les révolutionnaires face aux aristocrates

L'aristocrate

 

Avec la crise fédéraliste se développe le concept d’aristocratie1. Malgré l'usage traditionnel du terme d’aristocrate et l’idéologie qui y est rattachée, ce concept prend corps comme une réalité, dans l'Ain, seulement durant l’été 1793. Avant, elle n’est qu’une vague notion entre le noble et le bourgeois, personnifiant socialement l’adversaire du sans-culotte, l’homme de l’ancien régime. En 1789, l’aristocrate est l’homme opposé aux Etats Généraux, aux doléances du peuple, qui n’a pas d’obédience : « cette assemblée fatigoit singulièrement les aristocrates ; ils n’en attendaient rien d’heureux pour eux…les aristocrates firent investir l’assemblée de trnete mille hommes de troupes réglées et presque tous étrangers »2. Pour Rollet-Marat, les troubles de l’été 1793 à Bourg sont dus à un parti aristocratique, qui regroupe les ennemis des patriotes “qui ne pardonnent jamais ”3, tandis que pour la société populaire de Belley, qui se prépare à de nouvelles élections le 9 septembre 1793 en vue de renouveler les autorités constituées, les aristocrates sont ceux qui "se seront déjà confédérés d'avance. Vous les verrez courir dans les assemblées, le masque du patriotisme sur le front. La rage de l'aristocratie dans le cœur, ils se sont dit : le laboureur est fait pour traîner la charrue, l'artisan est trop heureux de nous servir ; nous sommes nés pour gouverner"4. Plus que de mettre en cause les dominants de l'Ancien Régime, ils cherchent à définir le parti des hommes à projet, ceux qui n'agissent pas révolutionnairement mais bien suivant des principes et des idées prédéfinies contre un autre ensemble social dans le but de le gouverner.

Il faut attendre l’hiver 1793/94, pour que le concept d’aristocrate soit nettement défini par les sans-culottes. Ce terme est employé pour désigner plusieurs les personnes considérées comme des ennemis : " point de gros bourgeois, de ces ci devant messieurs se disant honnêtes gens, à qui les modestes artisans, les braves villageois n'osaient parler le chapeau bas, ils veulent gouverner à la place des nobles, ils n'aiment pas l'égalité…point ou peu de ci devant avocats ou procureurs"5. L’aristocrate devient l’homme à carrière, celui qui désire utiliser un poste pour se hisser socialement et ce à n’importe quel prix : “ la rédaction des cahiers de Trévoux...fut la première scène où chaque aristocrate voulut jouer un rôle...ils employèrent en conséquence tous les moyens que l’homme riche et corrompu met en usage auprès du pauvre ”6. Blanc-Désisles, lui, définit le 19 frimaire an II, à l’armée révolutionnaire parisienne arrivée à Bourg, ceux que l'on peut considérer comme aristocrates : “ ennemis de la chose publique, sous quelques formes qu’il se produise...les faux patriotes, et les intrigants intéressés ”7. Cette nouvelle définition, très commode, de l’aristocrate peut s’appliquer non seulement à un individu mais aussi un à groupe. Juste avant l’arrivée d’Albitte dans l’Ain, certaines communes du département, comme Coligny, St Rambert, Montrevel et Montluel sont suspectées, par les sans-culottes, d’avoir leurs administrations, clubs et comités de surveillance gangrenés par l’aristocratie. Elles sont donc épurées par des commissaires de la société populaire de Bourg, nommés par le président de la société, pour “ raviver le patriotisme ”8. Le 15 brumaire an II, sur une intervention d’Alban et une pétition des sans-culottes de Montluel, la société populaire du lieu, “ mal organisée et composée d’un très grand nombre d’aristocrates, fédéralistes, royalistes, etc. . .qui cherchaient à pervertir l’esprit public et écarter de son sein les vrais sans-culottes ”9, est épurée Rollet et Baron. L’aristocratie rend légitime la main mise politique des sans-culottes sur des relais défaillants mais aussi la mise an ban et la régénération : le 17 ventôse an II, la séance de la société populaire de Meximieux est troublée par plusieurs citoyens qui dénoncent l’aristocratisme du comité de surveillance et de la municipalité et qui annoncent qu’ils veulent fonder leur propre société et font imprimer pour cela, le 19, des cartons d’invitation.

