an II : idéologie des sans-culottes de l'Ain

3.15 LA PHOBIE DE LA PERSECUTION

 

En décembre 1793, les sans-culottes savent que leurs ennemis politiques peuvent encore leur nuire, ce qui renforce encore plus leur crainte d'un complot antipatriotique, datant de 1790, dont aristocrates et modérés seraient le moteur. Durant l’hiver de l’an II le fait de ne pas se prononcer en faveur des sans-culottes mis en détention par Gouly, de refuser de signer les dénonciations contre lui ou de garder le silence est une cause de suspicion et de rejet. La différence d’opinion, ou l'inaction, deviennent un délit politique jetant dans l’opposition un nombre croissant de personnes, allant même jusqu'à un groupe communal en son entier1, au fur et à mesure que les critères d’ostracisme augmentent. De ce fait, les sans-culottes voient grossir en face d’eux une masse complexe mais républicaine d’opposition qui s'unit dans la haine des sans-culottes : "quant aux détenus, il sait bien que ce sont autant d'ennemis que se sont fait les patriotes"2. Dès brumaire an II, les orateurs des sociétés populaires entrevoient la possibilité d'un complot des détenus contre eux qui entraînerait leur incarcération. Afin d’éviter une telle situation, le Comité Central de Surveillance, le représentant du peuple Reverchon et la municipalité de Bourg, députent, le 22 brumaire, Blanc Désisles et Alban à Belley afin de juger qui sont les vrais patriotes car "il serait dangereux que dans ce moment l'aristocratie reprit son empire et que les détenus dans les maisons d'arrêt ne reprissent la place des sans-culottes"3.

Lors de la crise fédéraliste et des semaines qui l’ont suivie, des sans-culottes, tels Bonnet de Belley ou Blanc-Désisles à Bourg, sont menacés de mort. Ces menaces renforcent la combativité des sans-culottes, en les unissant, plutôt que de les effrayer. Mais elles les poussent aussi à l’action contre les adversaires politiques, les obligeant à entrevoir l’élimination de ceux qui voudraient s’opposer à eux. Le 6 frimaire an II, lorsque la femme de Bonnet annonce le départ de son mari à Paris à la société des sans-culottes de Belley, celle-ci jure “ que si les aristocrates et les fédéralistes attentaient aux jours du républicain Bonnet elle saurait le venger ”4. Les sans-culottes jugent avoir le devoir de surveiller5 les aristocrates et les modérés afin de les faire venir dans le sein de la République6 ou de les détruire7, tout en menant un combat perpétuel contre les modérés : "Il faut que les sans-culottes s'empressent à rendre justice à la vérité pour repousser les calomnies des malveillants"8. Avec l’après crise fédéraliste et la venue dans l’Ain de Javogues puis d’Albitte, les sans-culottes utilisent les représentants pour écarter leurs adversaires politiques en les faisant massivement incarcérer puis en essayant de les éliminer. Les sans-culottes, après avoir fait incarcérer leurs opposant, vont chercher à se débarrasser des détenus qui même en prison restent un danger9. La décision de punir par le fer les fédéralistes, les traîtres au nouvel ordre républicain vainqueur et les contre-révolutionnaires, est déjà largement répandue dans le département10 et ne peut qu'être montée en exergue par les exécutions qui ont lieu au même moment à Commune-Affranchie, et auxquelles prend part Merle en tant qu'accusateur public de la Commission de Justice Populaire de Lyon que Dorfeuille préside, et à Marseille où Claude-Joseph Duhamel de Bourg préside le tribunal militaire en frimaire an II : "les vrais républicains n'ont à se reprocher que de n'avoir pas écrasé cette canaille dès les premiers principes de la Révolution, nous les avons toujours reconnus pour des traîtres à la Patrie, et si nous en eussions tué chacun trois ou quatre, tout nos maux ne nous seraient pas arrivé, mais puisque nous sommes en danse, il faut danser"11. La correspondance qu'il garde avec ses amis sans-culottes de Bourg leur indique la marche révolutionnaire à suivre. Avec la promulgation du décret du 28 pluviôse, leur interdisant de ne plus pouvoir éliminer physiquement l’opposition républicaine modérée enfermée, les sans-culottes craignent, à juste titre, un complot provenant des prisons12. Ce dernier, bien réel, devient au mois de germinal an II, une telle obsession que les premiers dérapages ont lieu ; ouverture du courrier portant le timbre du Comité de Salut Public et dénigrement de la Convention trop modérée. Les discours de la société de Bourg ne parlent que d’épuration, agrandissant le clivage entre la municipalité et les autorités du district et du département, tant et si bien que le représentant Albitte doit députer à Bourg Dorfeuille et Millet pour ramener l’unité à la société populaire. Mais, avec l’incarcération des orateurs sans-culottes bressans et belleysiens en floréal an II, la mise en place d’un plan de massacre des détenus par les derniers activistes sans-culottes devient un thème récurrent des discours dans les sociétés des chefs-lieux du département, alors que celles des communes de moindre importance, se désolidarisent.

