1794 : créer le nouveau citoyen

 

VERS UN NOUVEL IDANIEN

 

Si le modèle du jacobin parisien est l'austérité grecque ou romaine, le modèle social du sans-culotte de l'Ain est défini par ses opposés économiques, sociaux et politiques1 : "les sans-culottes s'affirment par opposition"2. Ils arrivent à faire d’eux le modèle social et politique du nouveau citoyen : " il nous faut dans tous les postes des sans-culottes d'effet et d'affection, des hommes plus sensés que savants, des hommes vertueux, sensibles, humains…des hommes énergiques, intrépides…que les ci devant nobles, les fédéralistes, les aristocrates bourgeois détestent cordialement et qu'ils appellent incendiaires, enragés, maratistes"3. Ainsi, à Belley, le 9 septembre 1793, les sans-culottes indiquent aux citoyens les personnes pour qui il ne faut pas voter en cas de nouveau scrutin.

Comme le souligne Albert Soboul, le costume4 du sans-culotte5, véhiculé par l’imagerie populaire, s'accompagne par un comportement social qui rompt avec les usages sociaux et moraux imposés par une bourgeoisie avide d'anoblissement. Si, respectueux de ces codes, le bourgeois s'habille "très promptement…d'abord par les habits qui couvrent davantage le corps"6 et ne reste en robe de chambre que chez lui, se vêtant suivant la mode et les usages en vigueur avec des "habits qui coupent davantage le corps pour cacher ce que la nature ne veut point qui paraisse"7, il poursuit ses usages dans la rue où lorsque, vêtu de son manteau bien mis sur les deux épaules, ganté et couvert honnêtement, il croise une dame ou quelqu'un de notoire "pour la saluer on doit le faire un peu avant que d'être auprès d'elle…si on salue quelqu'un en l'abordant, il faut ôter son chapeau cinq ou six pas avant que d'en approcher…après avoir ôté son chapeau…il faut tourner le dedans vers soi et le mettre sous son bras gauche"8. A l'inverse, "les sans-culottes ne supportent pas l'orgueil ni le mépris : ce sont là des sentiments aristocratiques, contraires à l'esprit de fraternité qui doit régner entre citoyens égaux"9. Toutefois, "dans la mentalité populaire, les caractéristiques sociales sont insuffisantes pour définir le sans-culotte…la définition sociale est précisée par une définition politique"10. Cette affirmation concernant la sans-culotterie parisienne est aussi valable dans l’Ain, l’orateur Blanc-Désisles qui est marchand est aussi un bon sans-culotte. Le sans-culotte devient alors le synonyme de patriote et de républicain, pas seulement dans cette définition mais aussi matériellement et comportementalement. Les écrits de Rollet-Marat, Baron-Chalier et de Thévenin fils les définissent socialement, car les sans-culottes de l'Ain n’ont pas le sentiment d'appartenir à un mouvement politique homogène qui pourrait être la Montagne. Pour eux, cette dernière n’est qu’une émanation politique dans la Convention alors qu'ils pensent être une partie d’un groupe social présent dans toute la France, comme l’a été le Tiers Etat : “ à la montagne seule appartient le pouvoir de faire des heureux, les sans-culottes veulent la Montagne éternelle ”11, ils se sentent comme la quintessence des républicains. De ce choix d’être une classe sociale et non pas un groupe politique découle une référence à la souveraineté que Chaumette défini, le 14 octobre 1793, à la Commune de Paris : "le conseil général est composé d'hommes-peuple, de législateurs et de peuple aussi ; il a fixé les prix des denrées, nous maintiendrons cette loi salutaire, ce n'est pas la loi martiale ; elle est tout pour le peuple et contre ses sangsues. Peu nous importe si nos têtes tombent par le fer des assassins, pourvu que nos neveux gravent sur nos cranes décharnés : exemple à suivre"12. "L'homme nouveau qu'ils entendent créer n'a de sens que comme citoyen membre du peuple. L'individu doit se fondre dans une identité collective"13. En brumaire an II, la définition sociale du sans-culotte est établit dans l’Ain : “ le vrai républicain, ami des lois, et tous ouvriers, vigilants et laborieux ”14 écrit-on à Belley. Les sans-culottes de l'Ain, socialement proches des classes laborieuses, revendiquent politiquement et idéologiquement la souveraineté populaire qui est incarnée à Paris par la Commune et le père Duchesne.

 

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

mis en ligne par l’association SEHRI

 

 

1 Les sans-culottes du canton de Virieu qui définissent les adversaires : “ vous savez que les aristocrates, les fédéralistes, les égoïstes, les plumasiers, caste dangereuse réunissant tout les vieux anticiviques et attentatoires à la Constitution que nous a donné la sainte montagne ” Extrait des registres de délibérations de la société populaire des vrais sans-culottes du canton de Virieu, 14 pluviôse an II. A.C. Belley, rév. 10.

2 SOBOUL (Albert) : les sans-culottes. Editions du Seuil, Paris, 1968, page 22.

3 A.D. Ain bibliothèque D339.

4 "le sans-culotte se caractérise de l'extérieur par son costume et s'oppose ainsi aux catégories sociales plus élevées : le pantalon est le signe distinctif du peuple, la culotte de l'aristocratie et d'une manière générale des couches supérieures de l'ancien Tiers Etat" : SOBOUL (Albert) : les sans-culottes. Editions du Seuil, Paris, 1968, page 22.

5 Le 17 octobre 1793, la société des sans-culottes de Montluel décide que son président portera un bonnet rouge. Alban, maire de Bourg se promène avec une sorte de colback de fourrure rouge et Rollet-Marat ne se sépare que rarement d’une paire de pistolets enfilés dans son ceinturon.

6 Civilité chrétienne, 1764, collection Ch.Falieu.

7 Civilité chrétienne, 1764, collection Ch.Falieu.

8 Civilité chrétienne, 1764, collection Ch.Falieu.

9 SOBOUL (Albert) : les sans-culottes. Editions du Seuil, Paris, 1968, page 23.

10 SOBOUL (Albert) : les sans-culottes. Editions du Seuil, Paris, 1968, page 40.

11 Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Belley. A.C.Belley.

12 MATHIEZ (A.) : La vie chère et le mouvement sociale sous la Terreur, tome 2, page 33.

13 BLUCHE (Frédéric) : "la Terreur dans la Révolution Jacobine" in Justice et politique : la Terreur dans la Révolution Française, page 32-33.

 

14 Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Belley. A.C.Belley.

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