1914 : la mobilisation

Dès le 27 juillet 1914, des bruits de la guerre à venir se répandent à Bourg. Les habitants du quartier Bel-Air se précipitent dans les banques. Le 31 juillet, le 23e RI est mis en alerte puis mis en route quelques heures plus tard. Ce n’est que le dimanche 2 août, que la Mairie de Bourg affiche la Mobilisation Générale : la guerre est bien déclarée. La ville est en état de siège. Le quartier de la gare devient un lieu stratégique.

 

La mobilisation des hommes et des moyens

La mobilisation générale est décrétée le 1er août 1914. De 11h 54 et 18h 14, le 23e RI de Bourg, caserné à Brouet, prend le train pour Remiremont où il arrive le 2 avant d’être déployé en opération le 13. A la gare de Bourg, ce sont près de 2000 personnes se pressent pour soutenir les soldats  en criant « Vive la France ». Dès le 2, les hommes rejoignent les casernements des 23e et 133e régiments d’infanterie[1] à Bourg ou à Belley, dans lesquels servent la grande majorité des conscrits de l’Ain, en vertu du système des régiments de paÿs mis en place sous le 1er Empire. Les mobilisés de la réserve de l’armée d’active sont incorporés au 223e RI qui se forme à Carriat et au séminaire de Brou pour être déployé dès le 26 août. Les mobilisés de l’armée territoriale entrent au 55e RIT qui part lui aussi de la gare de Bourg pour Belfort le 5 août 1914, à 10h 20, sous l’œil de l’appareil photo du chapelier Segaud. La gare devient dès lors le lieu de passage obligatoire des soldats qui partent et de ceux qui arrivent, créant beaucoup d’animation  dans le quartier. C’est ainsi, en l’espace de quelques jours la presque totalité des hommes en état de travailler qui quittent leur foyer, laissant champs, entreprises et boutiques à la gestion des parents ou de leurs épouses.

Si des soldats partent, d’autres ne tardent pas à revenir du front où « beaucoup de travail, malades dociles soignés au son du canon, vie agréable, soirées charmantes, c’est parfait » écrit l’ambulancier Fournier à mr Dedienne demeurant 12 rue de la Liberté, d’Epinal. En effet, rapidement, un premier train de 150 blessés arrive en gare et sont répartis entre Saint Joseph, le lycée de Jeunes filles et l’hôpital. Afin de nourrir et d’aider les plus nécessiteux, un poste alimentaire de la Croix-Rouge est installé à la gare de Bourg, vers le buffet au printemps 1915.

 

Ce sont près de 3 600 000 hommes qui se retrouvent sous l’uniforme en l’espace de quelques jours. Parmi eux 2 500 000 réservistes. La ferveur est à son comble et le moral au beau fixe. Pour les contemporains, la guerre sera courte et pour les politiques de l’Ain « le flot russe brise la ligne est de l’Empire barbare. On va vers la victoire »[2]. Parmi les 2 500 000 réservistes mobilisés, ceux qui appartiennent aux classes 1887 à 1898 constituent l’infanterie territoriale. Les régiments territoriaux de l’Ain sont le 55e et le 56e régiments d’infanterie territoriale. Pour les soldats qui entrent dans cette catégorie la chance leur sourie : « ma classe nira pas au feu »[3], provisoirement car ils seront dissous en 1916 et les hommes envoyés dans des unités combattantes.

Fin 1916, l’armée française compte 114 divisions pour 2 881 400 soldats mobilisés dont 1 477 000 fantassins.

Au fur et à mesure de l’enlisement du conflit et de la mécanisation de l’armée, les soldats de l’Ain ne sont plus seulement au 23e, au 133e ou au 44e de Lons mais sont largement disséminés dans différents régiments et armes au gré des nécessités. Malgré cet éclatement, durant tout le conflit, la notion d’appartenance à l’Ain reste très ancrée chez les soldats. Lors du passage d’un bataillon, on cherche les gars du paÿs et c’est avec eux que l’on partage le peu ou avec qui on se réuni en priorité : «c’est aujourd’hui la Saint-Vincent…nous allons souper à l’hôtel de Paris. Nous sommes une douzaine à table, tous de l’Ain et des environs »[4]. En certains cas, cette notion de territoire, fraternelle, a des conséquences matérielles non négligeables : « un bataillon du 56e territorial vient chercher de la viande. Il n’en a pas de prévu. Je lui donne ce qu’il me reste 135 kg parce que c’est des soldats de l’Ain »[5].

