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1793 : les violences Révolutionnaires à Salon-de-Provence

Salon et le Midi : un espace privilégié de violences

En Provence, comme dans la partie haute de la vallée du Rhône, dès le début de la Révolution, deux partis politiques sopposent. Si dans lAin, ce bicamérisme existe, les partis et leurs séides ne sont pas toujours les mêmes et évoluent, se succèdent ou disparaissent au profit dun autre.

De 1789 à 1799, les troubles révolutionnaires qui secouent Salon et la Provence se matérialisent par « une violence individuelle et collective...essentiellement politique »[1]. Si cette violence nest pas propre au Midi, puisquon la retrouve tout au long de la vallée du Rhône, elle se caractérise par son ampleur, choquante, surtout pour les contemporains. En effet, entre 1790 et 1796, il sagit dune succession redondante de vengeances entre partisans politiques qui se traduit par des meurtres, des émeutes, des insurrections et des massacres, que lon retrouve aussi plus au Nord, dans la Rhône ou dans lAin, mais de manière moins répétées et moins violentes puisque lon ne trouve presque pas de crimes de sang politiques, peu démeutes mais plus de violence verbale et idéologique.

 

Une violence unisexe

A Salon et dans la Crau, cette violence na pas de sexe. Elle comprend les hommes et aussi les femmes alors que dans lAin, à la naissance du Rhône, les femmes ne se cantonnent que dans un rôle secondaire, de soutien moral de la lutte de leurs hommes. Dans les Bouches du Rhône, et dans la Crau, la femme prend part aux actions comme les hommes. A Salon, elles sont aussi un moteur de ces violences qui trouvent rapidement une ramification politique : ainsi en mai 1793, c'est des suites d'une rixe avec la femme d'un notable de Salon que Jacques Mille, doit fuit la ville, de peur des représailles exercées par son mari, informé par lettre de sa femme. C'est surtout au mois de juin 1793 que les femmes, par leur témoignage, jouent un rôle politique, sans doute instrumentalisé, dans les poursuites contre les sans-culottes. Là, c'est l'image de la femme qui entre en valeur et pèse son poids dans les déclarations.

 

Avant le geste, le verbe

Si à Salon, les femmes jouent un rôle de témoin privilégié, dans les Bouches du Rhône, avant den venir aux mains, la violence est déjà verbale.

En effet, il est fréquent que lon attribue aux femmes des propos violents du fait de leur incivisme, voire de leur hostilité à la loi au titre de « leur mauvaise langue », y compris pendant la Terreur de lan II. Ainsi au cours dune visite domiciliaire par la garde nationale à Mallemort en lan II, une femme refuse en criant « quelle ne reconnaissait pas le comité de surveillance de Mallemort, quil nétait composé que de noirs et daristocrates ». Ces prises de positions verbales féminines pallient les violences physiques quelles peuvent exercer plus difficilement que les hommes.

Toutefois la violence verbale nest pas lapanage des femmes, très tôt, elle devient une arme dans la bouche des partisans politisés. Ainsi durant la Terreur et lan II, Toulon est une « ville infâme » pour les jacobins. Ce discours sémantique est donné aux activistes du district de Salon comme un mot dordre par ladministration centrale de Marseille dès le mois de mars. Mais la violence verbale est aussi celle de la menace, qui n’a sans doute d’autre but que d’effrayer, sans pour autant être suivi d’effet, hormis celui de choquer : « où va le jean foutre, il ne me tient de rien de lui faire sauter la tête avec mon sabre »[2] dit Alexandre Dauphin, de la section des Pénitents Blancs en parlant de Rolland. Aux menaces s'ajoutent souvent les injures, bougres, jean-foutre ou misérable. Ces proses sont inhérentes au comportement des sans-culottes de l'an II, chez qui on retrouve des idées de Marat : «  si vous êtes des patriotes, retournez à Salon et pendez tous les coquins de bourgeois ». Ces propos seront une des grandes preuves à charge en 1795 pour traquer les sans-culottes, l'emploi des mots.

A cet usage commun du vocabulaire qualificatif issu des conversations ou de la correspondance pyramidale, sajoute celle issue de la diffusion et la lecture de brochures qui ont pour conséquence immédiate le décalage de vocabulaire et de comportement entre les révolutionnaires des villes et ceux des campagnes, "la violence verbale est répandue chez de très nombreux révolutionnaires de l'an II, en particulier ceux qui lisent et soutiennent le Père Duchesne. Dans ses mémoires, Fouché parle de phrases banales dans le langage du temps et qui, dans des temps plus calmes, inspirent encore une sorte d'effroi : ce langage d'ailleurs était pour ainsi dire officiel et consacré"[3].

