1863 : Napoléon III, Empereur des Arabes

La région d’El Milia appartient géographiquement au domaine du massif de Collo, ses habitants sont de culture arabo-berbère mais arabophones.

Foyer de nombreux combats face aux colons français, son assujettissement n’est pas simple. Les troupes françaises y parviennent qu’après des campagnes successives en 1847, 1850, 1851, 1852, 1853, 1858, 1860, 1861 et 1865, dirigées par des généraux.

La prise du pouvoir par Napoléon III apporte, durant cette décade, un changement radical dans la politique coloniale. « L'Algérie, dit-il, n'est pas une colonie proprement dite, mais un Royaume arabe ». Ces propos passent très mal auprès des colons, jusque là favorisé, car pour Napoléon III, « L'Algérie doit être pour la France un accroissement de force et non une cause d'affaiblissement ». « En 1860, lors de son passage en Algérie, il prévoyait déjà les grandes lignes de son projet qui deviendra le Sénatus-consulte du 22 avril 1863. Ce texte consistait en la création de circonscriptions territoriales, les "Douars Communes", futures communes arabes, dotées de Conseils délibératifs ou Djemâas. Ces communes étaient destinées, bien sûr, à remplacer le cadre "anachronique" de la tribu. Une campagne fort décidée fut menée contre "l'Empereur des Arabes" »[1] par les colons. La ville d’El Milia a longtemps été un ensemble de petites mechtas dispersées jusqu'en 1860 où un petit village les reliant a été construit par les colons français, sous la direction du département de Constantine

Toutefois, « avec la crise agricole de 1866 – 1870, avec l'effondrement de l'Empire, l'instauration en France du régime parlementaire, la victoire des colons s'affirma ». Depuis l'installation dans la ville d'El-Milia, du borj en 1860, qui permet de gérer les Ouled Aïdoun, ces derniers humiliés et ruinés face à la soumission des impôts et l'exploitation de leurs richesses, comme ils le furent face aux colons Turcs, se décident à la fin d'une réunion, d'attaquer le camp d'El-Milia et de prendre le contrôle de la tour militaire française. Cette révolte du 14 février 1871[2] marque le début du soulèvement armé général dans la Kabylie orientale. « C'est ainsi que l'ère d'une colonisation officielle prospère et l'amorce d'une colonisation libre est désormais ouverte ».

 

 

« Gouverment général de l’Algérie

Bureau Politique

 

Minute de la lettre écrite par le Gouverneur Général à Son Excllence le ministre de la Guerre

 

Monsieur le Maréchal, j’ai l’honneur d’adresser à Votre Excellence le dossier établi par la commission administrative de Constantine à la suite de l’application au territoire des B. Sbihi, de l’anneau d’El Milia, des opérations prescrites par les ## 1 et 2 de l’article 2 du Sénatus Consulte du 22 avril 1863.

Ce travail n’a présenté aucune difficulté et toutes les propositions qui en résultent me paraissent de nature à être adoptées. Je prie Votre Excellence de vouloir bien soumettre à la signature de l’Empereur les deux projets de décrets ci-joints.

 

Rapport à l’Empereur

Sire,

La commission administrative de Constantine a terminé, dans la tribu des B. Sbihi, de l’anneau d’El Milia, l’application des dispositions prescrites par les ## 1 et 2 de l’article 2 du Sénatus Consulte du 22 avril 1863 et j’ai l’honneur de placer le résultat de ses opérations sous les yeux de Votre Majesté.

L’historique des B. Sbihi n’offre aucun fait remarquable. Leur soumissions à l’autorité Turque fut toujours plutôt nominale que réelle et ils ne payaient pas l’impôt que contraints par les colonnes des Beys. Leurs habitudes d’insurrection et de désordre les ont jetés dans toutes les luttes dont cette région a été le théâtre contre la domination française. Soumis depuis 1852, ils sont encore signalés pour leur esprit pillard et insubordonné.

