se définir vis-à-vis de ses contraires

3.0 UN MODE DE PENSER BINAIRE : SE DEFINIR PAR SES CONTRAIRES

 

            Afin de se constituer en groupe, les patriotes puis les sans-culottes se définissent par opposition à leurs adversaires. A la différence près que les patriotes de 1789 ne se définissaient que par rapport à la noblesse, donc à un ordre, et que les sans-culottes, eux, se définissent aussi par rapport à la richesse, donc à l’économie, "seuls sont citoyens les hommes vertueux qui ont sacrifié leurs intérêts privés et poursuivent la Révolution en adhérant à ses nouveaux principes…sont exclus du peuple et promis à la mort ceux qui, par leur passé, leur opposition, leur opinion, leurs intérêts, participent des vices d'avant le 10 août"[1]. Lorsque le représentant Javogues est à Bourg, du 19 au 22 frimaire an II, il renouvelle la pensée politique des sans culottes autour de trois thèmes lors de son discours du 21 frimaire an II : les aristocrates, les riches et les fédéralistes. De ce fait, les sans-culottes greffent aux combats politiques classiques contre les fédéralistes et les modérés, des luttes d'ordre social et économique, concrétisées par l’aristocratie et la richesse.

Le souci de l'égalité est une idée commune à la toute la sans-culotterie : "Tout ce qui froisse leur sens de l'égalité est suspect d'aristocratie. . .plus grave encore, aux yeux des sans-culottes, que l'attitude hautaine ou méprisante à leur égard ou la simple indifférence, l'affirmation de leur position sociale subordonnée"[2]. En effet, les sans-culottes ne supportent pas l'indifférence à leur égard ni à celle de leur nouvelle fonction. Alexis Leduc se fait bousculer à plusieurs reprises par le maire Alban qui lui reproche "sa bonne mine de jeune officier de vingt ans"[3]. Mais à la différence des sans-culottes parisiens, les sans-culottes bressans voient dans cette position sociale subordonnée toute leur force et leur différence : "la société dite des Sans-Culottes. . .est composée tout d'ouvriers et d'artisans, car ils ont dit plusieurs fois dans leurs séances, moi présent, qu'ils ne voulaient recevoir dans leur société que des hommes portant les tabliers" [4]. Si les jacobins bressans et belleysiens se regroupent en 1793 sous le terme de sans-culottes, qui sont prêts à défendre la République en formant un "rempart de leur corps"[5], ils n'ont pas encore englobé les "aristocrates,. . .modérés,. . .nouveaux brissotins,. . .fanatiques et la chicane entière" [6] sous le terme d'aristocrate[7] contrairement à la sans-culotterie parisienne.

Les patriotes, jacobins puis sans-culottes de l'Ain définissent donc d'une manière simple leurs différents opposants d'une manière linéaire en les comparants à eux, révolutionnaires purs et les autres les mauvais révolutionnaires ou les mauvais citoyens. Ainsi, ils regroupent simplement leurs opposants politiques dans une typologie : leurs opposés sociaux, les nobles et les aristocrates, leurs opposés économiques, les riches et leurs opposants politiques, les fédéralistes et les modérés. Toutefois, « les peines réelles et symboliques qui s’abattront sur les condamnés, hors-la-loi, émigrés et contre-révolutionnaires, entraineront la France dans une spirale de violence qui empêchera de rendre sereinement la justice »[8] et l’Ain, avec des actes symboliques face aux prêtres, aux nobles ou aux riches, n’échappe par à cette spirale.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

mis en ligne par l’association SEHRI

 

 

 



[1]              BLUCHE (Frédéric) : "la Terreur dans la Révolution Jacobine" in Justice et politique : la Terreur dans la Révolution Française, page 33.

[2]              SOBOUL (A.) : Les Sans-Culottes parisiens en l'an II, éditions de Seuil, Paris 1968 page 23 et 24.

[3]              LEDUC (Ph.) : Histoire de la Révolution dans l'Ain.  Tome 5 page 31

[4]              Dénonciation contre Désisles, Alban, Laymant, Gallien et autres scélérats. A.D. Ain 15L 131.

[5]              "Profession de foi de la société des sans-culottes de Bourg Régénéré". Discours de Thévenin fils le 28 nivôse an II. Bibliothèque de la Société d'Emulation A.D. Ain.

[6]              Mémoire justificatif de Rollet-Marat à Albitte du 1er pluviôse an II. A.D. Ain 15L 131.

[7]              "L'aristocratie constitue à ce point l'ennemi essentiel des sans-culottes qu'ils en arrivèrent à englober sous ce terme tous leurs adversaires". SOBOUL (A.) : Les sans-culottes, page 25.

[8]              MARTIN (Jean-Clément) : Robespierre, la fabrication d’un monstre. Perrin, 2016.

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