celui de livresse5 mais bien une volonté dêtre formé à être un militaire et pas seulement un soldat-citoyen.

De fait, les soldats de ligne sont proches des volontaires de 1791 : « comme eux, ce sont des jeunes qui se sont engagés entre 1790 et 1792 ; ils proviennent de milieux sociaux également travaillés par l'esprit révolutionnaire »6. Toutefois, les critères de recrutement sont plus sévères que dans les bataillons de volontaires. Un engagé qui ne fait pas la taille requise peut être renvoyé chez lui selon la loi du 25 mars 1791. Une prime de 40 100 livres est même versée par le district aux engagés de la ligne.

Dès lors, depuis 1792, par sa proportion de paysans et d'artisans, la troupe de ligne est une image plus exacte de la société quavant 1789. Si lesprit de corps subsiste et présente encore un intérêt, c'est aussi une pépinière de militants révolutionnaires dont certains sont les animateurs de sociétés populaires, tel Claude Buget, sous-lieutenant au 81e régiment dinfanterie membre de la société populaire de Bourg-en-Bresse en 1793. Bien que plus soumis à la hiérarchie que les volontaires, les troupes d'infanterie de ligne ne sont pas sujets à l'aristocratie contrairement à dautres armes comme la cavalerie.

Les officiers aussi ne sont plus les mêmes quavant 1789. En effet, avec labrogation de lédit de Ségur, la carrière dofficiers est ouverte aux roturiers qui sy engouffrent. Dès lors coéxiste d'une part des officiers nobles ou aristocrates et d'autre part des officiers roturiers, généralement issus des sous-officiers. Ces derniers savent, comme les officiers issus de la petite noblesse, « ce qu'ils doivent à une république qui veille à l'abaissement de la barrière de la naissance et ouvre à tous l'accès aux grades supérieurs autrefois réservés à la haute noblesse »7.

Toutefois, à l'usage de la guerre, en 1794, les troupes de ligne ne sont plus nécessairement les plus performantes ; et c’est souvent l’activité et les compétences du chef de bataillon qui insuffle à ses subordonnés sa dynamique.

A suivre 

 

Jérôme Croyet

docteur en histoire

président-fondateur de la SEHRI

 

1 BERTAUD (Jean-Paul) : « Notes sur le premier amalgame (février 1793-janvier 1794) » in Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 20 N°1, Janvier-mars 1973.

2 L’édit de Ségur de 1781, impose quatre quartiers de noblesse du côté paternel pour un candidat au grade de sous-lieutenant et ainsi participer de la dignité du prestige considérable des officiers. Cette mesure est « une offensive de la noblesse qui voulu défendre et consolider l’ordre social hiérarchisé qui garantissait sa prééminence et sa situation matérielle ». BIEN (David) : « La réaction aristocratique avant 1789 : l'exemple de l'armée » In Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. Numéro 1, 1974.

3 BERTAUD (Jean-Paul) : « Notes sur le premier amalgame (février 1793-janvier 1794) » in Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 20 N°1, Janvier-mars 1973.

4 NORA (Pierre) : "Nation" in Dictionnaire Critique de la Révolution Française, tome Idée, sous la direction de François Furet. Flammarion éditeur, Paris.

5 Le 12 mars 1792, un habitant de St Benoît, dans l'Ain, se plaint et déclare avoir "contracté son engagement dans un moment d'ivresse, et qu'il avait été surpris et sollicité par Joseph Perrod de Groslée son camarade". Extrait des registres de la municipalité de Belley, 17 Mars 1792. A.D.Ain.3L.

6 BERTAUD (Jean-Paul) : « Notes sur le premier amalgame (février 1793-janvier 1794) » in Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 20 N°1, Janvier-mars 1973.

7 BERTAUD (Jean-Paul) : « Notes sur le premier amalgame (février 1793-janvier 1794) » in Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 20 N°1, Janvier-mars 1973.

 

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