Le territoire situé à environ 20 kilomètres au Sud-Est d’El Milia est borné au Nord par les O. Embarck et les O. El Hadj ; à l’Est par cette dernière tribu ; au Sud par les B. Ouelban et les B. Telilen ; à l’Ouest par les mêmes B. Telilen et les O. Embarck. Il est formé par la partie supérieure de la vallée de l’Oued El Melah, affluent de droite de l’Oued El Kébir. Des montagnes escarpées et boisées de chêne liège, où prennent naissance de nombreux ravins et sources le circonscrirent au Nord, à l’Est et au Sud.

Le sol très tourmenté et d’un accès difficile, convient cependant à la culture dans les parties basses. La tribu possède quelques jardins et environ 7 à 8000 pieds d’oliviers qui constituent sa principale ressource.

La population répartie en quatre villages compte 658 habitants, le cheptel se compose de 49 chevaux ou juments, 44 mulets, 1273 bœufs, 1563 moutons, 2017 chèvres. Les B. Sbihi possèdent 300 ruches à miel, labourent [avec] 71 charrues et payent un impôt de 7144 francs 12 centimes dont 1089 francs 77 de centimes additionnels. Ils n’ont pas d’industrie spéciale.

La délimitation n’a soulevée aucune difficulté. La superficie de la tribu est de 3272 hectares 63.

Dans ces conditions, il ne sera formé qu’un seul douar qui conservera le nom d’O. Sbihi.

La propriété présente le caractère essentiellement melk ; ce sont les ancêtres des détenteurs actuels qui ont créé, au milieu des forêts, les terrains de culture existants et se les sont ainsi appropriés par le défrichement. La superficie des terres de cette nature est de 2146 hectares 84.96.

Le domaine a revendiqué six massifs boisés, non concédés, dont la contenance est de 1099 hectares 93.90. La djemâa n’a pas fait d’opposition mais a réclamé le maintien des droits d’usage de la tribu sur ces forêts.

Par suite d’un arrangement intervenu entre les parties intéressées, les quatre massifs, n° 5, 6, 7 et 8 du plan, d’une étendue de 179 hectares 63.50, situés dans l’intérieur de la tribu, seraient constitués en vois communaux soumis au régime forestier, tandis que les massifs n°3 et 4, d’une surface de 920 hectares 30.40, placés sur les montagnes qui forment trois des côtés du pourtour du territoire et qui se rattachent à d’autres parties boisées sises dans les tribus voisines, resteraient dévolus à l’Etat affranchis de toute servitude. Cette transaction est sanctionnée par un article spécial du projet de décret de répartition.

Les B. Sbihi n’ont pas de terres collectives de culture. Outre les bois, dont il vient d’être question, les communaux comprennent 7 cimetières, de 4  hectares 00.14 de superficie. Le domaine public s’étend sur 21 hectares 84.

Ces propositions et classifications me paraissent conformer aux décrets et instructions qui régiment l’application du Sénatus Consulte dans les tribus ; si Votre Majesté daigne les approuver, je la prie de vouloir bien signer les deux projets de décrets ci-joints.

Le sol étant occupé à tire de melk, les transactions immobilières sont incontestablement libres chez les B. Sbihi".

 



[1] BENCHEIKH-EL-FEGOUNABBASSI (Fatiah) : L’impact des lois foncières coloniales sur la situation socio-économique des paysans Algériens, de 1873 à 1911 Application à trois communes de l’ancien arrondissement de Constantine (El Khroub-Oum el Bouaghi-El Milia). Thèse de Sociologie du développement, Université Mentouri de Constantine, 2007.

[2] Avec l’effondrement de l’Empire et la fin de la politique Impériale, les paysans Algériens se trouvent au bord du gouffre. Ils sont dans l'obligation de payer les créances exigées par les banques qui ont fait des prêts aux tribus pendant la crise frumentaire de 1866. A ce ci s’ajoute l'instauration du régime civil, la lourdeur des impôts, ce qui les poussent à la révolte de 1871.

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