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1794 : l'amalgame : formation des demi-brigades

Création des demi-brigades de bataille de l’armée du Rhin et Moselle

            L’armée du Rhin est créée par ordre du Roi, le 14 décembre 1791. La gauche de l’Armée du Rhin réunie à la droite de l’armée de Moselle, forme l’Armée de Mayence, le 29 novembre 1794. C'est à ce moment là que commence l'amalgame. Le 3 mars 1795, les armées du Rhin et de Moselle sont réunies en une seule entité pour former l’Armée de Rhin et Moselle[1].

            Le premier amalgame se fait, entre le milieu de l’an II et le début de l’an III avec 12 bataillons issus des régiments et 67 bataillons de volontaires. On s’aperçoit rapidement que la portion d’un bataillon de ligne pour deux bataillons de volontaires n’est pas respectée et que 14 demi-brigades de bataille sur 26 ne sont formées que de volontaires.

Les revues d'inspection des unités sont effectuées, par opportunité, sur 35 sites différents entre le 15 floréal an II et le 15 fructidor an II. Seuls deux bataillons ne sont pas inspectés mais amalgamés à l'aveugle, sans avoir été vu à la manœuvre ni au cantonnement. Sur 77 bataillons inspectés, plus ou moins rapidement, 36 le sont lors des attaques ou dans le camp devant Mayence ; le siège de cette place cristalisant la majeure partie des bataillons, les autres étant répartis dans des cantonnements dans une miriade de villages, rendant leur inspection compliquée. La seule grosse concentration de bataillons hormis ceux devant Mayence, sont les 7 bataillons présents à Strasbourg. La majorité de ces inspections d’amalgame ont lieu durant le mois de prairial an II. A l’issue du printemps, 59 bataillons auront été inspectés.

            Les chefs de brigades sont généralement choisis parmi les bataillons de volontaires, seuls 6 sur 26, sont issus des troupes de lignes amalgamées. On cherche ainsi non seulement une filiation entre la nouvelle unité et ses composantes (un seul chef de brigade n'est pas issus d'unités amalgamées), mais surtout une politisation du commandement. Même constat pour la formation des état-majors des demi-brigades : un tiers seulement des officiers les composants sont issus des régiments de ligne, le reste, deux tiers sont issus des bataillons de volontaires.

Les chefs de bataillons nouvellement créés sont tous pris parmi les chefs des bataillons amalgamés : 19 viennent des troupes et 63 des bataillons de volontaires. Les compagnies de grenadiers viennent aussi largement des bataillons de volontaires ; seules 15 compagnies de grenadiers sur 81 viennent des anciennes troupes royales.

L’instruction des officiers est meilleure dans les bataillons venant des troupes de ligne, mais étant donné leur faible nombre, 12 bataillons de ligne, les bataillons de volontaires ayant des officiers bien instruits sont plus nombreux ; 19 sur 70. Pour l’instruction de la troupe, ce sont les bataillons de volontaires qui se distinguent par leur nombre ; en effet, 31 bataillons sur 70 ont des soldats bien instruits. Les bataillons de ligne venant de la ligne ayant quand même 7 d’entre eux ayant une troupe bien instruite sur 12. La discipline est meilleure dans les bataillons de volontaires, avec 33 bataillons bien disciplinés sur 70 pour seulement 4 sur 12 pour la ligne. On peut penser que ce défaut de discipline des troupes de ligne est dû au renouvellement des troupes et l’arrivée d’engagés plus politisés qui acceptent moins la strict discipline des troupes d’Ancien régime d’autant plus que le 21 janvier 1790 toutes les peines infamantes, que la discipline royale tolérait, et les « appareils de supplices et de cruautés qui dégradaient encore plus l’humanité»[2] sont interdits. Cela ne signifie pas pour autant que ces bataillons sont soumis à l’indiscipline.

L’état de l’armement est plutôt bon, même si là encore l’exemple vient des bataillons de volontaires où ce dernier est réputé comme tel dans plus de la moitié des bataillons alors qu’il ne l’est que pour 4 des 12 bataillons de ligne. Le manque de discipline qui touche ces derniers a pour conséquence une moins bonne tenue des armes, puisque 4 bataillons sur 12 ont des armes mauvaises et que 3 bataillons de ligne sur 12 ont un habillement et un équipement mauvais.

 

Un problème de taille à l'armée du Rhin : le manque de vêtement

            Les revues d’amalgames permettent d’apprécier le manque d’habillement et d’équipement de l’armée du Rhin. En effet, lors du blocus de Mayence, les soldats, n'ont plus que « leurs vêtements [qui] étaient en lambeaux, ils allaient demi-nus...beaucoup avaient perdu leur tricorne d'ordonnance et portaient en guise de couvre-chefs des bonnets de toutes formes, des foulards, des toques faites avec des peaux de moutons, de chèvres ou de rats qu'ils avaient dévorés. Les uniformes n'étaient pas moins bigarrés : les soldats de l'ancienne armée royale avaient encore leur vêtements blancs, les volontaires l'habit bleu ; d'autres s'étaient taillés des vestes dans de vieilles couvertures ; les uns portaient des pantalons, les autres des culottes et tous, on le comprend,, mourraient de froid »[3]. En effet, malgré l'arrêté du Comité de Salut Public du 24 août 1793, qui prescrit l'adoption unilatérale de l'uniforme bleu, sans signes distinctifs des anciens régiments[4] (épaulettes et boutons au numéro) sous peine de destitution pour les officiers, l'armée du Rhin, lors de l'été 1794 est encore largement chamarée. L'état de l'habillement est si mauvais que le 16 nivôse an II, le général Paillard commande au commandant de la 8e compagnie du 1er bataillon de la République de « retirer les capotes de ceux qui ont des habits neufs et les donner à ceux qui ont de trop mauvais. S'il se trouve encore des habits à distribuer, il faut aussi les donner à ceux qui sont enregistrés pour la cavalerie, s'ils en ont absolument besoin »[5].

