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1848 : aperçu des Trois Glorieuses au pays des Glorieuses

L'essai révolutionnaire de 1789-1795 a influencé les mentalités : "Les changements que connaît l'Ain durant toute la première moitié du XIXe siècle possèdent une dimension sociale qui ne peut pas être négligée. Elle applique l'adaptation d'un peuple à une société industrielle, et également, celles des institutions sociales et politiques aux développements économiques"[1] et expriment aussi l'appropriation du militantisme politique par le peuple laborieux et prouvent l'efficacité de la politisation révolutionnaire de 1792-95 : "l'explosion de 1848 va marquer…l'irruption de cette population qui exprime alors son mécontentement"[2].

Malgré la tentative de restauration de l'esprit monarchique à partir de l'automne 1815, la politisation et l'instruction révolutionnaire populaire de la Grande Révolution porte ses fruits en 1848 : "si lors de la chute de Louis-Philippe, l'on se réfère globalement à la grande révolution, c'est, bien entendu, la séquence républicaine qui est surtout sollicitée et, plus particulièrement, ses débuts, de septembre 1792 à l'an II. Se produit alors une résurrection de la République"[3]. Malgré les efforts du Gouvernement Provisoire pour éloigner le spectre d'une ultrarévolution, "à chaque carrefour de village on voyait se dresser des arbres de liberté, la plupart pavoisés de drapeaux tricolores, le bonnet rouge, malgré le décret du gouvernement provisoire déclarant qu'il ne fait pas partie des symboles de la République Française" [4]. Le bonnet rouge, symbole fort de la sans-culotterie de l'an II, réapparaît ainsi à Torcieu, St Denis-le-Chausson, Meximieux, Miribel et Varambon : 4 de ces 5 communes avaient une société populaire en 1793. Comme en l'an II, "la révolution de 1848 va se traduire pas de grands bouleversements des structures administratives et des personnels en place"[5] plus réussi qu'en 1793, puisqu'il n'y aura pas d'affrontements inter patriotes. Grâce à la mobilisation des militants révolutionnaires de 1790-1795, dans la politisation populaire, le peuple ne doit que "recommencer à assimiler et à comprendre l'importance et la signification des débats idéologiques et politiques. Cette redécouverte se fait aussi bien au niveau officiel pour la bourgeoisie ou spontané pour le peuple"[6]. Si les sociétés savantes et les loges maçonniques forment les cellules sociales et politiques de l'élite bourgeoise, le souvenir de 1793, enfoui dans les mémoires des survivants mais galvanisé en 1815 pas l'invasion du département et la résurgence momentanée d'organismes de guerre révolutionnaire[7], permettent au peuple de renouer en masse avec les habitudes paternelles politiques et sociales expérimentées en l'an II dans les sociétés populaires et les actions révolutionnaires[8]. La population de l'Ain réagit favorablement aux troubles…et tient à témoigner spontanément son adhésion"[9], par la réminiscence des vieux symboles républicains, plantation d'arbres de la liberté à Pont-de-Veyle sur la place de la croix mais aussi à Belley, Hauteville. Il y a aussi des formations de club comme à Bourg, Trévoux et Pont-de-Veyle et des banquets populaires à Tenay et St Maurice de Rémens. Si la tradition orale des survivants de l'époque révolutionnaire ne peut être écartée[10], la réminiscence de l'esprit républicain est le fruit de l'apprentissage révolutionnaire de 1790-1795.

L'Ain département très révolutionnaire entre 1790 et 1795, se pose tout au long du XIXe comme un des départements les plus républicains de la France. Au cours des élections législatives du 13 mai 1849, moins de la moitié des élus sont des notables du parti de l'Ordre, et lors des élections de 1876, tous les élus du département sont des républicains et lorsque les institutions républicaines sont mises en périls en 1851, des émeutes populaires républicaines accueillent le coup d'état de Napoléon III à Villars-les-Dombes, Miribel, St Marcel en Dombes mais surtout Bâgé-le-Châtel. Deux ces villes, Miribel et Bâgé avaient une société populaire en 1793, Villars et Bâgé avaient un comité de surveillance. L'Ain fourni au XIXe ses plus grands littérateurs et hommes politiques, dont les pères ou les grands pères ont été des militants révolutionnaires, tels Alphonse Baudin, Edgar Quinet [11] ou François Joseph Francisque Bouvet[12].

 

Jérôme Croyet

docteur en histoire

président-fondateur de la S.é.H.R.I.

 



[1] VIRMANI (Arundhati) : L'évolution de la conscience collective dans le département de l'Ain, 1815-1848. Thèse de doctorat d'histoire sous la direction de Maurice Agulhon, Paris I, 1984, 384 pages.

[2] VIRMANI (Arundhati) : L'évolution de la conscience collective dans le département de l'Ain, 1815-1848. Thèse de doctorat d'histoire sous la direction de Maurice Agulhon, Paris I, 1984, 384 pages.

[3] BART (Jean) : "Rouvrons 93…" in La constitution du 4 novembre 1848, l'ambition d'une république démocratique. Publications de l'Université de Bourgogne, Dijon, page 17 à 26.

[4] TRICAUD (Léopold de) : Histoire du département de l'Ain du 24 février au 20 décembre 1848. Boug, 1872.

[5] VIRMANI (Arundhati) : L'évolution de la conscience collective dans le département de l'Ain, 1815-1848. Thèse de doctorat d'histoire sous la direction de Maurice Agulhon, Paris I, 1984, 384 pages.

[6] Ibid.

[7] CROYET (Jérôme) : "La mobilisation patriotique dans l'Ain durant les Cent Jours" in Mélanges, Bourg en Bresse, 2003, à paraître.

[8] "C'est un véritable fléau de Dieu pour arrêter les chants de cette maudite Marseillaise". Lettre de Romans Ferrari à l'architecte Georges, 13 novembre 1840. A.D. Ain fonds Georges.

[9] VIRMANI (Arundhati) : L'évolution de la conscience collective dans le département de l'Ain, 1815-1848. Thèse de doctorat d'histoire sous la direction de Maurice Agulhon, Paris I, 1984, 384 pages.

[10] Si en 1857, lors de la remise des médailles de Ste Hélène réservée aux anciens combattants de la Révolution et de l'Empire, le nombre de ces survivants est estimé à 300 000, on peut estimer sans trop se tromper que le nombre de survivants du militantisme révolutionnaire peut être estimer à 50 000 personnes sur la France.

[11] Son père Jérôme, est volontaire dans un bataillon de l'Ain en 1792.

[12] Son père, Jean Baptiste, natif de Vieu d’Yzenave, élu capitaine à la 4e compagnie du 5e bataillon de l’Ain le 15 août 1792, est tué au combat le 20 septembre 1794. 

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