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1793 : le souper de Beaucaire

Le souper de Beaucaire

Malgré l'arrêté du 18 juin sur les chevaux, l'artillerie volante de l'armée de Kellermann se trouve toujours dans l'embarras. Avec la crise fédéraliste, les départements n'ont pas obéis aux ordres des conventionnels. Sur 42 districts concernés, 21 sont en retard dont les districts de Bourg, Pont-de-Vaux, Gex et Belley. Devant cet immobilisme, les représentants réitèrent leur injonction le 2 juillet. Quelques jours plus tard ils apprennent la révolte de Marseille. Le 6 juillet, un corps de 1 304 hommes, détaché de l'Armée des Alpes, est formé. Il est composé du 2e bataillon de Bourgogne, du 3e bataillon des Basses Alpes et du 5e régiment de cavalerie. Il est mis sous le commandement du "sans-culotte général Carteaux"[1] et sous la tutelle d'Albitte. Leur mission est de marcher sur Avignon pour empêcher toute jonction entre les troupes Marseillaises et Lyonnaises afin de rester maître du cours du Rhône. Albitte occupe un rôle plus actif auprès d'une armée en marche et sur la ligne de front. Organisé et méthodique, il s'entoure de secrétaires et d'adjoints et ne prévoit pas les déplacements de la troupe sans avoir des renseignements préalables.

Le 8 juillet 1793, le détachement arrive à Valence où Albitte dépense 3 900 livres afin d'assurer la défense de la ville puis le représentant procède à des réquisitions de troupes. Pour cela, il réemploie un mode qu'il connaît bien : il fait imprimer un discours destiné aux soldats et aux gardes nationaux mis en réquisition mais aussi implicitement adressé aux sociétés populaires. Ce discours mobilisateur renforce l'état d'esprit des hommes : « les gardes nationales de la Drôme et du district du Saint Esprit, qui, d’après mes réquisitions prirent les armes, furent employés à s’assurer du château-fort de Villeneuve ; à former diverses garnisons en deça de la Durance, et à couper le long du Rhône toute communication entre Lyon et Marseille »[2]. A Valence, le 1er bataillon du Mont-Blanc et deux compagnies d’artillerie à cheval rejoignent la troupe qui est portée à 1724 hommes. Le 11, la colonne est à Montélimar où la Légion des Allobroges, comptant 796 fantassins, 180 dragons, 20 gendarmes et 50 canonniers, rejoint la colonne. Forte de 2770 hommes, la colonne se dirige sur Pont-St Esprit qui tombe le 14 juillet. La ville prise, Albitte écrit au Ministre de la Guerre : "Mon cher ami, je vous aime toujours ; n'ayez pas peur des marseillais ; le Sans-Culottes général Carteaux et moi y mettrons bon ordre. Amalgame généraux et Sans-Culottes. Point de Biron, point de Custine, et de la fermeté. Les Lyonnais ont arrêté les canons que vous envoyez à Perpignan. Dubois-Crancé les a mis à la raison. Si Carteaux et moi n'avions pas pris Pont-St-Esprit, tout était foutu"[3]. Dans cette ville, le 1er bataillon de Bourgogne et les canonniers du bataillon de l’Ardèche rejoignent la colonne, la portant à 3476 soldats. Albitte en compagnie de Carteaux, de Bouchet (un secrétaire des commissaires), des commissaires pacificateurs de la Drôme et d'un homme de confiance, se rend à la Palud. Durant cette période, il voit en œuvre les armées de la République et commente au ministre de la Guerre comme un succès "l'amalgame généraux et sans-culottes"[4] d'autant plus que sa colonne est augmentée par l'apport du 1er bataillon du 59e Régiment d'Infanterie de Ligne, illustrant parfaitement l'amalgame bleus et blancs.

