an II : le complot des prisons dans l'Ain

3.16 LE COMPLOT DES PRISONS

 

 

La peur du pouvoir politique des détenus, renforcée par l’impossibilité de les faire traduire à Lyon, pousse les sans-culottes à se méfier d'eux1 et à veiller à ce qu'aucune correspondance ne sorte des prisons. A Bourg, des sans-culottes sont délégués, le 11 germinal, "pour surveiller les intrigants et les mal intentionnés qui peuvent encore nuire à la chose publique et considérant que dans les maisons de détentions il peut encore exister des correspondances et des trames avec les ennemis de la République"2. La crainte d’un complot des prisons et des ramifications avec l’extérieur augmente aussi avec l’arrestation des Dantonistes puis des Hébertistes, le 20 germinal an II, quand le comité de surveillance du canton de Trévoux apprend la découvert de “ la conjuration infernale (celle dont Danton était le chef) ourdie contre la liberté des Français ”3, la seule mesure qu’il prend est de défendre toutes les communications à l'intérieur et à l'extérieur des maisons de détention et de n’en autoriser l’accès que sous des mesures exceptionnelles. Malgré cela, une vie sociale et politique s'organise en prison. Rollet-Marat en fait la remarque inquiète à Albitte le 15 germinal an II, dans une lettre de 6 pages : "Les détenus dans la maison des cy-devants Claristes lèvent la tête, il m'a été rapporté qu'ils tenaient des propos très inciviques, qu'ils avaient formé parmi eux une société populaire, un conseil général de commune, un district, un tribunal révolutionnaire, et qu'ils osaient dire que les patriotes attendaient la maladie et qu'eux étaient en convalescence"4. Les détenus et leurs destinées deviennent un puissant sujet de discorde entre les sans-culottes, le 26 germinal an II, lorsqu’Alban se propose, lors de la séance de la société populaire de Bourg, d’être le porte parole d’un sans culotte détenu, Blanc-Désisles s’y oppose en argumentant des “ inconvénients qui résulteraient d’un pareil exemple qui serait donné dans la société ”5.

Grâce aux visites des prisons faites par Dorfeuille, Millet et Bonnerot, spécialistes de la répression, qui sont du même type que celles ordonnées à Lyon par la Commission Temporaire6 ou à Angers7, les sans-culottes disposent de listes de proscription sur cahiers qui portent la mention "Jugements des détenus"8. Ces cahiers qui comportent un interrogatoire succinct des détenus ainsi que l'avis qu'émettent les commissaires civils sont de véritables actes d’accusation prêts à l’emploi. Dorfeuille lui-même lors d'un discours au Temple de la Raison de Bourg, déclare avoir jugé les détenus sur leurs mines9. La première idée pour se débarrasser des détenus, devenant de plus en plus gênant, est de les mitrailler comme à Lyon. Mais après l’arrestation des officiers municipaux de Bourg et de Belley, durant la mission de Méaulle dans l’Ain, l’idée de “ l’égorgement des détenus dans leur prison ”10, qui serait mise en place11 en toute illégalité, est sérieusement envisagée. Les modérés seraient, cette fois-ci guillotinés de nuit, pour plus de commodité, “ ce qu’ils appelaient le triomphe des sans-culottes ”12.

 

Cette phobie de la persécution et cette crainte d’un complot des prisons hâtent la chute des sans-culottes et l’émergence, dans l’Ain, de la vague thermidorienne dès le mois de messidor an II. Les propos des sans-culottes face aux détenus et les exécutions du 24 pluviôse sont deux des points forts de la justification thermidorienne pour persécuter leurs anciens oppresseurs.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

mis en ligne par l’association SEHRI

 

 

1"Désisles a dit souvent à Convers que les détenus mettaient un grand obstacle à la marche révolutionnaire, qu'il s'était proposé que tant qu'ils en existeraient, ils intrigueraient et chercheraient à perdre la République, qu'il faudrait que la Convention adopta une mesure générale pour s'en débarrasser". Déclaration de Convers, A.D. Ain 15L 132.

2 Registre de délibérations de la municipalité de Bourg, A.C. Bourg série D.

3 Extrait des registres de délibérations du comité de surveillance du canton de Trévoux, 20 germinal an II. A.C. Trévoux, liasse 63.

4Lettre de Rollet-Marat à Albitte du 15 germinal an II. A.D. Ain 1L 153.

5 Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Bourg, A.D.Ain 13L 8.

6 A Lyon, cette dernière fait établir un recensement des détenus tout en prenant soin de faire cesser toutes les communications qu'ils pouvaient avoir avec l'extérieur. De plus, elle leur enlève des sommes d'argent pour les donner aux plus nécessiteux.

7 A Angers, ces listes de proscriptions envoient à la mort par fusillade près de 2 000 personnes en une semaine. Voit LEBRUN (F.) : Histoire d'Angers. Privat, 1979, 174 pages.

8A.D. Ain 1L 255.

9Dans le numéro 1 du père Duchesne la cadet, le représentant dit au père Duchesne " Père Duchesne, fais ce que je te dis, va aux prisons, examine bien, descend dans ton cœur, et tu liras bien vite l'innocence ou le crime sur le front du détenu". Collection de l'auteur.

10 Anecdotes tirées des milles et un brigandages exercés dans le département de l’Ain, an III. Collection particulière.

11 “ C’est avec l’aide de l’exécuteur des jugements criminels qu’on se proposait d’assassiner pendant la nuit...tu dresseras, lui dit Merle, la guillotine dans la cour du département ; à onze heure, minuit ou une heure, on te fera appeler, tu feras l’ouvrage & on te paiera bien. Cet exécuteur révolté des propos de Merle, répondit que la Nation le payait pour travailler le jour & non la nuit ”. Anecdotes tirées des milles et un brigandages exercés dans le département de l’Ain, an III. Collection particulière.

 

12 Anecdotes tirées des milles et un brigandages exercés dans le département de l’Ain, an III. Collection particulière.

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