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1806 : un officier d'artillerie désireux de quitter l'armée

 

Voici une lettre d'un jeune lieutenant d'artillerie qui écrit à un de ses camarades afin d'avoir son avis sur l'opportunité de mener une carrière militaire.

 

Cette lettre s'inscrit en complément de l'ouvrage Paroles de Grognards 

 

"Paris le 17 mai 1806

Je suis à Paris, mon cher Puvis1, depuis environ douze jours ; tu sais combien j’avais besoin d’y être et tu devines facilement combien je crainds d’être rappelé.

Le Patron m’a donné une manière de congé indéfini. Je resterai ici autant qu’eux à Augsbourg et s’ils reviennent, je dois rester encore.

Toute ma famille me sollicite de renoncer à mon état, la raison me dit d’écouter leurs conseils, mes goûts m’y engagent aussi mais je ne sais quelle crainte m’arrête. Je crainds de me repentir lorsqu’il n’en sera plus temps et de former, pour rentrer dans la place que j’aurais quitté, des vœux aussi inutiles que déplacés. D’un autre côté, que puis-je espérer en restant militaire, le grade de capitaine dans quatre ans, cinq peut-être. Je puis n’être qu’un très tard chef de bataillon. Je n’ai même aucune certitude d’y jamais parvenir ; dans les chances les plus favorables, c’est à devenir colonel à un âge qui me forecerait bientôt de me retirer, que je dois borner toute mon ambition. J’aurais donc sacrifié toute ma vie, car qu’est ce que la fin de la carrière d’un vieux militaire, pour avoir une retraite de deux milles et quelques cent francs. Et jusque là qu’elle aurait été mon existence ? Que de dégoûts, que de vexations, que d’injustices à assurer ; tu connais nos chefs.

Je ne puis, il est vrai, me plaindre en aucune manière de mon général mais je ne puis rester éternellement avec lui, sous la verge de qui tomberais-je en le quittant ?

Tu as été justement, mon cher Puvis, dans la position où je me trouve et tu t’es décidé pour la vie tranquille. Les premières lettres que tu m’écrivis lorsque tu fus retourné chez toi me firent craindre que tu ne regretasses l’état militaire, les suivantes m’ont rassuré. J’ai cru y voir l’expression de la satisfaction et du bonheur de ta position actuelle.

Dis moi, mon ami, avec franchise, ce que je dois penser de tes propres idées sur la démission. Eclaires moi sur ce que je dois craindre et espérer d’une semblable démarche.

J’ai maintenant environ 7 000 livres de rente. Je puis me passer de mon état ou en trouver facielement un qui le vaille du côté de l’argent. Je sent même que l’oisiveté ne me conviendrait pas, la liberté finirait, je crois, par me peser étrangement, quoi qu’il y ai peu de temps que je suis ici, je me sents étonné, pour ainsi dire, de n’avoir rien d’obligé à faire, et de pouvoir disposer de tous mes moments.

Il me semble même que je serai assez disposé à supporter le joug de l’himek. Je ne voudrai pas pour le prendre attendre la cinquantaine. Je me rappelle que tu m’as dit : qui cinquante ans aura veau …

Croirais-tu que la disette de jeunes gens est telle ici que quoi je sois à peine arrivé, et que pour me mettre en ménage je puisse encore paraître jeune puisque je n’ai que 24 ans.

On m’a déjà fait faire deux propositions différentes et toutes deux avantageuses du côté de la fortune. L’une ne me convient pas, l’autre demande de la réflexion ; si cela vait quelque suite, je t’en informerai.

Fais moi le plaisir de me répondre de suite, adressses moi ta lettre Cloitre Notre-Dame n°2.

Adieu, ton ami Doutcet

Comme Pluyette, plusieurs autres veulent aussi quitter"

 

 

 

1Il s’agit de Marc Antoine Puvis, né le 27 octobre 1776 à Cuiseaux. Elève de l’école Polytechnique il devient officier d’artillerie en l’an V. Sous-lieutenant d’artillerie, il quitte le service militaire en 1807 pour se consacrer à des études d’agronomie. Membre de la société d’agriculture, sciences et arts du département de l’Ain de 1807 à 1813. Membre du Conseil Général de 1818 à 1833. Maire de Bourg en 1830 et 1831, député de l’Ain en 1831. Chevalier de la légion d’honneur le 29 avril 1836.   

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