 

L’aristocratie et sa définition comme groupe par les patriotes et les sans-culottes leur permet de ne plus voir dans les nobles, les prêtres et les modérés autre chose que des ennemis de la République. La mission de Gouly dans l’Ain et la facilité avec laquelle les fédéralistes se font écouter du conventionnel en mission, conduit la sans-culotterie départementale, à la fin de nivôse an II, à imaginer que les aristocrates sont tout puissants et qu'une contre-révolution se prépare. La lettre du 16 nivôse an II, du comité de surveillance de Bourg à celui de Coligny, est typique de l'idée d'un complot ourdi par cette aristocratie multiface : "c'est avec douleur que nous apprenons que plusieurs paroisses voisines de votre commune, travaillées par des prêtres fanatiques et incendiaires, mettent tout en mouvement pour exciter parmi nous, le trouble et la discorde et amener la guerre civile, l'espoir des tyrans. . .c'est donc à vous à veiller à la tranquillité publique et à déjouer les manœuvres de l'aristocratie et des fanatiques" 10. Conjugué à la hantise du complot contre-révolutionnaire du début de la Révolution, l’aristocrate est devenu un ennemi de la Révolution, un contre-révolutionnaire11. Il n’y a alors plus qu’une seule solution pour le vaincre, il faut que “ les aristocrates crèveraient. . . (pour que) les patriotes triomphent ”12.

 

Outre la noblesse et l'aristocratie qui sont définies somme les opposants sociaux des sans-culottes, le bourgeois riche est lui aussi un opposant mais économique.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

mis en ligne par l’association SEHRI

 

1 Pour Jean-Clément Martin, dès la convocation des Etats-Généraux, « la vertu doit s’imposer contre des êtres dépravés qu’il faut exclure de la société, à commencer par ces privilégiés, comme le terme commence à se populariser pour désigner…les aristocrates » opposés à Louis XVI ». MARTIN (Jean-Clément) : Robespierre, la fabrication d’un monstre. Perrin, 2016. Ce clivage n’est sans doute pas aussi précoce dans l’Ain, du fait de la participation d’une partie éclairée de la noblesse aux travaux de la Société d’Emulation. Mais le temps passant, et l’éviction des bourgeois de 1789, le contour social de l’aristocrate pour les militants jacobins de l’Ain peut prendre les allures de cette définition.

2 Notes marginales du curé d’Agnereins. A.C. Agnereins.

3 Lettre de Rollet Marat, 11 août 1793. A.D. Ain 13L 60.

4 A.D. Ain bibliothèque D339.

5 A.D. Ain bibliothèque D339.

6 Trait de civisme du citoyen Bouclet fils aîné par la Société épurée des sans-culottes de Trévoux, n. d. Collection particulière.

7 Discours prononcé sur la place Marat par le citoyen Blanc-Désisles, maire, à l’armée révolutionnaire parisienne, 19 frimaire an II. Collection particulière.

8 Registre du comité révolutionnaire de la société des Sans-Culottes de Bourg, levé contre le fédéralisme de la cité et du département. A.D. Ain 14L 15.

9 Extrait des délibérations de la société des sans-culottes de Bourg, 15 brumaire an II. A.D. Ain 13 L 8.

10Lettre du comité de surveillance de Bourg à celui de Coligny, du 16 nivôse an II. Registre du comité de surveillance de la commune de Bourg Régénéré. A.D. Ain 14L 16.

11 Vu l’interprétation contre-révolutionnaire que lui donne les aristocrates“. VALENTIN SMITH : Bibliothéca Dombésis.

 

12 Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Bourg, A.D.Ain série 13L 9.

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