1793 : l'anti-cléricalisme dans l'Ain

3.8 L'anticléricalisme

 

 

 "Le clergé est une hydre à cent têtes" écrit Baron Chalier, en faisant allusion à Hercule, campant le peuple face aux têtes de l'hydre représentant les prêtres, donc les cibles à atteindre. Pour les sans-culottes, une fois les prêtres supprimés, la religion chrétienne telle qu'elle se pratiquait sous l'Ancien Régime sera détruite. Les prêtres, plus que la religion, sont les ennemis de la Révolution et ce constat est presque général : « Les trop grandes richesses du clergé, le scandaleux emploi qu’un trop grand nombre de ses membre en faisait, ont perdu cet ordre »[1]. Dès les premières années de la Révolution, le clergé est désigné comme l’ennemi du peuple[2].

Les sans-culottes pensent que ce dernier opposant à la Révolution, de par son pouvoir et ses liens avec l'Ancien Régime, est déterminé à faire s'entre-tuer les patriotes pour servir ses desseins[3]. Les attaques des sans-culottes contre le culte sont à deux étapes, la première durant l'automne et l'hiver 1793 qui consiste à s'attaquer au culte et qui ne trouve pas une grande résistance, puis une seconde avec la venue du représentant Albitte, qui s'oriente plus vers le personnel religieux et qui trouve là une opposition.

 

Les premières attaques contre le culte ont lieu durant l'hiver 1793-1794 et visent les prêtres en tant que classe et non pas les individus. Elles trouvent d'autant plus d'écho que les difficultés de la guerre augmentent ; le 11 nivôse an II, alors que la société des sans-culottes de Bâgé admet des prêtres abjurateurs dans leur sein, ils écrivent à la Convention "pour lui peindre le mal que peut faire dans ce moment la liberté du culte"[4],  pourtant réapprouvée par la Convention le 7 frimaire an II. Les abdications de prêtres constituent les premières actions anti-religieuses. Jusqu'à l'arrêté d'Albitte du 8 pluviôse, qui systématise et impose un serment parfaitement adéquat, ces actes volontaires sont bien accueillis. Le 21 brumaire an II, le premier curé à abdiquer, est le citoyen Burtin curé de Jayat. Il est suivi le 25 brumaire an II, par le citoyen Grumet. Le 12 frimaire an II, c'est au tour de l'ex-prieur des bénédictins de Nantua, le citoyen de Lombard, d'abdiquer en ces termes : "Aujourd'hui, en mon propre et privé nom, je viens déclarer à la face du monde entier que, sans bulle ni pontife, par le seul pouvoir que me donnent les droits de l'Homme, je me déprêtrise, et que, purifiant les quatre doigts de mes mains qui ont reçu seuls le fatal caractère du sacerdoce. . .j'abdique solennellement cet état"[5]. Le prêtre abdicataire devient un homme accepté dans la nouvelle société révolutionnaire, le 11 nivôse an II, la société des sans-culottes de Bâgé écrit dans son règlement que "tout ministre d'un culte quelconque ne peut être admis s'il n'a pas renoncé à ses fonctions" [6].

Si pour les sans-culottes, "la crédulité de nos pères" et "l'imbécillité de nos aïeux"[7] sont à l'origine de la fortune et de la puissance de l'Eglise, la République doit fonder une nouvelle religion, "la Liberté, de l'Egalité et de l'Eternelle Vérité"[8] et dans le même esprit un culte désargenté et sans prêtres. Les idées religieuses des sans-culottes sont très simples : il faut remplacer le culte chrétien dicté par un prêtre par celui de la Raison que chacun peut célébrer : "Ces gredins qui ne croyaient pas en Dieu, aujourd'hui voudraient nous persuader qu'on ne peut pas se passer de calotins ; enfin les bougres vous disent cinquante mensonges"[9] affirme Baron-Chalier pour qui l'établissement d'un culte laïcisé est primordial. Ce nouveau culte doit être républicain et doit reposer sur l'éducation, la rationalité et la vertu inhérentes aux bons républicains, les sans-culottes attribuant le fanatisme au manque d'éducation. L’existence du fanatisme est alors communément admis dès avant la Révolution et ce même dans le monde ecclésiastique, ne lit on pas en 1776, dans le Dictionnaire des hérésies dédié à l’archevêque d’Alby, que « les fanatiques ne forment pas une secte particulière, et il s’en trouve dans toute les sectes comme il y en a dans toutes les religions »[10]. Seulement désormais, ce fanatisme a comme cause, pour les révolutionnaires, les prêches des prêtres qui peuvent amener à « des actions déraisonnables et extravagantes de dévotion et de piété »[11] dont la Dombes a connu les effets terribles quelques années avant la Révolution avec les Fareinistes. Bien que déistes [12], les sans-culottes de l'Ain combattent surtout la religion catholique qui repose sur une caste d'hommes qui entretient l'ignorance du peuple, afin de mieux le gouverner par les menaces des foudres divines : "il (le clergé) abrutissait notre âme en l'enchaînant par des mystères grotesques, des momeries et des cérémonies inutiles et par des terreurs paniques qui ne faisaient peur qu'aux imbéciles et aux enfants"[13]. A cette idéologie s’ajoutent les agissements des prêtres qui suivent l’armée piémontaise, en Savoie voisine où combattent des volontaires de l’Ain, pour rechristianiser les régions occupées qui ne peuvent que donner du crédit à l’idéologie anti-cléricale : « Les prêtres rentrés dans la partie du département qu’occupent les Piedmontais communient dans certains moments de crise leurs esclaves fanatiques avec des hosties rouges pour leur témoigner la colère de Jésus Christ contre les francs maçons et les jacobins, nous en avons surpris un avec ces bondieux de couleur »[14] écrivent les représentants du peuple Simond et Dumaz le 5 septembre 1793 à la Convention.

