1790 : La Constitution Civile du Clergé dans l'Ain

3.7 LES CULTES ET LA NOUVELLE RELIGION

 

Sur une toile de fond de conflit politique entre patriotes, se met en place dans l'Ain, durant l'hiver 1793, une politique de lutte anticléricale qui se transforme rapidement en lutte contre le fanatisme, « disposition d’esprit qui fait prendre pour une inspiration divine les phantômes d’une imagination déréglée »1, puis en déchristianisation sporadique2. Cette lutte religieuse, dont la déchristianisation et la déprêtrisation de l’an II constituent le point culminant, “est constituée dès 1791-92, quand l’image du prêtre se trouve complètement associée au monde dont on ne veut plus, celui des valeurs rétrogrades, mais aussi celui de l’aristocratie et de la contre-révolution”3. Ce n'est jamais à Dieu que les révolutionnaires l'Ain s'attaquent, bien au contraire, mais à une institution4 générant des actions fanatiques, à un moment où la société tend vers une forme de rationnel.

Si l'on considère que le programme politique des sans-culottes se fonde sur le texte de Baron-Chalier, on s'aperçoit qu'en décembre 1793, plus que toute autre motivation, la lutte contre les prêtres et l'Eglise tient une place importante dans les préoccupations politiques des sans-culottes de l'Ain. Cette lutte est attisée depuis Paris dont la ferveur gagne les départements par le biais des lettres des députés. Le 21 brumaire, Merlino écrit à Blanc-Désisles : "les faiseurs de bon dieu n'existent plus ... c'est aux autorités constituées à propager les bons, les vrais principes par des proclamations vigoureuses, c'est aux sans-culottes en société à les aider de toutes leurs forces"5. Mais cette lutte contre le culte, la religion puis ses desservants puise sa source à la fin de l'Ancien-Régime, n'est que l'expression d'un sentiment global des gens du département de vouloir se détacher d'un clergé trop envahissant, ébranlé par l’hérésie fareiniste. Le dimanche 30 septembre 1736, lorsque les vignerons de Meillonnas décident de passer outre le commandement qui "ordonne de garder ce jour pour servir Dieu…pour aller vérifier l'état de leurs ceps…le curé, qui est un fondamentaliste des Ecritures fait des remontrances à ces mauvais paroissiens…Mais les arguments théologiques du pasteur ne touchent pas le pragmatisme de ses ouailles : bien loin de s'en repentir, ils avaient répondu la plupart qu'ils s'en moquaient et qu'ils pouvaient bien travailler le dimanche"6. Cette pratique est toujours en vigueur au début de la Révolution : la boisson au sermon, puisque le 22 août 1790, la municipalité de Journans prend un arrêté restreignant la distribution de boisson le dimanche aux jeunes gens et aux étrangers, dans les cabarets de sa circonscription.

 

 

La Constitution Civile du Clergé :

Les premiers pas de la remise en cause du clergé

 

Pourtant la Constitution Civile du Clergé est assez bien accueillie dans le département de l'Ain7. Les ténors du clergé se mobilisent pour faire accepter la formule de serment imposé aux prêtres qui le considèrent comme "commandé par l'Evangile et requis par les lois civiles du royaume"8. A la société populaire de Bourg, Groscassant-Dorimond fait un discours pour encourager les ecclésiastiques à prêter serment. A Pont-de-Vaux, Guichellet, le doyen du chapitre et curé de la ville, fait un discours sur le sujet, le 14 juillet 1790, lors de la cérémonie de prestation du serment civique, et six mois plus tard, le 19 janvier 1791, il édite des Réflexions impartiales sur la Constitution Civile du clergé de France. Le 19 février 1791, le prêtre Pierre Marie Imbert, lors de son admission à la société populaire des Amis de la Constitution de Bourg, loue la bonté et la sagesse de la Constitution Civile du Clergé. Pour lui, les députés, possédant des pouvoirs émanant de la Nation avec lesquels ils font les lois, peuvent à juste titre exiger le serment. Afin d’étayer son discours, Imbert s’appuie sur la Bible : “ dans le nouveau testament...il est spécialement ordonné d’obéir aux puissances qui existent sur la terre ”9. Imbert pousse même sa réflexion plus loin : refuser le serment c’est faire du mal à l’Eglise. Le peuple adhère en masse à la Constitution Civile du Clergé car plus que l'institution cléricale, les habitants du département de l'Ain sont attachés à leur curé en tant qu'individu et lorsque le temps de la persécution religieuse vient, ce n'est pas à la religion, comme les Bretons ou les Vendéens, ou au clergé que certains habitants de l'Ain donneront la main mais au prêtre en tant qu'individu apprécié et reconnu comme un homme bon. Les citoyens de l'Ain se font une joie d'accueillir leur prêtre assermenté et élu à l'image du curé de Villemotier, Philippe Joseph Gromier, qui lors de son installation à l'église, le 8 mai 1791, marche à la droite du maire, "les officiers municipaux et notables sont rangés suivant l'ordre observé dans leurs séances. Au sortir de la maison commune la Garde Nationale a salué M. Gromier par une décharge de mousqueterie, ensuite elle a escorté le conseil général de la commune jusqu'à l'église où elle s'est placée sur deux rangs pour garder le maître autel"10. Toutefois, la Constitution Civile du Clergé donne aux premiers militants anti-cléricaux le moyen de s'exprimer, comme à Simandre-sur-Suran, où "peu après l'installation de la nouvelle municipalité, le curé de Simandre vint se plaindre de la conduite de certains de ses paroissiens pendant les offices. A la requête du procureur de la commune les officiers prirent un arrêté pour rappeler à la décence pendant la célébration du culte. Désormais, pendant les offices, il sera interdit de se tenir à la porte de l'église"11.

