1815 : la Restauration dans l'Ain

Le 12 mai 1814, par une ordonnance royale, Louis XVIII réorganise l’armée française. Cette dernière est réduite de 66 régiments d’infanterie de ligne, 22 régiments d’infanterie légère, 8 régiments de hussards, 13 régiments de chasseurs à cheval, 1 régiment de lanciers, 9 régiments de dragons et 2 régiments de cuirassiers. Mais, le retour de Napoléon de l’île d’Elbe le 1er mars, s’il réorganise l’armée et stimule le patriotisme, mène l’Europe à nouveau sur les chemins de la guerre. A l'annonce du retour de Napoléon le 76e Régiment d'Infanterie de Ligne, qui est en garnison à Bourg, prend les armes pour acclamer et suivre l'envolée de l'Aigle. C'est lui qui fait fuir la municipalité et le préfet royalistes. Dès son retour, Napoléon cherche à porter l'infanterie à 428 400 hommes, elle qui n'en comptait plus que 83 700. Dans l'Ain, l'effort de guerre est presque immédiat. Avec les 3621 anciens soldats rappelés au service, 8 bataillons de grenadiers de la Garde Nationale sont mis en place ainsi que plusieurs corps de francs tireurs.

Malgré les efforts des troupes et la victoire de Ligny le 16 juin, la bataille de Waterloo et la bonhomie des maréchaux jettent la France dans les mains des alliées et sous la coupe d’une couronne bannie. Ainsi, Louis XVIII reprend le pouvoir après son retour effectué dans les bagages des armées ennemies. Jaloux de l’affection de l’armée et de la population pour l’usurpateur et les acquis des vingt dernières années, il efface, le 1er août 1815, d’un coup de plume rageur vingt ans de gloire et de fastes militaires et dissolvant l’armée française.

 

Dès le retour de la Monarchie, le 8 juillet 1814, la chasse aux anciens officiers est ouverte. Rapidement, la lieutenance de police de Lyon fait parvenir au préfet de l’Ain le signalement d’officiers évadés des prisons de Paris1. La nomination du préfet Dumartroy, à la préfecture de l’Ain, le 3 juillet 1815 favorise la chasse aux partisans du régiment impérial. Son action est répressive à l’encontre de la classe politique du régime napoléonien. Si les personnes qui avaient fait partie des corps-francs du département de l’Ain ne furent point inquiétées ni persécutées par l’armée autrichienne pendant l’occupation de la France, il n’en fut pas de même lorsqu’elle eut évacué son territoire. Le préfet Dumartroy et les procureurs royaux sur les dénonciations d’amis trop zélés de la Restauration, firent arrêter les Perréal et Bouvier de Collonges, Jaquemier de Gex et le frère du colonel Béatrix, avocat à Nantua, qui subirent, sans jugement, plusieurs mois de prison. Le capitaine de corps francs, Savarin de Jujurieux, fut pris, jugé par un jury exceptionnel, et exécuté à Bourg. Le colonel Béatrix et son père ne durent la vie qu’à un avis charitable de celui qui devait les arrêter. Ils se réfugièrent en Savoie, puis dans le canton de Vaud. Leur exil ne cessa que par les démarches de leurs parents et amis, lorsque l’exaltation politique fut un peu calmée (Béatrix).

Dans l’Ain, cette chasse légale aux partisans de la République et de l’Empire, est illustrée par la fuite des frères Bacheville de Trévoux et quelques semaines plus tard, par Louis Gaspard Amédée Girod de l’Ain, de Gex, qui héberge puis plaide pour le général Antoine Drouot poursuivi pour haute trahison devant le conseil de guerre. Il le fait acquitter par 4 voix contre 3 en arguant que son client n’avait prêté serment que devant Napoléon, souverain de l’île d’Elbe, reconnu par des traités internationaux. Mais elle est aussi illustrée, dès le 30 septembre 1815, par le maréchal d’Empire Grouchy qui est attaché a plus d’un titre à notre région2. En effet, à cette date, le ministre de la Police Générale demande au préfet de se renseigner sur les activités de Ameilh, Brayer, Clausel, Drouet d’Erlon, Gilly, Grouchy, Laborde et Lefebvre Desnouettes3.

Le 21 novembre 1815, le préfet de Saône et Loire prévient celui de l’Ain “ que le général Grouchy est caché à Fareins, arrondissement de Trévoux, chez une dame Merlino et on ajoute qu’il y a été amené par M. de Fréminville, ancien sous-préfet de cet arrondissement ”4. Alerté et fortement pressé de capturer une proie aussi intéressante pour sa carrière5, le préfet de l’Ain, le jour même demande au capitaine de gendarmerie de l’Ain “ de se transporter chez cette dame. . .sur le compte de laquelle il vous a déjà été donné des renseignements qui la compromettent d’une manière grave. . .d’y cerner sa maison, d’y faire une perquisition exacte ”6. En effet, la maison de la femme de Merlino7 est surveillée par le lieutenant de Trévoux car elle sert de retraite et de lieu de réunion à des personnes de Lyon et de la Bourgogne.

