1793 : sans-culotte ou rien

LA VOIE UNIQUE ET SANS RETOUR

 

Dans l’Ain, le simple fait d’être un artisan, un ouvrier, de gagner sa vie par son labeur, ne justifie pas le fait de devenir un bon sans-culotte. Pour le devenir et s’affirmer comme tel, il faut faire preuve d’une volonté individuelle, il faut brûler “ du désir de prendre le titre glorieux de sans-culottes ”¹, par son comportement et son adhésion à une société populaire reconnue de valeur bonne. Présents à la séance de la société des sans-culottes de Belley, Blanc-Désisles, Alban et Tenand témoignent du “ plaisir qu’ils ressentaient de la voir composée d’ouvriers à tablier de peau ”². Ce titre glorieux de sans-culotte est né de la crise fédéraliste qu’ils savent utiliser à leur profit dès l’automne 1793. En effet, les sans-culottes de l’Ain ont rapidement pris conscience de l’importance et de l’impact des moyens de communication, comme la presse et les fêtes, mis à leur disposition, ce qui fait dire à la société de Belley de celle des Jacobins à laquelle elle est affiliée qu’elle est “ maîtresse de l’opinion dont elle fait un si bel usage du glaive ”³. L’utilisation de la crise fédéraliste comme passé commun sert non seulement à légitimer leur existence mais aussi à prôner l’union et la fraternité du groupe autour de ce passé commun. Jusqu’au fédéralisme, les sans-culottes qui n’existent pas, n’avaient pas conscience de leur représentation car ils étaient “ garrottés, enchaînés par les liens d’un despotisme encore plus terrible que sous l’ancien régime ”⁴. De ces faits, les sans-culottes ont une vision d'eux-mêmes qui, par leurs motivations et leur vécu politique, se veut héroïque. En effet, le corps social que forment les sans-culottes se perçoit comme victime d'une oppression constante : "heureusement que vous ne vous êtes pas mis dans le cas d'être soupçonné de la moindre des choses car ils (nos ci devants voleurs, ou avocats et procureurs) car ils saisiraient le moment pour vous perdre"⁵. Mais, ils sont conscients qu'à force d'efforts réguliers et d’une très forte cohésion, “ les sans-culottes. . .réuniront leur courage. . .à l’armée jacobine qui doit épouvanter l’univers ”⁶, ils arriveront à leurs buts. A cause de cela les Sans-Culottes ont une idée vertueuse d'eux mêmes, qui est caractérisée par "la bonne foi et . . .la confiance si naturelle aux patriotes"⁷. De fait, ils en arrivent à avoir une idée vertueuse des autres et les personnes qui cette froissent cette image intellectuelle de moral et vertu sont suspectes, telles les prostituées⁸.

Idéologiquement, les sans-culottes ont une volonté très forte de changer radicalement l'ordre des choses : "les mesures révolutionnaires doivent s'exercer rapidement; si elles étaient de longue durée, les passions réagiraient avec une telle violence, qu'un volcan éclaterait et pourrait embraser la république"⁹. Le modèle de gouvernement que désirent les sans-culottes est bien évidemment une République, où l'Egalité n'aurait pour concurrente que la Liberté. Mais cette liberté a une limite, que la vertu individuelle et la moralité fixent¹⁰ : par dessus tout, le respect de la Loi est nécessaire et crucial. "Ils ont conscience que cette liberté se fait contre l'avis d'un grand nombre, c'est la dictature d'une élite populaire éclairée sur ses ennemis et les indécis"¹¹. Comme ils ont une volonté de changement forte, ils ont aussi des motivations fortes incluant le sacrifice de soi pour la Chose Publique¹² devant qui l'individu n'est rien. Blanc-Désisles n'hésite pas à dire qu "il serait guillotiné ou qu'il accomplirait ses projets" ¹³. Dans le même élan de déterminisme, Rollet-Marat écrit à Albitte le 15 germinal an II "j'ai juré de tout lui sacrifier (à la Patrie), ma vie même, ce doit être la conduite d'un véritable sans-culotte, tel est la mienne"¹⁴. Les Sans-Culottes sont donc des patriotes déterminés pour qui la Révolution est un élan fantastique contre lequel on ne peut pas lutter, qui ne verra sa fin que lorsque "les ennemis de la patrie seront anéantis"¹⁵, et que les sans-culottes seront sans aucune opposition politique et morale : “ Les opinions s’affichent et s’affrontent, excluant les indécis, empêchant les nuances ”¹⁶. Les sans-culottes deviennent certains de leurs bons droits, et se persuadent d’être les seuls et vrais républicains : “ réunissez vous à nous, écrivez dans notre sens à la Convention, afin que, par les sans-culottes, une fois encore et pour toujours la République soit sauvée ”¹⁷. Même quand ils sont victimes de la réaction thermidorienne, les sans-culottes restent persuadés de leur bon droit : "J'appelle amis fortunés des véritables républicains (ceux) qui ont toujours été fermes dans leurs principes et n'ont craint aucun danger malgré les persécutions qu'ils ont déjà enduré"¹⁸.

 

 

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

mis en ligne par l’association SEHRI