Dès 8 pluviôse an II, les représentants du peuple Lacoste et Baudot invitent les départements voisins[6] de l’armée du Rhin, où la « guerre se fait avec succès sur les bords du Rhin, nos frères d'armes bravent l'intempérie des saisons comme le fer des ennemis » [7] à faire passer des effets d'habillement à Strasbourg et Metz, notamment 30.000 souliers, 3 000 habits pour la Meuse, 3 000 pour le Bas Rhin, 3090 pour l'Ain ou 4 000 pour la Côte d'Or et 3.000 manteaux. Cet appel se heurte dans certains départements à la crise fédéraliste et ne trouve pas d'exécution. Dans l’Ain, il faut attendre le 7 germinal an II, pour que l’appel à faire des dons patriotiques d’habits et d’effets [8] pour le dépôt de Strasbourg via le dépôt de Bourg-en Bresse soit relayé le 4 prairial suivant. Les envois se font, malgré la pénurie de matières pour la confection, entre les 9 et 15 prairial.

Avec l'appui de cet habillement neuf, l'infanterie des demi-brigades va pouvoir adopter uniformément l'habit bleu que « lors de l'amalgame de 1795 », déchirement corporatiste pour les anciens blancs qui quittent « à grand regret nos revers en velours violet »[9] écrit Grandmougin dans ses mémoires.

 

Conséquences de ces amalgames

            L’amalgame enseigne quelques principes de réalité au Gouvernement Révolutionnaire, sans doute trop prisonnier de ses dogmes. Ainsi, le rôle des hôpitaux est mis à jour, pas tant dans sa phase curatrice et médicale mais dans l’aide qu’il apporte indirectement à la désertion qu’ils aident et par la possibilité qu’ils offrent aux contre-révolutionnaires de s’y rassembler. L’autre leçon est la prise de conscience de la nécessitée de dynamiser ses troupes par des faits de psychologie collective et notamment la régionalisation car avec la crise fédéraliste de l’été 1793, « certains révolutionnaires voulaient interdire la constitution de demi-brigades régionalisées et parvenir, d'un trait, à un mélange qui favoriserait la prise de conscience de l'unité nationale ». Toutefois, comme cela étaient le cas dans les régiments et les milices d’avant 1791, des facteurs régionaux, sociaux et culturels font que les hommes issus d’un même espace et servant ensembles, agissent en frères suivant les fraternités de clocher et qu’ainsi, se dévouant les uns les autres, ils se dévouent mieux à la Nation.

            De même cet amalgame ne doit pas être juste un acte administratif, il doit marquer les esprits et contribuer à propager l’esprit républicain dans les troupes. Dès lors, les célébrations civiques civiles sont transposées au monde militaire mettant en place un culte de la Patrie, fait pour frapper des esprits simples où à peine 15% des hommes savent signer leur nom.

 

Jérôme Croyet
président-fondateur de la S.E.H.R.I.


[1]              Par un arrêté du 29 septembre 1797 mis en application le 20 octobre, les Armées de Sambre-et-Meuse et de Rhin-et-Moselle sont réunies en une seule armée, l’Armée d’Allemagne. Le 9 décembre 1797, cette armée est partagée entre une nouvelle Armée de Mayence, et une nouvelle Armée du Rhin. Cette nouvelle Armée du Rhin, est supprimée par un arrêté du 29 janvier 1798, pour devenir l’Armée d’Helvétie. Elle est créée à nouveau en 1799, et se renforce de l’Armée du Danube pour prendre à nouveau la dénomination d’Armée du Rhin, par décret du 24 novembre 1799. Elle est dissoute à la paix, le 5 mai 1801.

[2]              Heulhard de Montigny (Charles Gilbert) : Précis, ou tableau chronologique des événements de la législation de la Révolution, Paris, 1803.

[3]              Mémoires du maréchal Canrobert.

[4]              Avec cet arrêté, le Comité de Salut Public poursuit la logique dogmatique de la chasse à l'épouvantail aristocratique dont souffre encore l'image de l'ancienne armée royale.

[5]              Livre d'ordre du général Paillard. Documentation SEHRI, retranscription de l'auteur.

[6]              Le Haut-Rhin, le Bas-Rhin, la Haute-Saône, le Doubs, le Jura, la Moselle, les Vosges, la Meurthe, la Saône-et-Loire ou l’Ain.

[7]              Arrêté de Lacoste et Baudot, 8 pluviôse an II.

[8]              L'Ain doit fournir 3 000 habits, 3500 vestes, 8000 culottes, 7500 sacs, 12000 chemises, 1300 redingotes, 8000 guêtres, 600 chapeaux, 1500 pantalons, 200 manteaux et 1300 casques.

[9]

      [9]                                                     Mémoires de Grandmougin, 1770 – 1864.

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