 

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

mis en ligne par l’association SEHRI

 

1 Le 4 nivôse an II, la société des sans-culottes de Bâgé propose de ne pas admettre en son sein les citoyens de St André le Châtel tant qu'ils n'auront pas planté d'arbre de la Liberté.

2 Méaulle cité par LEDUC (Ph.) : Histoire de la Révolution dans l'Ain.

3 Registre de délibérations de la municipalité de Bourg. A. C. Bourg série D.

4 Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Belley. A.C.Belley.

5"L'œil vigilant du sans-culotte les suit partout; partout ils seront découvert, partout leur complot avorteront". Profession de foi de la société des sans-culottes de Bourg. Bibliothèque de la Société d'Emulation A.D. Ain.

6"L'aurore d'un beau jour est celui de la Liberté : il sera pur dès que l'aristocratie sera mise à la raison". Principes républicains. . . article 35. A.D. Ain 13L 1. "si j'avais un conseil à donner aux aristocrates, et surtout aux modérés, ce serait de ne plus penser à aucun retour en arrière dans cette révolution et de devenir bons maratistes; autrement je leur prédis qu'ils seront pris dans la souricière des sans-culottes et jusqu'aux derniers." Discours de Blanc-Désisles du 5 germinal an II. Bibliothèque universitaire Lyon II.

7"enfin le glaive de la loi tombera sur vos têtes conspiratrices et purgera de tous les crimes le sol de la liberté". Profession de foi. . . Bibliothèque de la Société d'Emulation A.D. Ain.

8 Lettre du conseil général de la commune de Bourg au comité de surveillance, 1er Pluviôse an II. A.D. Ain 14L 16.

9"Nos ennemis intérieurs sont abattus, mais ils ne sont pas détruits; ils calculent encore peut-être. . . une circonstance(qui saura)mieux ouvreur le tombeau de la République." Circulaire du Comité Central de Surveillance du 9 brumaire an II. A.D. Ain 14L 15.

10 "Il dit en apprenant que l'on faisait venir une guillotine à Belley, que c'était un fait que si l'on manquait de bourreau, il en servirait…il aurait souhaité que tout Belley eut péri dans le temps de la Terreur". Note de Parra d'Andert sur un habitant d'Andert et Cordon, n.d. A.D. Ain 46J 20.

11 Lettre de Bonnet à son frère Antoine Bonnet de Belley, St Malo, 30 prairial an II. A.D. Ain 13L 60.

 

12 "Bonnet et Charcot, voyant que leur calomnie allaient être sans effet écrivirent de Belley à Chambéry à Albitte une lettre par laquelle ils lui disaient : qu'il serait très dangereux dans les circonstances actuelles de rendre la liberté au citoyen Genin parce qu'il pourrait former par les moyens un parti qui serait très à craindre". Lettre de Genin des Prost. n.d. A.D. Ain 79J 2.

Écrire commentaire

Commentaires: 0