an II : l'ennemi du pauvre ; le riche

LES RICHES ET LA MAIN MISE ECONOMIQUE

 

Jusqu'à l’arrivée de Javogues à Bourg le 19 frimaire an II, la lutte économique et la personnification d'un opposant économique est absente de l’idéologie sans-culotte de l’Ain. Javogues est le premier à réellement introduire la notion de richesse et de riche dans l’idéologie des sans-culottes bressans.

 

 

Le riche : définition de l'opposé économique

 

Dans son discours à la société populaire de Bourg, Javogues insère dans l'idéologie politique des sans-culottes de nouvelles revendications : "Sans-Culottes, avez-vous bien calculé la rage de l'aristocratie par les efforts impuissants qu'elle a faits ? N'avez vous pas vu comme un et un font deux, que dans l'espoir de faire un autodafé des républicains, les malveillants, lorsqu'ils avaient la force, ne s'en sont servi que pour réduire le peuple à la misère, dans une saison si abondante. Le blé, le vin ont-ils été aussi chers que cette année ? Le cœur d'acier des riches ne se dilatait-il pas à la vue du supplice du peuple tourmenté par la faim, et avec ce système insignifiant, qu'ils avaient forgé la bouche béante, avec le ton orgueilleux de l'opulence, ils disaient : je suis propriétaire. Mais cette qualité donne-t-elle le droit d'être l'assassin de la société ? te donne-t-elle le droit d'ôter à la société tous les moyens d'exister, les droits imprescriptibles et impérissables de la nature ? Voilà la vraie propriété, l'aliment de la société, le bonheur de ses frères, la bienfaisance et l'humanité ; voilà les titres les plus recommandables de propriété" 1. Cette idéologie politique d'égalité économique, proche de celle des sans-culottes parisiens2, doit permettre d'aboutir à une politique d’égalité sociale, une "République démocratique, dans laquelle le peuple doit exister seul (et ou). . .il est une chose plus importante encore que l'élimination des prêtres (c'est la) destruction des Riches. . .(qui) ne sont rien d'autre que de monstrueux accapareurs dont les biens appartiennent en droit aux sans-culottes"3.

L’adversaire que désigne Javogues à la sans-culotterie bressane puis bugiste4, c'est le propriétaire, qui rejoint les nobles, les prêtres et les fédéralistes dans le sac des ennemis de la Révolution et des sans-culottes. Comme pour l'aristocrate, le propriétaire, le possédant ou le riche sont assimilés à la contre-révolution sous le terme global d'honnêtes gens : "Tous ceux qui avaient voulu fortement le bonheur du peuple, qui étaient marquants dans la carrière de la Révolution, qu'on désignait sous le nom de maratistes, auraient été immolés sous le couteau des fanatiques, des contre-révolutionnaires, des royalistes. Les trophées de la victoire auraient été élevés aux seigneurs, aux nobles, aux évêques, à la sainte pratique, aux fripons de négociants en gros et en détail, et à tous ceux qu'on appelait messieurs les honnêtes gens"5. Ce discours est à lier à la propagande parisienne véhiculée par le Père Duchesne auquel la société populaire de Bourg est abonnée. Rapidement, les mots et le thème lancés par Javogues font mouche et Rollet-Marat, dans son mémoire justificatif du 1er pluviôse an II, n'hésite pas à dire qu'il y a "assez longtemps que les riches nous faisaient la loi"6. Durant l’hiver 1793/94, alors que Collot d'Herbois fait ajouter aux suspects de la loi du 17 septembre 1793, "les marchands qui vendent les marchandises de première nécessité…à un prix exorbitant"7, que la sans-culotterie commence à mieux définir le possédant, en l’assimilant à un suspect : "ne voyez vous pas que tous les bougres dont on confisque l'argent et l'argenterie ne sont que des gens suspects, tels que des ci devants nobles, des ex-prêtres, des avocats, des procureurs, des gros marchands, des commissaires à terrier, etc…enfin des mâtins qui n'ont jamais aimé la Révolution et qui ne l'aiment pas"8. Le riche devient, un peu comme l’aristocrate, une désignation l'opposant obligatoirement au sans-culotte. Le 21 ventôse an II, les sans-culottes de Ferney annoncent que “ les rentiers et les marchands sont tous de l’aristocratie la plus puante ”9. La sans-culotterie départementale assimilant parfaitement ces notions de main mise économique applique la notion de richesse comme un délit : Alban, durant la nuit du 23 au 24 pluviôse an II, utilise la notion de richesse pour envoyer un détenu devant la Commission Temporaire de Lyon: " a quoi penses-tu représentant, tu ne sais donc pas que Bona Perex est noble et riche"10. Cette définition du riche se fait largement au détriment de la bourgeoisie de 1789, dénoncée comme “ des aristocrates, des fédéralistes, des muscadins, se disant contre anarchistes et des panégyristes impudents des infâmes lyonnais et toulonnais ”11. L'idée d'un possédant, un riche, ennemi de fait des sans-culottes, pauvres, se répand facilement dans les campagnes de l'Ain : "les riches ou les hommes un peu plus à leur aise qu'eux étaient perdus"12, dit à Parra d'Andert une citoyenne d'Andert et Cordon en l'an II. Pour les sans-culottes, qui se définissent comme ceux qui portent le tablier, le bourgeois reste un citoyen privilégié que sa position économique et sociale place dans une position politique favorable13.

 

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

mis en ligne par l’association SEHRI

 

1Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Bourg, A.D.Ain série 13L 9.

2A. Soboul, nous décrit la sans-culotterie parisienne comme hostile aux "honnêtes gens" (le terme apparaît le 2 juin 1793), c'est à dire ceux qui possède la richesse, l'instruction, la culture et l'aisance. Les sans-culottes parisiens en l'an II, page 26-27.

3LUCAS (C.) : La Structure de la Terreur. L’Exemple de Javogues et du Département de la Loire. Oxford University Press 1973. Traduit par G.Palluau St Etienne Université Jean Monnet, 1990, page 64.

4 Lors de leur visite à Belley en brumaire an II, les sans-culottes de Bourg raffermissent l’union sans-culottes entre les deux cités. La société de Belley, elle, est proche des sans-culottes de Ceyzérieu, St Rambert et Hauteville.

5Discours prononcé par Javogues, représentant du peuple, dans la séance de la Société des Sans-Culottes républicains de Bourg, 21 frimaire an II. Collection de l'auteur.

6Mémoire justificatif de Rollet-Marat à Albitte, du 1er pluviôse an II. A.D. Ain 1L 253.

7 MATHIEZ (A.) : La vie chère et le mouvement social sous la Terreur. Tome 2, page 12.

8 Baron Chalier, cité par LEDUC (Ph) : Histoire de la Révolution dans l'Ain.

9 Extrait des délibérations de la société des sans-culottes de Ferney. A.D. Ain 13L 23.

10Témoignage de Pierre Antoine Buget, cahier de dénonciation n°1. A.D. Ain 15L 132.

11 Lettre des sans-culottes d’Hauteville, 24 brumaire an II. Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Belley. A.C.Belley.

12 Note de Parra d'Andert, n.d. A.D. Ain 46J 20.

 

13 Certains, possédant des revenus suffisants, peuvent même abandonner toute activité économique.

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