A ces pensées, voir ces constats, “ pour les patriotes prononcés, jacobins et sans-culottes, toute une partie du clergé...est déjà entrée dans l’univers de la réprobation...et de la Contre-Révolution, la crise fédéraliste de l’été 93 va apporter la démonstration qu’il n’est point de bons prêtres patriotes...La révolte des provinces a...compromis...le clergé constitutionnel, souvent proches...des milieux girondins. Dans une opinion qui ne fait pas de détail, plus de bons prêtres, plus d’interlocuteurs valables ”[15]. L'idée que les prêtres doivent avouer avoir professé des mensonges est déjà récurrente dans l'idéologie des sans-culottes de l'Ain et ce bien avant l'arrivée d'Albitte :" Nos prêtres, las enfin d'occuper la chaire du mensonge, honteux de boire dans des coupes d'or. . .s'empressent d'abjurer leurs erreurs"[16]. Dès lors, la possibilité de se passer des prêtres devient une nécessité jusqu'à l'arrivée d'Albitte qui permet la mise en application de cette idée. Pour la sans-culotterie, supprimer l’état de prêtre ne constitue en aucun cas un fardeau moral : "ces gredins qui ne croyaient pas en Dieu, aujourd'hui voudraient nous persuader qu'on ne peut pas se passer des calotins, enfin les bougres vous disent cinquante mensonges" [17].

 

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

 

mis en ligne par l’association SEHRI

 



[1]              Livre de raison du Curé Mathieu, A.D.Ain série J

[2]              Meurier de St Julien sur Veyle dénoncé par Deydier le 25 juin 1792 pour vouloir tuer les curés sans qui il n’y aurait pas d’impôts.

[3]              Proclamation des administrateurs du district de Mont-Ferme du 6 frimaire an II.

[4]              Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Bâgé. A.C. Bâgé le Châtel.

[5]              Cité par E.DUBOIS in Histoire de la révolution dans l'Ain. Tome 4 page 337.

[6]              Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Bâgé. A.C. Bâgé le Châtel.

[7]              Cité par E.DUBOIS in Histoire de la révolution dans l'Ain. Tome 4 page 337.

[8]              BARON CHALIER : Avis aux ouvriers et braves gens de la campagne.

[9] "La croyance d'un seul Dieu est prouvée par la nature entière. Un scélérat seul peut en douter". BARON CHALIER : Principes républicains. A.D. Ain 13L 1.

[10] PLUQUET : Dictionnaire des hérésies, des erreurs et des schismes. Paris, Didot le jeune imprimeur, 1776.

[11] PLUQUET : Dictionnaire des hérésies, des erreurs et des schismes. Paris, Didot le jeune imprimeur, 1776.

[12] BARON CHALIER : Principes républicains. A.D. Ain 13L 1.

[13] BARON CHALIER : Principes républicains. A.D. Ain 13L 1.

[14] A.D. Savoie Série L : Add.4 .

[15] VOVELLE (Michel) : La révolution contre l’église, de la Raison à l’Etre Suprême. Editions Complexe, 1988, page 31.

[16] Proclamation du 6 frimaire an II du district de St Rambert, citée par LEDUC (Ph.) : Histoire de la Révolution dans l'Ain. Tome 4 page 132.

[17] Baron Chalier cité par LEDUC (Ph.) : Histoire de la Révolution dans l'Ain.

 

 

 

 

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