Sur ces ordres, la maison de la dame Merlino est cernée par trois brigades de gendarmerie réunies sous le commandement du lieutenant de la gendarmerie de Trévoux. Les gendarmes font une perquisition dans le domicile de la veuve du Conventionnel. S’ils ne trouvent personnes, ils trouvent un lit encore chaud, défait, “ auprès du quel était un pantalon, des bas et un serre tête ”8. Quand on lui demande qui occupait le lit, elle répond que c’était son fils et qu’il s’est enfui quand il a vu les gendarmes.

Suite à la perquisition chez la femme Merlino, le préfet de l’Ain fait son rapport au ministre de la Police, le 24 novembre 1815 en lui annonçant qu’il désire faire venir la femme Merlino pour l’interroger. Devant l’approbation du ministre sur son enquête, le 28 novembre 1815, le préfet fait venir la femme Merlino. Interrogée elle répond au préfet que la personne qui était chez elle était son fils cadet, officier licencié, qui avait peur d’être arrêté. Mis en doute par une lettre du ministre qui le prévient que Grouchy n’est peut-être pas maréchal mais général, le préfet de l’Ain cesse les poursuites contre l’illustre absent de Waterloo. Quoiqu’il en soit, le maudit de Waterloo, proscrit, parvient à s’enfuir, peut être avec l’aide de Mme Merlino et rejoint Guernesey puis Philadelphie. Il ne rentre en France qu’en 1820 et ne retrouve son maréchalat que le 19 novembre 1831. “ Non, non, Grouchy n’a pas agi avec l’intention de trahir mais il a manqué d’énergie "9.

 

Après les Cent Jours et le rattachement unanime de l’armée à Napoléon, Louis XVIII, afin de ne pas donner de moyens à d’éventuels coups d’état, licencie l’armée impériale. Tous les régiments sont supprimés et l’infanterie est remplacée par 86 légions portant chacune le nom d’un département. L’Ain hérite de la 1ère Légion. La 1ère Légion de l’Ain se compose d’un état major, de deux bataillons d’infanterie à 8 compagnies, dont une de grenadiers et de voltigeurs, d’un bataillon de chasseurs à pied et éventuellement d’une compagnie d’éclaireurs à cheval et d’une compagnie d’artillerie. L’habit bleu, symbole des troupes issues de la Révolution est abandonné au profit de l’habit blanc. La Légion de l’Ain se distingue par ses couleurs distinctives bleu roi. Si d’une manière générale durant la Restauration, les affaires militaires sont moins importantes que durant la période impériale, le prestige de l’uniforme hérité du 1er Empire est intact, comme l’illustre bien le Rouge et le Noir de Stendhal. A Bourg, de 1818 à 1821, 129 jeunes hommes se réengagent dans l’armée royale : 24 dans l’infanterie, 23 dans les chasseurs à cheval, 22 dans les dragons, 20 dans les cuirassiers10. Cette ferveur pour la cavalerie contraste avec le 1er Empire où la majorité des conscrits sont orientés sur l’infanterie de ligne. Cette armée, encore composée de beaucoup d’hommes ayant combattus sous les aigles tricolores, combat, cette fois ci victorieusement en Espagne en avril 1823.

Durant cette période, les lois sur la conscription change le 10 mars 1818, avec la loi Gouvion St Cyr, puis le 8 juin 1824, la durée du service militaire est porté de 6 à 8 ans.

Durant la Restauration, l’Ain reste une plaque tournante des étapes militaires. En mai 1829, la ville de Bourg accueille des troupes de retour des combats de l’île de Morée : « les soldats sont tous noirs comme des corbeaux...les grecs n’aiment guère la musique car il n’y est resté que 12 musiciens vivants...nous n’avons pas eu aucun officiers à loger, ce dont je n’ai pas été fâché »11 écrit un burgien en mai 1829.

 

Jérôme Croyet

cours donné à l'UTA de Villars les Dombes, l'Université Lumière Lyon II, 2003 

 

 

1 Gauthier de la Verderie, de Digne, lieutenant au 2e régiment de la Garde Impériale et Duvergier de Kermouth, chef d’escadron à l’état major.

2 Employé à l’armée des Alpes en 1792, il décède à St Etienne dans la Loire le 29 mai 1847.

3 L’avis de recherche est imprimé chez Janinet à Bourg.

4 Lettre du préfet de Saône et Loire, 21 novembre 1815. A.D. Ain 4M95.

5 “ Le Ministre. . .veut qu’on soit royaliste avant même d’être administrateur ” lui signale le préfet de Saône et Loire dans la même lettre.

6 Lettre du préfet de l’Ain, 21 novembre 1815. A.D. Ain 4M95.

7 Il s’agit de la femme du conventionnel Merlino, venu en mission dans l’Ain avec Amar en 1793.

8 Rapport du préfet de l’Ain au ministre de la Police, 24 novembre 1815. A.D. Ain 4M95.

9 Lettre de Napoléon à O’Méara, 17 février 1817.

10 Les autres vont, 9 dans l’artillerie à cheval, 7 dans les troupes coloniales, 7 dans l’artillerie à pied, 5 dans le génie, 3 dans les ouvriers d’administrations, 2 dans les ouvriers d’artillerie, 2 dans le train d’artillerie, 2 dans les carabiniers, 2 dans les pontonniers et un dans les grenadiers à cheval.

 

11 Lettre d’un burgien, mai 1829. A.D. Ain série J.

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