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1791-1795 : le 3e bataillon de l'Ain

En 1791, l’alliance entre la Prusse et l’Autriche rend de plus en plus certaine une intervention militaire. Pour y faire face, l’Assemblée nationale décrète le 21 juin “la mise en activité de la garde nationale”, appelant “tout citoyen et fils de citoyen en état de porter les armes” à se faire inscrire sur les registres de volontaires. Dans l’Ain, les 2e et 3e bataillons sont formés à partir du 4 septembre 1791.

Le 3e bataillon de volontaires de l’Ain est formé de gardes nationaux volontaires des districts dombistes du département (Bourg-en-Bresse, Trévoux, Montluel, Châtillon-sur-Chalaronne et Pont-de-Vaux). Regroupés en compagnies entre le 4 et le 25 septembre 1791, ils sont formés en bataillon, à Bourg, le 11 décembre.

Une lettre de Jean-Joseph Mabiez de Rouville, capitaine de la garde nationale de Trévoux, nous apprend que le bataillon quitte la ville le 8 février 1792 “à 7 heures du matin. Tous les citoyens de Bourg de différents sexes nous ont accompagnés à une lieue, la larme à l’œil. Nous y avons laissé des vifs regrets, ils sont bien réciproques. Enfin ces braves citoyens ont formé […] une compagnie de 25 citoyens à cheval qui nous ont accompagnés jusqu’à Saint-Amour, distant de 5 lieues”, passe par Coligny, “où nous avons été reçus par la municipalité et la garde nationale. Des tables dressées et des tonneaux sur la place, ce village est patriote” pour arriver à Saint-Amour, dans le Jura, à 14 heures.

Le Jura est perverti

Là, l’accueil des volontaires est plus nuancé, à leur plus grand mécontentement : seule la municipalité les attend. Afin de démontrer leur ardeur militante à ceux qui oseraient en douter, le bataillon donne un bal au son de sa musique1, “et chaque contredanse finissait et commençait par l’air Ça Ira”. Le lendemain, le bataillon se met en route pour Lons-le-Saunier, en passant par Cuiseaux. Les volontaires arrivent à Lons à 15 heures. Ils sont reçus par le 2e bataillon de l’Ain qui part pour Besançon le 11 février.

Cette fois encore, la ville déçoit : “Lons-le-Saunier, cette maudite ville, est chef-lieu du département du Jura, contenant plus de douze mille âmes et ne contenant pas vingt patriotes. Le fait est constant, ce méprisable département n’a député à l’Assemblée législative que des faux frères, à l’exception d’un seul dont j’ai perdu le nom.

Le 10, nous avons marché de Lons-le-Saunier à Sellières, gros bourg de Comté, contenant trois mille âmes au moins, la municipalité seule est d’un patriotisme chaud, le surplus sans exception […] des fanatiques outrés, ennemis dévoilés de la Révolution, tenant à outrance à la religion espagnole. Enfin, [tout le Jura] est perverti. Il faut en excepter seulement les habitants des montagnes. J’y ai demeuré quatre jours, pour y établir trois compagnies détachées, crainte d’insurrection calotine. Les brigands ne bronchent pas, ils feront bien.”

Si la dispersion du bataillon nuit à son instruction, son chef se réjouit que ses hommes, issus des centres urbanisés des cantons, sachent déjà à peu près manœuvrer ; il désirerait renforcer cette instruction afin que ses hommes manœuvrent comme une véritable troupe. Le 15 février, le gros du bataillon arrive à Dôle alors que Jean-Joseph Mabiez de Rouville se met en route pour Besançon afin d’y récupérer le surplus d’armement, soit 259 fusils, des gibernes, des sabres et des munitions. Il veut également demander le regroupement du bataillon. A Dôle, des musiciens du bataillon, Chaffner, Salomon et Aillaud, sans doute aussi Simiot, visitent les travaux effectués par Antoine Lerouge sur l’orgue de l’église, le 6 avril 1792.