 

Avec la chute des sans-culottes puis des jacobins, incarnés par Robespierre, à la Convention, le 9 terhmidor an II, un nouveau langage politique de la violence est ainsi mis en visibilité. Il sagit souvent de « propos terroristes » du temps des Jacobins, dénoncés en justice pendant lan III à des fins politiques par les thermidoriens. Il est question tout autant de propos qualifiés de « discours et propos de cet espèce de terrorisme », de « discours tendant à entretenir le terrorisme » que de « propos inspirant la terreur » en l'an II mais aussi en l'an III, ce qui devient une circonstance aggravante. Ainsi, les thermidoriens placent au niveau « du salut de la Patrie »[4], le fait de soccuper des « anarchistes » et des « terroristes » qui, en prairial an III pour les thermidoriens, « jettent encore des regards sanglants et menaçants »[5] écrit le procureur-général-syndic du département des Bouches du Rhône au procureur-syndic du district de Salon le 3 prairial an III.

De fait, le simple citoyen sen tient, à lexemple des septembriseurs, à une violence verbale sur le dit « traître », « infâme », « factieux », la justice thermidorienne de lan III impute aux autorités une violence verbale de classe exercée sur la dite « aristocratie bourgeoise ». Lorsquil est dénoncé en lan III, après la chute de Robespierre, lamalgame est fait ainsi entre les propos punitifs du terroriste et ceux des autorités jacobines[6].

 

Le geste

Au verbe s’ajoute parfois le geste : ainsi lorsque la fille Bauchier entre chez le citoyen Laffont, Pierre Moutet « lui dit en tirant son sabre…tiens voilà le sang du père Roland » et montre un « sabre sur lequel on distinguait des traces de sang »[7]. Non content de vouloir chercher à faire le malin face à une jeune femme de 18 ans, il rajoute « tu as eu bien peu de bon sens de m’empêcher de fendre le dos à Perrinet, je l’aurait ouvert comme un cochon ». La force des mots à laquelle s’ajoute le geste provoque le trouble, la crainte et la frayeur de l’auditoire qui peut, sous le choc se radicaliser face à une menace explicite mais pas pour autant réalisée.

Dès 1790, une constante de la Révolution en Provence et à Salon est le recours à la force et aux gestes violents ; non pas qu'elle soit absente ailleurs, comme dans l'Ain, mai elle est moins répétitive et spontanée. Dès l'été 1790, sous prétexte des fêtes, des menaces de mort avec intention de s'attaquer aux biens sont évoqués publiquement. En 1793, le geste de sortir son arme, et surtout son sabre, arme blanche, revient à faire la démonstration de sa force et de sa capacité possible d'action. A Salon, d'avril à août 1793, une partie importante des citoyens semble armé et résolu en faire usage.

 

La force des symboles

Au verbe et au geste s'ajoute la force des symboles : la manière de s'habiller, la plantation de l'arbre de la Liberté le 4 janvier 1793. Dans les Bouches du Rhône, les groupes rivaux s’opposent par les codes vestimentaires, des signes de ralliements, des chansons mais aussi les lieux de sociabilités comme les cafés ; en effet, le premier café ouvert en France l’est à Marseille, d’où la prépondérance de ces lieux en Bouches du Rhône et leur implantation sociale.

Cette sensibilité aux symboles est importante : ainsi, lors de la fête de l'Etre Suprême à Alleins, le 20 prairial an II, une petite statue de plâtre placée par la municipalité sur une colonne qui contenait auparavant une croix, chute au matin du fait de sa composition mal séchée. Ce non événement, relayé dans le canton, arrive jusqu'à Salon là, la rumeur devient que « les citoyens de cette commune égarée avaient détruit les emblèmes sacrés de la révolution et commis des attentats dont l'idée seule révolte des patriotes ». Des salonais se présentent alors à Alleins « sans doute pour vérifier si le rapport qu'on leur a fait est vrai ». Mais « il y a lieu de croire qu'ils se sont bien trompés en voyant le signe extérieur de la révolution très intact et les citoyens te les citoyennes du pays célébrant la fête du jour avec beaucoup de zèle et de patriotisme ».

 

Jérôme Croyet, docteur en histoire,

conférence aux Amis du Musée de Salon le 7 octobre 2015

 



[1]              CLAY (Stephen) : « Les réactions du Midi : conflits, continuités et violences », Annales historiques

                de la Révolution française n°345, 2006.

[2]              Témoignage de Jacques Roman, extrait du greffe du tribunal criminel des Bouches du Rhône, 24 juin 1793. A.D. 13 série L.

[3]              LUCAS (Colin) : La structure de la Terreur, lexemple de Javogues dans la Loire. Page 54.

[4]              Lettre du département des Bouches du Rhône au district de Salon, 29 frimaire an II. A.D. 13, série L.

[5]              Lettre du département des Bouches du Rhône au district de Salon, 29 frimaire an II. A.D. 13, série L.

[6]              Jacques Guilhaumou, "Percevoir et traduire la violence verbale du peuple. De lAncien régime au XIXème siècle", Révolution Française.net, Etudes, mis en ligne le 15 avril 2009,

[7]              Extrait du greffe du tribunal criminel du département des Bouches du Rhône, 12 juin 1793. A.D. 13 série L.

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