1793 : la déchristianisation dans l'Ain

3.10 LA DECHRISTIANISATION

 

Avec la crise fédéraliste et la révolte Vendéenne, la lutte contre le fanatisme devient, pour les sans-culottes, une guerre politique et idéologique juste à mener pour sauver la Révolution, même contre l’avis de la Convention : “le fanatisme...prend désormais une dimension formidable, celle d’une guerre civile qui menace l’existence même de la République ”1. Il faut donc le combattre : “un membre...a dit que le fanatisme commençait à faire des progrès dans des paroisses du canton, qu’il devenait indispensable d’éteindre dans sa naissance...la société arrête de rédiger une pétition à la Convention pour lui peindre le mal que peut faire dans ce moment là, la liberté du culte et y apporter le mal convenable ”2. De cette vision combattante naît une unité d’action de la sans-culotterie autour de la déprêtrisation et de la lutte contre le fanatisme qui est renforcée par les messages d’encouragement hors département : “ le fanatisme et la superstition avaient cédé leur empire aux saintes maximes de la philosophie et de la raison ”3 écrit Merle de Paris le 14 ventôse an II. Toutefois, la définition et la vision du fanatisme, facilement compréhensible pour sans-culottes, génère aussi beaucoup de questions qui demeurent souvent sans réponse et à l’appréciation des militants locaux : “ 1 : qu’entend on par fanatisme ? 2 : que permettent les lois de faire, quand elles disent la liberté des cultes sera entière ? 3 : qu’entend on par culte extérieur ? 4 : dans une république, le culte extérieur peut il exister ? 5 : dans une république, les cérémonies religieuses doivent elles être regardées comme culte extérieur ? 6 : les cérémonies religieuses font elles parties de ce culte extérieur ? ”4.

 

Dans le département de l'Ain la lutte contre le clergé, qui devient vite une lutte contre le fanatisme, s’accompagne d'actions de destruction du culte catholique, à travers ses représentations et ses symboles, menées par certains militants et ce d’autant plus que les victoires sur les Vendéens et les ennemis coalisés éloignent le danger. La démolition des objets du culte et de l’art religieux est la réponse matériel de militants peu éduqués à un problème que rencontre la religion catholique depuis le schisme protestant : l’abus dangereux des images pour les simples5.

Dans un premier temps, cette déchristianisation ne consiste qu'en incartades sans-culottes dans la vie religieuse, telle la décision de la société des sans-culottes de Bâgé, le 22 octobre 1793, qui invite les citoyens à ne plus chanter “ domine salvum fac regem ” lors de la messe mais “ salvum fac gentium ”. La politique déchristianisatrice est réellement amorcée le 15 frimaire an II, lorsque les représentants auprès de l'Armée des Alpes décrètent que les églises de l'Ain deviendront des Temples de la Raison. Cet arrêté est suivi dans l'ensemble du département6, mais c'est dans les chefs lieux temporels et spirituels, à Bourg et à Belley, que cette substitution revêt le plus d'importance. Avec cet arrêté, la valeur symbolique de l'édifice religieux est abattue, les sociétés populaires y installent parfois le siège de leurs séances, comme à Belley, au Grand Abergement ou à Treffort.

Lieu d'apprentissage des lois républicaines, le Temple de la Raison dans de nombreux de villages n'en a que le nom et pas l'usage patriotique attendu. Mais avec la radicalisation de la déprêtrisation en pluviôse an II, certains sans-culottes, conduis par les commissaires civils comme Vauquoy, entreprennent des actions déchristianisatrices sporadiques : destruction de saints, tableaux, livres, reliques.... Le 28 nivôse an II, le directoire du district de Trévoux considérant “ qu’il existait encore des signes de superstition dans les églises où l’exercice du culte avait cessé et dans lesquelles les citoyens se rendent tous les décadis pour entendre la lecture des lois, qu’il était d’autant plus important de les faire disparaître que le peuple n’ayant plus sous les yeux ces signes de vieilles superstitieuses croyances, se livreront avec plus d’ardeur au culte de la Raison...le directoire invite les communes des lieux où l’exercice du culte catholique a entièrement cessé, à faire enlever...tous les signes de superstition ”7.

 

Sur l'étendue du département, la vague anti-religieuse est ressentie de différentes façons. Le 1er pluviôse an II, Rollet-Marat se plaint que les "saints, saintes, reliques, églises, ustensiles d'or et d'argent sont restés au même état d'avant comme d'après pâques"8. Désireux depuis l'automne 1793 de défaire la société des prêtres, les sans-culottes, avec le serment d'Albitte et leur politique énergique, parviennent-ils à satisfaire leur désir politique de déchristianisation de la société ?

 

Nombres de missions effectuées par les prêtres réfractaires dans des communes de l'Ain

1794-1797

 

1793

1794

1795

1796

1797

 

 

 

 

 

18

51

179

218

268

 

Les efforts des sans-culottes pour venir à bout des prêtres et de la religion portent leurs fruits, puisqu'en 1793 et 1794, seulement 69 missions de prêtres réfractaires ont lieu dans le département de l'Ain et de que seulement 365 prêtres ont fait de type de missions évangélique dans l'Ain de 1790 à 1801, ce qui représente autant que les prêtres ayant abjurés leur foi en l'an II.

Toutefois, les efforts pour déchristianiser ne laissent pas la place à l’absence de religion. En effet bien que peu suivie dans l’Ain, le culte déiste de l’Etre Suprême trouve néanmoins des oreilles et des cœurs puisque le terme d’Etre Suprême est encore employé à Ambronay en frimaire an III, sans compter que sous le Directoire, c’est à « la…fort bonne grâce à l'Etre suprême»9 que l’ancien volontaire de l’Ain confie sa sauvegarde individuelle.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

mis en ligne par l’association SEHRI

 

1 VOVELLE (Michel) : La révolution contre l’église, de la Raison à l’Etre Suprême. Editions Complexe, 1988, page 31.

2 Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Bâgé le Châtel, A.C. Bâgé.

3 Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Bourg, A.D. Ain 13L 9.

4 VALENTIN SMITH : Bibliothéca Dombésis.

5 PLUQUET : Dictionnaire des hérésies, des erreurs et des schismes. Paris, Didot le jeune imprimeur, 1776.

6 Il l'est le 15 décembre 1793 au Grand Abergement, où le Temple de la Raison devient le lieu de lecture des lois, tout les décadis, "pour les vrais sans-culottes". A.C. Grand Abergement.

7 Extrait des registres du directoire du district de Trévoux, 28 nivôse an II. A.D. Ain 95J 16.

8Mémoire justificatif de Rollet-Marat du 1er pluviôse an II. A.D. Ain 1L 253.

 

9 Jean-Pierre Sonnex, de la 44e demi-brigade, du Grand Sacconnex à son frère.

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