Tout nous reste à faire

Affecté à l’armée du Rhin, le bataillon cantonne à Fort-Louis en mai puis rejoint au mois de juin la ville de Sélestat où il restera jusqu’en novembre. Durant l’été, le recrutement ne faiblit pas dans l’Ain ; ainsi, en juillet, des enrôlements de volontaires sont enregistrés dans le district de Châtillon-sur-Chalaronne.

A Sélestat, le bataillon participe activement à la défense de la ville, sans sa compagnie de grenadiers détachée à Wissembourg 2 : “Depuis quinze jours, le bataillon ne va plus à l’exercice. Les volontaires de tous grades travaillent aux fortifications, redoutes, batteries, poternes, chemins couverts, bastions. Ils gagnent chacun 20 sous par jour que leur paye l’entrepreneur qui a un prix fait. Cette somme est mise en masse et nous l’offrirons à l’Assemblée quand la somme sera considérable. Quinze hommes par compagnie par jour y travaillent.” Le 20 novembre, 50 volontaires du bataillon et 20 dragons repoussent une tentative d’incursion autrichienne.

Le 12 novembre, une compagnie de canonniers est formée dans le bataillon. Mais, alors qu’il se prépare à entrer en campagne, il y a encore près de 200 places vacantes. Le 25 novembre, Jean-Joseph Mabiez de Rouville, depuis peu lieutenant-colonel, écrit à la municipalité de Trévoux pour encourager les communes du canton à envoyer des volontaires afin de combler les manques mais aussi en prévision des départs de décembre : “Le zèle qui vous a toujours animés pour la République me fait espérer que vous contribuerez de tous vos pouvoirs à compléter le bataillon que je commande”.

Il précise qu’il y a “deux cents places vacantes au bataillon, et qu’il ne peut entrer en campagne avant qu’il ne soit porté à 852, ce qui est le seul regret des généraux qui le connaissaient, vu sa bonne instruction, la concorde, l’union et le même désir de combattre qui nous anime tous”. Puis termine en suppliant : “Ma demande est trop bien fondée pour que vous puissiez vous refuser à faire une proclamation pour que les citoyens qui, brûlant de servir leur patrie, s’enrôlent à votre municipalité, pour le bataillon que je commande […] C’est le seul moyen de nous faire voler à la gloire, nous n’avons rien fait, tout nous reste à faire.”

Premiers combats

A la fin de ce mois, désireux de combattre, le bataillon entre en campagne à l’armée des Vosges. Il bivouaque sur la Nidda le 1er décembre puis à Eschersheim, Rödelheim et, enfin, à Maudach, du 10 décembre au 1er janvier 1793. Il quitte Maudach pour Otterstadt, où il reste jusqu’en février. Il va à Spire en mars et combat vaillamment à Neerwinden, le 18 mars 1793. Il participe à l’expédition de Custine puis prend ses cantonnements à Wissembourg d’avril à juillet 1793. Durant cette période, le bataillon se renforce, 300 volontaires de l’Ain arrivant le 1er mai.

Le 12 mai, alors que Mabiez de Rouville est suspecté, les cadres du bataillon le soutiennent par un certificat de civisme qui le blanchit mais l’obligera à demander sa mutation. Le 15 août, le dépôt du bataillon est formé à Strasbourg alors que les compagnies de guerre se regroupent à Lauterbourg avant de rejoindre, le 20 août, le fort Saint-Rémy près de Wissembourg où elles restent jusqu’à la fin de septembre. Le 12 octobre, le bataillon est au moulin de Bienwald [Bienwaldmühle]. Le 30, il est à Souffelweyersheim puis, le 11 novembre, rejoint l’armée de la Moselle avec laquelle il combat, le 29, à Kaiserslautern.

Le 3 février 1794, le bataillon est passé en revue à Metz. Le 31 janvier, il a incorporé une partie du 1er bataillon de réquisition de Sarrelouis. Son état-major est à présent de 18 personnes ; il est composé de 1 040 volontaires dont 124 sont à l’hôpital, 3 sont prisonniers de guerre et 46 au dépôt. A ces 827 volontaires présents s’ajoutent 27 canonniers et sapeurs3.

