1793 : l'égalitarisme économique dans l'Ain

La main mise économique : répartitions et égalité forcées

 

Mais derrière le riche, il est question de la propriété et de sa répartition : le 30 germinal an II, plusieurs citoyens d’Oyonnax disent publiquement dans l’auberge de Jean Couronné Verdet que les communaux “ devaient être partagés par tête...qu’il n’était pas juste que des étrangers et depuis peu dans cette commune vinssent les partager1. Même Gouly, plutôt modéré par rapport à Javogues, applique ce discours contre les riches dans ses taxes révolutionnaires de nivôse an II2, justifiant son acte par la nécessité d'arrêter la mendicité et de fournir des secours aux défenseurs de la patrie. Ces mesures sont toujours ressenties comme des victoires par la sans-culotterie locale qui les soutient : “ la société a applaudi à cet arrêté et a juré son exécution ”3, écrivent les sociétaires de Belley lorsqu’ils apprennent la levée d’une taxe révolutionnaire sur les riches par les représentants du peuple à Lyon. Si pour Mathiez, la lutte contre la bourgeoisie et les possédants n'est que le fait de l'application de la loi du Maximum et n'a d'autre but que les subsistances, ce n'est pas le cas de la sans-culotterie de l'Ain qui est bien loin de penser cela. En effet, même si les approvisionnements des marchés des grandes villes ne sont pas toujours réguliers durant l'hiver 1793/94, par ailleurs rigoureux4, la taxation des riches par Gouly et les attentes politiques des sans-culottes contre les riches n'ont pour but que de niveler par le bas la société qui se met en place en répartissant des richesses qu'ils jugent mal distribuées. Cet ordre d’idées rejoint celles lancées par Lindet et Bonnet le 29 août 1793, quand ils écrivent d'Avranches au Comité de Salut Public : "lorsque les prétentions de la richesse se trouvent en opposition avec les droits naturels de l'homme, il faut les réprimer"5. Cette politique économique de redistribution prend une nouvelle tournure lorsque dans les premiers mois de 1794, Dorfeuille déclare vouloir "réduire les riches à 1000 écus de rente, parce qu'ils corrompaient le peuple avec leur argent"6. Son idée fait écho à St Just qui focalise le peuple sur l'épuration patriotique : "les lois sont révolutionnaires, ceux qui les exécutent ne le sont pas"7. C'est un appel à la dictature populaire sur les traîtres, les passifs, les opposants politiques et les opposés sociaux. St Just dénonce les riches qui devraient se faire un devoir de partager avec le peuple. Si la richesse doit être contrôlée, la mendicité doit être détruite. Pour cela les sans-culottes se reposent sur le riche : "la mendicité doit être abolie ; et pour le faire, il faut obliger le riche à payer et le pauvre à travailler"8. La place que Baron-Chalier fait aux riches montre bien l'assimilation du discours de Javogues et des idées qu'Hébert diffuse dans son Père Duchesne : "Dans un état libre, le riche ne doit pas l'être assez pour acheter le pauvre et le pauvre ne doit pas l'être assez pour se vendre"9. Cette idée devient le leitmotiv de la sans-culotterie de l'Ain qui, tout au long de la mission d'Albitte, la diffusera dans différents écrits. Même après le départ de Gouly et avec la réaction thermidorienne, le souci de répartition de la richesse reste une préoccupation des milieux populaires de l’Ain lorsque, le 11 germinal an III, la société populaire de Pont-de-Veyle demande l’établissement d’un emprunt volontaire sur les riches pour acheter du grain.

Beaucoup d'habitants, qui sont propriétaires, se sentent directement visés par la politique économique des sans-culottes. Afin de ne pas les affoler, Baron-Chalier publie un "avis aux ouvriers et braves gens de la campagne" dans lequel il tente de rassurer les "laboureurs un peu aisés"10, car les sans-culottes de l’Ain, comme ceux de Paris, "ne sont pas hostiles à la propriété dont artisans et boutiquiers jouissent déjà et que les compagnons aspirent à acquérir"11, mais ils le sont à la thésorisation des richesses et à l'oisiveté surtout à partir de l'été 1793, quand le fédéralisme des hommes de loi se mélange à l'indifférence des nobles et des rentiers face au sacrifice militaire.

 

A côté de ces opposés sociaux et économiques, tous ennemis de la Révolution, apparaît à partir de 1793 un troisième opposant aux sans-culottes plus difficilement définissable puisqu'il sort du mouvement des patriotes, le fédéraliste.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

mis en ligne par l’association SEHRI

 

1 Registre de délibérations du comité de surveillance d’Oyonnax, A.D. Ain 14L 79.

2 En taxant les riches, Gouly ne fait que reprendre une idée des représentants Laplanche à Bourges et Taillefer à Cahors, de septembre 1793.

3 Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Belley. A.C.Belley.

4 durant cet hiver, les pommes de terre gèlent.

5 MATHIEZ (A.) : La vie chère et le mouvement social sous la Terreur. Tome 2, page 26.

6A.D.Ain ancien L219

7 MATHIEZ (A.) : La vie chère et le mouvement social sous la Terreur. Tome 2, page 53.

8BARON CHALIER : Principes républicains et révolutionnaires pour les vrais sans culottes. A.D. Ain 13L 1.

9BARON CHALIER : Principes républicains et révolutionnaires pour les vrais sans culottes. A.D. Ain 13L 1.

10Avis aux ouvriers et braves gens de la campagne, discours prononcé par Baron-Chalier à la société des Sans-Culottes de Belley Régénéré, cité par LEDUC (Ph.) : Histoire de la Révolution dans l'Ain. Tome 5 page 21.

 

11 SOBOUL (Albert) : les sans-culottes. Editions du Seuil, Paris, 1968, page 27.

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