 

            Vers le 9 juillet, se joint à la colonne de Carteaux et d'Albitte quelques hommes de la 12e compagnie du 4e Régiment d'artillerie sous le commandement d'un jeune capitaine. Ce fringant officier jacobin se voit confier le commandement d'une colonne d'artillerie volante pour participer à la prise d'Avignon. Avec les décrets des 15 et 19 juillet 1793, la Convention renouvelle sa confiance en Albitte en le prolongeant dans ses fonctions en compagnie de Dubois-Crancé, Nioche et Gauthier. La troupe arrive à Avignon. La ville est en état de siège. Albitte multiplie les actions en faveurs des patriotes. Le 13 juillet, il distribue 100 livres à ces derniers. Le 17, de Pont-St-Esprit, il donne au Comité de Salut Public les détails des actions qu’il a pris pour faire échouer les projets des départements révoltés. Il annonce aussi le retour en grand nombre de prêtres réfractaires et d’émigrés et joint à son courrier plusieurs déclarations, délibérations et lettres recueillies sur son passage. Durant cette période, sa correspondance au Comité de Salut Public, composée de lettres, de comptes rendus mais aussi d'imprimés, est souvent reprise en partie par la presse, notamment par le Journal de Perlet. Le 21, Albitte donne des détails sur la défaite des Marseillais et demande "de faire supporter par les administrateurs des départements insurgés, les dépenses qu'ils (les représentants) se permettront de faire" [5]. Le 25 juillet, la ville est prise. Le 2e bataillon de la Côte d’Or, en route pour l’armée des Pyrénées-Orientales, est détourné par Albitte et amalgamé à la colonne qui se remet en marche. Les 28 et 29, ce sont au tour des villes de Tarascon et Beaucaire de tomber entre les mains des troupes de la Convention. La liaison des marseillais avec Lyon est coupée. Recevant l'ordre d'occuper Beaucaire, le capitaine d'artillerie défend le nom de son général lorsque des partisans des fédéralistes marseillais le traitent d'assassin. Ce jeune capitaine, du nom de Bonaparte, écrit le soir de l'incartade Le souper de Beaucaire où il relate la conversation (à la manière du Père Duchêsne d'Hébert) entre un fabricant montpelliérain, un nîmois et deux négociants marseillais. Cette brochure, très jacobine, plaît à Albitte qui en ordonne l'impression aux frais du Trésor[6]. Albitte voit en Bonaparte un jeune officier plein d'énergie et d'idéologie montagnarde. Il l'encourage et le conforte dans ses dispositions vis-à-vis du parti dominant à la Convention. Pour le dieppois, le corse est le type même de l'officier de la nouvelle génération, c'est à dire non-suspect comme les officiers de l'Armée Royale et patriote. Bonaparte rentre donc tout à fait dans l'idée que se fait Albitte de l'officier méritant et partageant le sort de ses troupes[7].  Albitte juge de l'énergie du corse et apprécie son esprit de décision. Albitte sans le savoir prépare sa carrière post-révolutionnaire. De Beaucaire, la troupe se dirige sur la cité phocéenne. Les villes de Cavaillon, Perthuis et Orgon sont prises. La troupe établie son quartier général à Pont-St-Esprit. Dans chacune des villes libérées, Albitte procède à la réorganisation des autorités constituées et à l'épuration des sociétés populaires.

 

Jérôme Croyet

docteur en histoire

 



[1]              Lettre d'Albitte au ministre de la guerre, citée par HERRIOT (Edoudard) : Lyon n'est plus, tome 2.

[2]     Lettre du citoyen Albitte, représentant du peuple à son collègue Dubois-Crancé, Lyon, le 11 décembre 1793. Imprimée à Lyon. Collection de l’auteur.

[3]     Albitte cité par HERRIOT (Edouard) : Lyon n'est plus, tome 3.

[4]              Ibidem.

[5]     Journal de Perlet, 24 juillet 1793.

[6]     Ces frais d'impréssion se montent à 410 livres.

[7]              "A l'armée,. . .on respecte l'officier quand il fait son devoir". Albitte citée par COURTINE (Valérie) : op.cit.

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