1949 : lettres d'Indochine

Situation du 3e REI en 1949

En début d’année, une série d’actions sanglantes éprouvent les unités implantées sur la R.C.4. dont le 3e R.E.I. Au prix de fatigues inouïes et de pertes considérables, les unités du 3e R.E.I. s’accrochent au terrain, repoussent les assauts, déjouent les embuscades et assurent la sécurité des convois.

Le 20 janvier, la 11e compagnie du 3e bataillon du 3e R.E.I. assure l’ouverture de la R.C.4 au sud de Dong Khé pour le passage du convoi Langson – Cao Bang. Brusquement une grosse embuscade se dévoile. Une mitrailleuse, deux F.M., des armes automatiques et des snipers rebelles ouvre un feu meurtrier sur la section de tête. Le capitaine Pierre Puiroux et plusieurs légionnaires sont mortellement touchés. Les rebelles cernent déjà les légionnaires quand les blindés du convoi font leur apparition et repoussent les assaillants.

 Le 25 janvier, au nord de Dong Khé, le lieutenant Jean Potet du 3e bataillon du 3e R.E.I. trouve la mort alors que sa section ouvre la route pour un convoi de ravitaillement et d’eau destiné à un poste perché sur un piton rocheux. Au cours d’une mission, le lieutenant Gabriel Olié, officier de renseignement, est grièvement blessé au visage lors d’une embuscade.

Février 1949 : embuscade sur la R.C.4.

Les Viêts montent une embuscade sur la R.C.4 contre un convoi escorté par des légionnaires du 3e R.E.I., une embuscade techniquement parfaite. La route est minée. Les mines explosent juste après le passage des automitrailleuses de tête, les séparant du reste du convoi. Des mitrailleuses viêts, postées dans les anfractuosités du rocher, ouvrent le feu. Une masse jaune, plusieurs milliers d’hommes, livre alors son assaut classique en hurlant. Le chef de l’escorte, le colonel Simon, chef de corps du 3e R.E.I., réussit à former un carré d’une centaine de légionnaires, qui se défendent de près à la grenade. Grâce à son intelligence et à son énergie, l’effectif du convoi n’est pas entièrement massacré. La résistance des légionnaires du colonel Simon se prolonge plusieurs heures, jusqu’à l’arrivée d’une colonne blindée de secours. Les Viêts disparaissent alors dans la jungle. Mais des combats impitoyables continuent à se dérouler sur la route maudite. Les Viêts achèvent les blessés au coupe-coupe. Des légionnaires, sur le point d’être capturés, se font sauter la cervelle.

En mars, tous les postes tenus par les légionnaires du II/3e R.E.I. sont tâtés de nuit. Le 2 mars, une patrouille est accrochée à Loung Phai perdant un tué, le légionnaire Lucien Laurenti et plusieurs blessés. Le 14 mars, le poste de Loung Phai est attaqué. Dans la nuit du 15 au 16 mars, les postes de That Khé, du Pont Bascou, du Song Ky Kong, de Déo Kat et de Ben Mé, reçoivent successivement la visite des rebelles. Ce sont souvent de terribles mêlées et la liste des morts et des blessés s’allonge.

 Au poste de Song Ky Kong, P.C. de la 8e compagnie du II/3e R.E.I., défendu par une seule section, il y a peu de monde face à 1 500 rebelles dotés d’un armement considérable. Les obus tombent ; le lieutenant Hervé Le Gouaille, blessé deux fois par des éclats, se bat toujours et dirige la défense, en attendant la troisième blessure mortelle. Les bâtiments flambent ; les rares survivants sont cernés par les rebelles. Le silence retombe sur les débris calcinés du poste.

 Au poste de Déo Kat, tenu par un sergent-chef et deux groupes de légionnaires, la lutte n’a pas été moins terrible, mais là, il n’y a aucun survivant. L’historique du régiment retient seulement que 30 légionnaires et partisans ont combattu jusqu’à la mort, suivant la tradition. Fin mars 1949 : après avoir opéré dans le delta tonkinois durant quelques semaines, la Compagnie Para du 3e R.E.I. est aérotransportée sur Lao Kay, en bordure du Yunnan chinois.

Du 16 au 21 avril 1949, la Compagnie para du 3e R.E.I. du lieutenant Jacques Morin représente la force d’intervention du secteur de Lao Kay et elle n’est pas ménagée. Le 16, la section du lieutenant Audoye saute aux abords de Lao Kay. Le 21, la section du lieutenant Vion saute sur Lang Lom. Mais les Viêts, désormais, disposent de mortiers de 81 et de 120, voire de canons de 75. La phase de la simple guérilla s’éloigne. En avril et mai 1949, la compagnie parachutiste du 3e R.E.I. agit en tant que compagnie isolée, parcourant tout le secteur de Lao-Kay sur la frontière chinoise.