Avec l’entrée en guerre de l’Italie et du Portgual, l’Ain se trouve territoire de mobilisation pour les émigrés. Le 3 janvier 1916, le vice-consul du Portugal à Lyon invite les portugais résidant dans l’Ain à se présenter au consulat, sous peine d’être considérer comme réfractaires. Le 10 janvier 1916, le Consolato General d’Italia averti de le préfet de l’Ain de publier « l’appel général sous les drapeaux…de tous les districts militaires du Royaume appartenant aux classes et armes suivantes : 1882 – 1883 artillerie lourde campagne, 1882 – 1883 – artillerie de côte, 1887 – 1888 – artillerie à cheval »[6].

 

Durant la Grande Guerre près de 800 000 hommes des troupes coloniales et 200 000 travailleurs coloniaux[7] sont mobilisés. Les tirailleurs sénégalais sont tous les militaires provenant des territoires de l’Afrique Française. Aguerris et entraînés, ils sont engagés dès les premières batailles et se battent avec ardeur malgré des conditions climatiques dures et la distribution exceptionnelles de chaussettes et de lainage. Les seuls dotés de machettes et habillés en kaki, ils se font rapidement craindre par les Allemands. De leur côté les tirailleurs algériens et marocains ne sont pas en reste de courage et le 1er régiment de tirailleurs marocains qui sera après guerre en garnison à Bourg reçoit des Allemands le surnom d’Hirondelles de la Mort. Si jusqu’à la fin de 1914, le passage d’une « compagnie de nègre »[8] est un événement à ne pas manquer pour les poilus de l’Ain, rapidement, malgré la différence de couleur de peau et un vocabulaire dénué de xénophobie ou de racisme, les poilus ne font plus de différence entre eux et les coloniaux. Au contraire, ils rendent hommage à leur courage[9] et ne considère le bleu horizon que comme la seule couleur et la seule valeur humaine et viril.

 

Hormis les hommes, les chevaux et les mulets aussi sont mobilisés. Dès la fin 1914 il ne faut plus des chevaux de guerre mais des chevaux solides et infatigables pour charrier et tirer : l’armée en utilise alors 600 000. Rapidement, même si la cavalerie montée disparaît, le manque de chevaux se fait sentir, il faut alors en importer des Etat-Unis et d’Argentine et les rendre rapidement apte au service. Pour ceci une méthode de dressage rationnelle, intelligente et respectueuse de l’animal est mise au point à Lyon en 1916. 1 880 000 chevaux et mulets sont mobilisés entre le 31 juillet 1914 et le 11 décembre 1818. Compagnon de guerre, le cheval, partageant les souffrances de la guerre, est alors humanisé par leurs frères d’armes humains et par les soins qu’ils requièrent. 6 473 862 entrées de chevaux aux infirmeries sont enregistrées durant la guerre et 758 507 meurent à la guerre soit 80% de l’effectif global.

 

Jérôme Croyet

membre du GmT 713 

 



[1]              Les 23ème et 133e Régiments d'Infanterie vont combattre en Alsace en 1914, dans les Vosges en 1915, dans la Somme en 1916, en Champagne en 1917 et dans les Flandres en 1918, au sein de la même brigade, devenant des régiments d’élite de l’armée française.

[2]              Alexandre Bérard de Bourg, Sénateur. Bourg, 27 août 1914 à Francisque Déléaz au 18e dragons. Coll. Part.

[3]              Henri Lévêque de Belley. Chef de musique et chansonnier, agent d’assurance à Belley. Il sert au 135e régiment d’infanterie, 28e compagnie puis provisoirement au 71e régiment territorial, 15e compagnie. 10 juillet 1915 de Fontevrault à sa compagne

[4]              Journal de Joseph Suchet, 22 janvier 1915.

[5]              Journal de Joseph Suchet, 26 janvier 1915.

[6]              Lettre du consul général d’Italie au préfet de l’Ain, Lyon, 10 janvier 1916. .A.D. Ain 1R.

[7]              Les travailleurs coloniaux sont employés dans les services et les unités de travailleurs à l’arrière, libérant des hommes pour le front, notamment les territoriaux.

[8]              Lettre du poilu Foray du 223e RI de Saint-Julien-sur-Reyssouze à sa femme. 25 octobre 1914. Coll. Part.

[9]              Carte postale du poilu Charvet, du 223e RI, à sa femme à Lescheroux. N.d. Coll. Part.

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