 

Dans le département 662 prêtres sur 762 prêtent serment. Jean Baptiste Royer, curé de Chavannes et député du Jura à la Constituante, devient un des plus ardent défenseur de la Constitution Civile du Clergé. Malgré cela, quelques voix s’élèvent contre le serment12. Le 15 février 1790, Claude Benoît, curé de St Etienne de Montluel, docteur en Sorbonne, refuse de prêter serment malgré l’injonction que lui ordonne la municipalité de Montluel : “ ces décrets ne sont pas encore tous prononcés, ne me regarderiez vous pas comme un réfractaire à l’obéissance que j’ai juré...à mon légitime évêque, si je promettais aujourd’hui d’obéir sans réserve à tout ce que l’Assemblé Nationale à décidé et décidera ”13 écrit-il pour justifier son acte. De fait, Benoît ne blâme pas l’institution du serment, mais sanctionne le remembrement des diocèses et la nomination d'évêque autrement que par le canon traditionnel. En 1792, le département de l’Ain est majoritairement favorable à la Constitution Civile du Clergé, peut être plus par gallicanisme que par réel sentiment de réforme religieuse14. Un Catéchisme de la véritable église, écrit par un prêtre de l’Ain et imprimé à Lyon, circule dans le département. L'auteur anonyme se montre favorable à la Constitution Civile du Clergé et essaye de l'expliquer mais surtout l'adopter : “ un grand nombre d’ecclésiastiques...poussés par le démon du fanatisme, qui marche toujours à la suite de l’ignorance...veulent faire adopter à leurs concitoyens des idées plus que fausses ”15. Afin de remédier à cela, l’auteur préconise un moyen que les sans-culottes en l’an II auront bien compris, l’instruction. L’auteur refuse aussi l’intervention du Pape dans les affaires nationales tout comme il se montre favorable au droit qu’a le peuple d’élire son pasteur, droit dont le peuple, d’après lui, avait été dépouillé. Cet engouement massif du clergé de l'Ain pour le Constitution Civile du Clergé, mêlé au respect instinctif des citoyens pour leur prêtre, permet à la religion catholique et ses représentants, jureurs ou pas, de ne pas être trop mal menée jusqu'à l'automne 1793 : le 30 juillet 1793, le curé de Lhuis se défini comme "un vrai chrétien, catholique, apostolique et romain, il fait le signe de la croix et implore la miséricorde divine"16.

 

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

mis en ligne par l’association SEHRI

 

 

1 PLUQUET : Dictionnaire des hérésies, des erreurs et des schismes. Paris, Didot le jeune imprimeur, 1776.

2"C'est avec douleur que nous apprenons que plusieurs paroisses de votre commune, travaillées par des prêtres fanatiques et incendiaires, mettent tout en mouvement pour exciter, parmi nous, le trouble et la discorde et amener la guerre civile, l'espoir des tyrans" Lettre du comité de surveillance de Bourg à celui de Coligny, du 16 nivôse an II. Registre du comité de surveillance de la commune de Bourg. A.D.Ain 14L 16.

3 VOVELLE (Michel) : La révolution contre l’église, de la Raison à l’Etre Suprême. Editions Complexe, 1988, page 42.

4 Le 27 décembre 1790, malgré l'interdiction faite aux particuliers de sortir les bancs de l'église, seuls revenus de la fabrique, des citoyens de la commune sortent en brisent 5 bancs de l'église. Le 8 juillet 1792, le conseil municipal du Grand Abergement fait "défense…à tous les habitants de cette paroisse de jurer et blasphémer en public le saint nom de Dieu". A.C. Grand Abergement.

5La déchristianisation ne prêche pas l'athéïsme, au contraire, mais cherche à enlever aux prêtres l'exclusivité de l'exercice du culte et de la lecture des écrits saints.

6 VIGOUREUX (Claude) : Philibert Baudet, dit la Giroflée. Servir le Roi. M&G éditions, Bourg en Bresse, 1998, 110 pages.

7 « Ruivet…impute aux conceptions jansénistes de M. de Montazet le désordre, une incertitude doctrinale dans le clergé de Lyon ». Note de Louis Trénard.

8 Délibération de la municipalité de Villemotier, 8 mai 1791. A.C. Villemotier, GG3.

9 Discours de Pierre Marie Imbert à la société populaire de Bourg, 19 février 1791. Collection particulière.

10 Délibération de la municipalité de Villemotier, 8 mai 1791. A.C. Villemotier, GG3.

11 MOULIN (L.) : "Simandre-sur-Suran sous le Révolution" in Annales de la Société d'Emulation et d'agriculture de l'Ain, tome LXII. Bourg, 1942.

12 VIEUX (Antoine) : Récit d'émigration, 1792-1799. Editions Lyonnaise d'Arts et d'Histoire, Lyon, 1991, 179 pages.

13 Lettre à la municipalité de Montluel, collection particulière.

14 Lorsque le curé d’Agnereins apprend l’établissement de la tolérance en Autriche, il ne s’émeut guère des réclamations du pape et note dans son registre paroissial : « l’Empereur Joseph II établit dans ses états la tolérance malgré les représentations du pape Pie VI qui fut les lui faire en persone à Vienne au mois d’avril. Il détruisit tous les moines contemplatifs ainsi que les religieuses, défendit qu’on s’adressat à Rome pour les dispenses de mariages et les résignations ». A.C. Agnereins.

15 Catéchisme de la véritable église, collection particulière.

 

16 Testament de Antoine Joseph Vicaire, 30 juillet 1793. A.D. Ain 56J.

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