 

Les courriers du lieutenant Cariou du 3e REI à sa fiancée à Quimper

 

Le 2 janvier 1949

Ma chérie

Et voilà ma nouvelle feuille de comptabilité à ouvrir : correspondance 1949.

Le 1er janvier s’est passé calmement : l’après-midi j’ai fait une belote avec des légionnaires.

Demain, je pense qu’il y aura convoi : peut-être aura-t-on des nouvelles fraîches.

La semaine dernière le Père Noël nous a gâtés à ce sujet.

Par contre, le temps a été déplorable. Mais le 31, ça c’est levé et depuis, c’est convenable : ciel couvert, température un peu fraîche. La boue a séchée : et les godillots ne sont plus crottés.

J’ai même recommencé à mettre des souliers bas : c’est mon habitude, ça repose les pieds.

J’entends la radio qui lance des appels frénétiques dans l’air et aussi les coups de pioches des légionnaires : je suis en train de construire une tour-blockhaus formidable. Il en entre des rondins et de la terre dedans ! Ce sera un bel ouvrage quand ce sera terminé : encore trois ou quatre jours à travailler dessus.

Nous venons donc d’aborder la dernière phase de la campagne, du moins pour notre renfort. Certains ont le sourire, inutile de te le dire. Espérons que des derniers mois se passeront bien.

Bientôt les beaux jours reviendront et avec eux le retour à la terre natale.

J’ai hâte de te serrer dans mes bras…la suite n’est pas dite dans la chanson.

Je repends ma lettre du 3. Le convoi ce matin m’a apporté trois lettres de toi, du 16, du 18 et du 22. Je réponds à quelques questions : c’est le 31 mai que nous sommes débarqués à Saïgon et non le 8. Si donc tout se passe normalement, je serai en juillet à Quimper. Il faut compter un mois à un mois et demi de voyage.

Tu te plains de ne pas recevoir de longue lettre : mais que veux-tu que je t’écrire ? je ne vais pas passer mon temps à te parler de guerre ou de politique (les communistes chinois à notre frontière, etc) on en entend assez parler ici.

Quand j’écris c’est pour recevoir d’autres lettres en retour, donc, pour me distraire et non pour m’abrutir en pensant aux Viets.

Je ne peux te parler de mes distractions, je n’en ai pas. Je ne peux te parler de ma congare je n’en ai pas, quant à te parler d’amour, ce n’est pas l’ambiance qui m’inspire. Le travail est austère.

Néanmoins, puisque tu es bien sage je vais t’envoyer une photo pour tes étrennes : es tu contente ? souris.

Dans quelques temps, je t’en enverrai d’autres.

Je te caresse et t’embrasse

Claudy

 

Le 22 janvier 1949

Chérie

Voici ton poulain dans un nouveau secteur : et dans deux jours je serai même en contact à la frontière avec les hommes de Tchang-Khaï-Check. Je vais en effet remplacer un camarade pour quelques jours au poste frontière.

Espérons que les Fils du Ciel conserveront leur légendaire sourire (voir « le Pays » du même nom) pour recevoir l’Enfant de Kemper-Corentin.

Le poste où je suis actuellement, et celui où je serai, sont situés en bordure du Song Ky Kung, affluent du Si-Kiang, qui coule en Chine. Si tu as une carte un peu détaillée, tu pourras situer.

Ici c’est d’ailleurs épatant pour se baigner, au contraire de la Cochinchine : il y a une belle plage de sable et je ne vais pas tarder à aller faire quelques brasses : le temps est beau depuis quinze jours et le soleil chauffe bien l’après-midi.

Le moral est-il meilleur depuis les fêtes ? chez moi, il est toujours bon : dame, le mois de janvier est presque torpillé. Un de moins, comme dit l’autre !

Je suis actuellement en belle forme et j’aurais volontiers puoé au foot ; hélas ! il faudra attendre.

Es-tu habillée comme les femmes que l’on voit sur les magazines que l’on reçoit ? la mode ne me plait pas. Elle changera peut-être l’année prochaine.

Pour nous, la mode est très simple : un pantalon de toile, une chemise et ça suffit : on supporte largement le blouson de drap quand il n’y a pas de soleil.

Dans deux mois, la saison fraîche sera terminée ici, mais ce sera alors la saison des pluies !

Et là, vraiment, ça dégouline !

Je ne connais pas les titres des bouquins que tu me cites dans une de tes dernières lettres, chérie : moi, je vais attaquer la lecture de « la naissance de Jalna »[1].

Ici, on achète ce qu’on trouve ; il n’y a pas le choix. Quand je dis « ici », je parle évidement de Langson, car la nature ne se pare guère alentour de devantures de librairies.

