octobre 1948 : un bivouac Légionnaire

Bivouac Légionnaire

Par un de la 13e DBLE

Vu par le lieutenant-colonel Souchard, chef du service presse information des FAEO le 4 octobre 1948

 

Au milieu de la clairière, où les feux du soir faisaient déjà danser des lueurs sauvages, une clameur de joie venait de retentir. Dans la brève pénombre du crépuscule tropical, deux Dodges et une Jeep surgissaient de la piste forestière et s’avançaient cahin-caha, vers les vieux murs érodés de l’ancien poste abandonné.

  • V’là l’ravito ! s’exclamèrent les hommes

  • Mince alors ! si seulement y avait d’la barbaque fraîche, quel beefsteack je vous grille les gars !

Ruisselant de sueur, un légionnaire essuya son front, d’un revers de main, noire comme [du] charbon, ,jeta un regard à la boîte à eau qui commençait à bouillir, et au petit sachet de thé qu’il avait posé sur son sac de combat puis commanda d’une voix péremptoire :

  • Garçon, une bouteille de bière fraîche !

  • Boum : voilà ! répondit un pince sans rire.

Les hommes du groupement d’intervention en étaient carrément groggy ; mais oui, il y avait de la barbaque fraîche et du pain non moins frais, et des cigarettes et une bouteille de bière pour trois hommes et même, tenez vous bien, deux litres de pastis par section.

Du coup, vraiment, ce coin de clairière semblait moins perdu. Au milieu d’un brouhaha fiévreux, les gradés commencèrent bientôt la distribution des extras.

Ce soir-là, le « supper » des rations « Pacific »1 parachutées lors des journées précédentes resta dans les sacs de combat et la soirée fut parfumée de bonnes et saines odeurs de grillades.

La nuit était tombée … septième nuit de la poursuite de la bande Viet Minh qui, disloquée, tentait de s’infiltrer plus loin vers l’Est au cœur de la grande forêt. Dans un coin de l’enceinte, deux légionnaires avaient étendu leurs toiles de tente individuelles sur le sol et fumaient en silence, en contemplant les constellations. Tous deux se servaient de leur sac de combat en guise d’oreiller. La terre était douce à leurs reins fourbus par la marche du jour et comme ces cigarettes leur semblaient voluptueuses.

Gonzalès, un caporal, se mit à fredonner :

  • A la guerra, guerra, no-no, no-no, no-no, quiero ir

  • No quiero ir contigo a la Guerra

  • Porqué se comé mal y se duermé en la tierra

Un chef de groupe enchaîna :

  • Que dormiras en un leche de florès

  • Con quatro léjionnarès que te hablaren de amorès

La nuit était extraordinairement calme et douce. Les guetteurs accroupis auprès des F.M. en batterie veillaient sur le repos du groupement. Parmi ces ombres vigilantes, un tireur F.M. dont c’était le tour de garde, se mit à rêver … l’avant-guerre ; les anciens « bons amis » en complet veston swing…cette ravissante petite vipère de Jeanine … Tony…Simone…le trop élégant Robert…Elsa, la petite rousse…le jazz…la frénésie d’une jeunesse dorée et déjà frelatée. Il se rappela ses anciens dégoûts et un sourire amer erra sur ses lèvres. La guerre…les bombes soufflantes…l’exode…le pays qui s’éloigne…la Légion.

Autour de lui, il distingua les corps immobiles de ses camarades roulés dans leur toile de tente. Gonzalès fredonnait doucement un chant flamenco. Le chef de groupe lançait un dernier mégot qui décrivait dans la nuit une parabole incandescente.

  • Ma parole, tireur, voilà que tu te laisses aller à l’émotion, tu veux réveiller au hasard l’un de tes copains par de joyeuses bourrades et lui crier : vrai de vrai, vous êtes tous de sacrés potes, les premiers vrais chics types que j’ai rencontrés dans cette drôle de blague qu’est la vie … gueule donc : Vive la Légion, abruti !

  • Comme la croix du Sud est belle, ce soir, se borna-t-il à murmurer.

 

1 En 1947 et début 1948, les troupes françaises en Indochine, perçoivent les rations anglaises dénommées "PACIFIC". Elles se présentent sous la forme d'une caisse en bois contenant des conserves telles que de la viande, du pâté, du rolley oat, des flocons d'avoine, sucre, thé, une boîte de biscuits remplaçant le pain et une boîte ronde de 50 cigarettes de marque PLAYERS et d'autres ingrédients. Cette ration destinée à une section pèse lourd, près de trois kilos. Bien que mangeables, elles ne conviennent pas au climat ; elles contiennent trop de biscuits secs, de chocolat, de confiture, de pâté qui tourne avec la chaleur, ce qui entraine un énorme gaspillage.

Écrire commentaire

Commentaires: 0