Le 16 mars, le bataillon rejoint l’armée du Rhin. Le 24, il est à Neustadt. Le 20 avril, il reçoit des réquisitionnaires de Nevers. Renforcé, le bataillon va sur Kaiserslautern, le 9 mai, où il combat les 22 et 23, perdant pied sur la rive droite et rejeté sur la rive gauche avec plus de 400 tués et prisonniers. Il déplore aussi la perte de ses équipages contenant ses archives. Il parvient toutefois à sauver ses canons et réussit à gagner Stelzenberg et Pirmassens.

Vers l’amalgame

Les 1er et 4 juin, le bataillon reçoit de nouvelles recrues venant de la réquisition de Broons, Rosternen et Yvetot. A compter du 19 juin, le bataillon est rattaché à la division du général Michel Reneauld, première division de l’armée de la Moselle.

Le 13 juillet, il bivouaque au camp de Martinshöhe puis se trouve à Cerf [sans doute Hirschhorn], le 17 août. Le 10 novembre, le bataillon est au camp d’Elrich [sans doute Hollerich] puis il prend ses quartiers d’hiver face à Luxembourg dont il participe au siège du 21 novembre 1794 au 17 avril 1795. Le bivouac hivernal de Luxembourg a permis de remettre l’administration à jour après la perte des équipages à Kaiserslautern. Ce n’est que le 23 octobre que le conseil d’administration peut refaire un contrôle du bataillon et, le 1er décembre, qu’il parvient à rétablir les registres de paiement.

Le 27 mai 1795, le bataillon peut enfin faire parvenir à Paris un double des registres de contrôle et de signalement du bataillon. Afin de payer les aides aux parents des défenseurs de la patrie, le conseil d’administration reçoit comme consigne de bien distinguer les volontaires morts sur les champs de bataille de ceux décédés de leurs blessures et de maladie.

Le 29 mai, le bataillon est dirigé sur Neuf-Brisach. Peu de temps après, à Belfort le 5 juillet 1795, il est amalgamé avec le 2e bataillon de Sainte-et-Marne et le 10e bis de la Côte-d’Or pour former la 199e demi-brigade qui fera campagne à l’armée des Alpes puis à l’armée d’Italie.

Jérôme Croyet

docteur en histoire

article de Traditions Magazine n°19 23 mars 2018

 

1 Dont semble faire partie Jacques François Simiot, fabricant d’orgue. “Antoine Lerouge, facteur d'orgue, parle d’un facteur du 3e régiment de l’Ain qui pourrait fort bien être Simiot”, courriel du 15 mars 2011 de Jean Jeltsh, directeur du Centre de formation de musiciens intervenants de l’université de Lille 3.

2 Ce détachement nuit gravement à la gestion des grenadiers qui ne bénéficient plus du soutien du bataillon. En effet, ayant combattu, les grenadiers ont beaucoup usé leurs vêtements au point que “plusieurs d’entre eux […] ont été forcés de marcher pieds nus dans les chemins les plus horribles”. Le 16 février, le département de l’Ain est sollicité pour financer le rééquipement de ces grenadiers.

 

3 Etat-major : 14. Compagnie des grenadiers : 83 dont 9 à l’hôpital. 1re compagnie : 123 dont 13 à l'hôpital. 2e compagnie : 123 dont 13 à l’hôpital. 3e compagnie : 123 dont 21 à l’hôpital. 4e compagnie : 123 dont 10 à l’hôpital. 5e compagnie : 123 dont 22 à l’hôpital. 6e compagnie : 123 dont 18 à l’hôpital. 7e compagnie : 123 dont 9 à l’hôpital et 3 prisonniers de guerre. 8e compagnie : 123 dont 15 à l’hôpital. Canonniers : 31 dont 9 à l’hôpital.

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