1794 : les particularités de la mission de Gouly

3.18 GOULY : LE POINT CENTRAL DE LA RANCŒUR

A partir de nivôse an II, le représentant Gouly, qui focalise la rancoeur des sans-culottes de l’Ain, n’est désormais qu’un homme à l’attitude suspecte à plus d’un titre. Se venger de ses actions, de sa personne devient pour la sans-culotterie de l’Ain un exutoire à ses penchants égalitaires mais aussi l’outil de fraternisation ; les sans-culottes de Bourg envoient certains de leurs orateurs dans les sociétés populaires de l'Ain et de Saône-et-Loire, afin de pousser ces dernières à dénoncer Gouly¹. Le 6 pluviôse an II, la société de Trévoux déclare “ Gouly, modéré et royaliste”² et quelque temps plus tard, les sans-culottes bressans reconnaissent que la société populaire de Mâcon à “ contribué à nous délivrer d’un représentant qui trahissait ses devoirs “ ³. Autour du rejet de Gouly par les ultra- révolutionnaires de Bourg et de Belley, renaît dans l'Ain l'appareil autonomiste fédéraliste : refus des actes d'un représentant en mission, mais avec de nouvelles particularités ; cette fois-ci ce sont les sociétés populaires, nouveau souverain, qui dénoncent Gouly et non plus le directoire du département et c'est le manque d'esprit révolutionnaire du représentant qui est mis en avant et non plus leur trop grand esprit révolutionnaire. Tout en restant attaché à la Convention, les sans-culottes en dénonçant Gouly s'inscrivent dans l'esprit autonomiste particulier à l'Ain depuis le début de la Révolution face aux ingérences extérieures.

En stoppant les Sans-culottes dans leur projet de Commission Temporaire et en accusant son élite d'être ultra révolutionnaire, Gouly est lentement proscrit du cercle des bons citoyens par des attaques répétées aux tribunes des sociétés de Bourg et de Belley. La société de Trévoux tonne contre ses arrêtés : "Les maux que le représentant Gouly, envoyé dans ce département, avait fait à la chose publique, en imprimant une marche rétrograde à l'esprit révolutionnaire, par le rétablissement du fanatisme, l'incarcération des plus chauds patriotes et la liberté rendue aux plus dangereux ennemis du peuple"⁴. Cependant, avec l'incarcération de Blanc-Désisles, Rollet-Marat et Convers, le 17 nivôse an II, les dénonciations se font personnelles, à la tribune de la Société populaire de Bourg, par Merle, Chaigneau, Gallien et Alban, où il est personnifié comme un "scélérat,...infâme,...contre-révolutionnaire,...vil agent de Pitt et de Cobourg salarié par l'Angleterre"⁵. Malgré la présence dans l’Ain de représentants comme Albitte ou Méaulle, les attaques locales puis parisiennes contre Gouly ne cessent pas et se font de plus en plus nombreuses, pressantes ; le 19 pluviôse an II, Jules Juvanon rédige une dénonciation et c’est au tour de Thévenin d’en proposer une troisième le 27. Cette haine de Gouly permet le dépistage des modérés puisqu’un scrutin épuratoire est organisé avant la signature de cette pétition.

Les oppositions à Gouly prennent une nouvelle ampleur après le mois de nivôse an II, lorsque les sans-culottes de Bourg parviennent à faire partager leurs ressentiments aux commissaires civils entourant le représentant Albitte. Dorfeuille et Vauquoy se montrent les plus acharnés : "Dorfeuille au retour d'un voyage qu'il avait fait à Paris dit dans plusieurs séances de la société populaire, qu'il avait été indigné de voir le représentant du peuple Gouly dans la tribune des Jacobins à Paris, qu'il en descendrait bientôt, que Gouly avait bien voulu l'embrasser à Paris mais que lui Dorfeuille le repousse avec mépris"⁶. Avec eux, l’idée de le faire traduire devant le tribunal révolutionnaire fait son chemin. Pour porter sérieusement atteinte à Gouly, Dorfeuille, qui dit être "en relation intime avec Robespierre, Couthon et St Just"⁷, cherche à peser de tout son pouvoir. Lors d'un séjour à Paris en compagnie de Merle, durant la dernière décade de pluviôse an II, il se rend aux Jacobins et tente d’en faire exclure Gouly : "Nous voulons porter un coup à Gouly en tachant de le faire exclure des Jacobins. Comme l'on en est un scrutin épuratoire cela sera facile. La Société est déjà instruite de la dénonciation. Dorfeuille est jacobin, il vient d'être épuré, il pourra lui même reprocher en face à Gouly toute ses menées"⁸. Cette offensive aux Jacobins de Paris, entre le 21 et le 24 Pluviôse an II, oblige Gouly à se justifier auprès des membres du Comité de Salut Public le 24 Pluviôse et le lendemain auprès de ses amis : "voici, citoyenne les conseils d'un stoïcien républicain qui…n'en a pas moins été assailli de toutes part par les ambitieux intrigants qu'il a cru devoir mettre hors d'état de nuire, qui a pu se tromper, pour l'avoir été par de bons sans-culottes, enfin qui, comme homme, a pu tomber dans l'erreur"⁹. A la fin du mois de pluviôse an II, l’idée "que la tête de l'infâme Gouly tombe"¹⁰ fait partie intégrante du discours des sans-culottes.

De Gouly, à l’épuration des éléments indésirables de la députation de l’Ain, il n’y a qu’un petit pas idéologique, que les sans-culottes franchissent aisément avec la complaisance involontaire des commissaires civils. Dès le 21 pluviôse an II, la haine contre Gouly s'étend au député d'Ambérieu Ferrand lorsque Juvanon fait accepter, par la Société des Sans-culottes, une dénonciation contre ce dernier.

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

mis en ligne par l’association SEHRI