Il n’ya même plus de gnaqués dans le village à côté : ils sont tous partis aux Viets.

Tu me parlais de la messe de minuit : que t’imagines-tu ? L’église la plus proche est à 40 kms. La population d’ici est surtout de religion bouddique.

Je t’embrasse tendrement, chérie : bye, bye, Jo !

Claudy

 

Le 2 février 1949

Ma chérie

Je n’ai pas reçu de courrier depuis quinze jours (à cause du manque de liaison) mais je ne pleure pas pour cela, comme tu as l’habitude de le faire.

J’espère tout de même qu’après-demain on le verra arriver.

Tu recevras cette lettre en même temps que la précédente, écrite le 26 ou  le 27 janvier, je crois.

Les relations diplomatiques avec les Chinois sont toujours bonnes : je n’ai pas encore créé d’incident de frontière. Ca viendra peut-être.

Suis bien l’évolution de la situation en Chine. Elle nous intéresse au plus haut point. Peut-être un jour aurons-nous les communistes chinois en face de nous à la frontière : les communistes chinois, c'est-à-dire Moscou.

Ce jour-là, ce ne sera pas drôle : mais ce n’est pas encore pour tout de suite.

A part cela, poupée, je ne m’amuse pas beaucoup ici : en effet, j’ai laissé mes cantines au P.C. de la compagnie, puisque je ne suis ici que pour quelques jours. Et ça manque un peu de lecture. Je vais néanmoins attaquer « Le Zéro et l’Infini » [2] de Koestler.

Le temps se maintient : c’est une température idéale. Je me promènerais volontiers avec toi dans la campagne. Mais la campagne n’est pas sûre et tu n’es pas là.

Voilà : je vais aller manger.

Je te quitte en t’embrassant tendrement.

Au revoir chérie

Claudy

 

Le 19 mars 1949

Ma chérie

Je t’ai écrit il n’y a pas si longtemps mais je recommence aujourd’hui : tu vois que je suis plein d’attention. Pourtant je suis persuadé que celle-ci te parviendra en même temps que l’autre, car le départ du courrier dépend des liaisons et il n’y en a pas eu ces jours-ci : j’ai reçu ta lettre du 1er mars, mais aucune datée entre le 22 février et le 1er mars : il y a donc une anomalie dans le courrier.

J’ai lu un excllent livre : « l’Insatiable » [3] de Ben Ames Williams ; si tu peux te le procurer n’hésite pas : je vais maintenant attaquer « les Ailes au Zénith »[4] livre d’aviation.

IL y a à la compagnie une excellente série de romans anglais et américains (traduits naturellement) et aussi pas mal de romans policiers.

Mes disques préférés sont pour l’instant « Tango Louis XV » [5], « Sortilèges Nocturnes »[6], « Harlem » et deux ou trois slows en solo de clarinette. Je compte m’attaquer à la clarinette pendant ma permission ; je pense que ça marchera. C’est là un de mes nombreux projets : j’ai le droit d’en faire, ne trouves tu pas ?

Deux ans c’est bien long quand même, mes nerfs sont fatigués ; il est vrai que le temps est dur à supporter ces jours-ci.

Je donnerai bien 100 00 francs pour être en France le mois prochain ; enfin, patientons ! Encore deux mois et demi.

Ne compte pas sur moi pour aller acheter des ustensiles de cuisine avec toi : je déteste cela. Tu sais, le ménage ne m’intéresse pas beaucoup. Je suis flemmard pour tout ce qui le concerne, je n’ai su ni cirer les souliers, ni faire un lit, ni laver la vaisselle. Voilà, tu es prévenue !

Je t’avais demandé de me copier « Printemps » et non « C’est le Printemps » (celui-ci je ne le connais pas). Je serais très heureux si tu pouvais m’envoyer « Samedi Soir », « Nicole » et « Le P’tit Louis ».

Sois gentille

Je t’embrasse tendrement Claudy

 

Jérôme Croyet

docteur en histoire

 

 



[1] C’est une saga familiale en 7 volumes de Mazo de la Roche

[2] Écrit de 1938 à 1940, paru en France dès 1945, Le Zéro et l'Infini est un des grands "classiques" du XXè siècle, ainsi qu'un best-seller mondial. Inspiré des grands procès de Moscou, le roman imagine l'itinéraire d'un responsable communiste, Roubachof, jeté en prison et jugé après avoir été lui-même un "épurateur."

[3] Le livre parait en 1946

[4] Roman d’Ernest Gann qui retrace la vie d’une escadrille au temps de l’aviation commerciale.

[5] Ttire de Jean Raphaël sorti dans l’album Thé Dansant

[6] Titre de Primo Corchia et son orchestre.

Écrire commentaire

Commentaires: 0