1794 : le dégagisme des sans-culottes de l'Ain

 

3.19 LE RENOUVELLEMENT DE LA CONVENTION

 

L’idée de renouveler la Convention est la conséquence de deux faits : d’une part le projet de Gouly de dissoudre la société populaire de Bourg et d’autre part la publication du décret du 28 pluviôse an II. L'idée de tenir la Convention en leur pouvoir naît à Bourg dès l'accession des sans-culottes aux places municipales en septembre 1792. Pour eux, le système électif n'est qu'un moyen pour prendre le pouvoir et pour cela ils imposent à Bourg lors des assemblées primaires de l'automne 1792, en vue de nommer des grands électeurs pour élire les députés à la Convention, le mode de scrutin par acclamation. Ne pouvant l'imposer à Trévoux quelques jours plus tard, "ils souhaitaient qu'en vertu des pouvoirs que les assemblées primaires ont délégués, nous prissions un arrêté tendant à révoquer quand nous le jugerions à propos les pouvoirs des députés à la Convention Nationale qui trahiraient notre confiance"[1]. Dès la mise en place du système républicain en France, les jacobins de Bourg ont une idée précise du Gouvernement de la France, une démocratie directe.

 

 Lors de son séjour dans l’Ain, Gouly utilise la crainte de la dissolution des sociétés populaires comme une éventualité aux problèmes politiques locaux. Cette menace devient le moteur de l'évolution des idées politiques des sans-culottes, en nivôse et pluviôse an II, en acquérant la certitude qu'ils sont, par leur réunion en sociétés populaires, souverains et indispensables à une Convention qui n'est là que par leur volonté et à qui l’on doit rendre des comptes : “ les moyens de salut public. . .furent de destituer dans les différentes fonctions publics les membres qui n’étaient pas animés de l’esprit révolutionnaire ” [2]. Dès pluviôse an II, ils se donnent une légitimité sur les autres citoyens et ne doutent pas de leur utilité sur l'échiquier politique local puis national. Blanc-Désisles soutient l'idée que "les sociétés populaires ne doivent être composées que d'un petit nombre d'individus qui tous devaient être révolutionnaires et qu'il donnait pour raison que si la Convention appelait dans son sein quelques sujets pour remplacer les députés ou suppléants  fédéralistes, elle s'adresserait sûrement pour ce choix aux dites sociétés qui composaient la partie saine du peuple" [3]. Les sans-culottes n’ignorent pas que la composition de la Convention émane du vote populaire et cherchent à ramener à eux le pouvoir politique en soumettant la Convention aux sociétés populaires qu’ils croient, depuis le rappel de Gouly, inattaquables : "ce traître voulait nous dissoudre, mais il n'a pas le droit , ni même la Convention, nous sommes le peuple souverain et c'est nous qui pouvons les dissoudre"[4].

 

La nouvelle du décret de la Convention du 28 pluviôse an II et la confirmation des soupçons des Sans-culottes sur la responsabilité des députés de l'Ain dans cette affaire, les amènent à s’en prendre à la députation de l'Ain, puis à vouloir l’épuration de la Convention, d’autant plus que le 24 pluviôse, Momoro attaque violemment les Jacobins au club des Cordeliers, consacrant la subordination des autorités au vrai souverain, contre des jacobins initialisant une politique gouvernementale autoritaire : "vous seuls avez le droit de nommer vos députés, de leur imposer les devoirs de leurs places, de révoquer leurs pouvoirs, de leur faire rendre compte de leur gestion et de les récompenser ou punir suivant qu'ils se seront bien ou mal acquittés de leurs fonctions"[5]. Alors que "les jacobins visaient à devenir des hommes politiques, les Cordeliers se contentaient d'être des citoyens"[6], de ce fait les sans-culottes de l'Ain, durant le courant de l'hiver de l’an II, passent d'une affinité à l'autre.

Les séances des sociétés de Bourg et de Belley se rythment des dénonciations contre les députés Ferrand, Gauthier-des-Orcières, Gouly, Merlino et Deydier : "Citoyens, depuis trois mois je vous dis qu'il faut faire des dénonciations contre Gauthier, Deydier et autres. Et vous êtes des lâches de ne l'avoir pas fait encore puisque ces députés sont des gueux et des scélérats. Que Gallien pour engager et faciliter les dénonciations enhardit même les sociétaires qui y avaient de la répugnance d'écrire; Citoyens, les membres de la Convention nationale ne sont que nos commis à 18 livres par jour et c'est nous qui sommes les négociants, et finit par demander l'extrait mortuaire de toute la députation de l'Ain excepté Jagot"[7]. Dès lors, toute comparaison à l’attentisme d’un député devient un signe d’opprobre : Convers dit des patriotes de Pont-de-Vaux qu’ils "sont sans qualité et endormis par le style de Deydier"[8].

Les sans-culottes, notamment Blanc-Désisles, défendent l'idée d'épurer la Convention : " la Convention n'avait plus d'énergie et le Comité de Salut Public était sans force parce que sa marche était entravée par les modérés. Il fallut. . .renouveler l'un et l'autre.. . . Dans les entretiens particuliers qui se tenaient chez lui, il ne cachait point sa haine implacable contre tous les représentants du département l'exception faite du représentant Jagot" [9]. Les sociétaires n'hésitent pas à ironiser sur les crapauds du marais et le petit nombre de patriotes qui compose la Convention, qui, pour Alban est gangrenée, il faut donc l'épurer[10] : “sous peu de jours, arriverait un événement terrible à Paris, bien plus extraordinaire que celui du 31 mai"[11], "que les sans-culottes aurait une entière victoire"[12], "Dans un mois, il arrivera à Paris un événement semblable à celui du 31 mai; il s'agit d'épurer de nouveau la Convention : un grand nombre de ses membres périront et parmi eux, Gouly et tous les députés du département de l'Ain excepté Jagot"[13].  Pour Blanc-Désisles, la Convention est trop vieille, il faut la rajeunir [14]. Avec Dorfeuille, l’épuration de la Convention prend une tournure nationale et politique. Il ne s’agit plus de reporter à Paris les clivages violents de l’Ain, mais bien de nationaliser les luttes parisiennes : "Citoyens, il s'élève dans le sein de la Convention, un parti puissant, dont Robespierre est le chef, il veut faire périr les sans-culottes, il faut qu'il périsse ou que nous périssions ; serrons-nous; nous sommes perdus si nous manquons de courage ou si nous nous désunissons"[15].

            Les sans-culottes rejettent la souveraineté exprimée par les sections et les assemblées primaires, trop impliquées à Bourg lors de la crise fédéraliste, au profit d’un nouveau pouvoir, épuré, qui ne peut s'exercer qu'en sociétés populaires. La phrase de Merle est symptomatique du renversement de la souveraineté et de l’idée de pouvoir : "je ne veux voir aucun de nos députés. . .(car) ils n'ont pas la confiance des Sans-culottes de Bourg"[16].

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

mis en ligne par l’association SEHRI

 



[1] Lettre des électeurs de Poncin à la municipalité de Poncin, 5 septembre 1792. A.C. poncin D1.

[2] Rapport de Juvanon sur les évènements de Bourg. A.D. Ain série L non classée.

[3]Déclaration de Convers, A.D. Ain 15L 131.

[4]Témoignage de Claude-Marie Gayet, A.D. Ain 15L 132.

[5] BOUGEAUT (Alfred) : Les Cordeliers, page 175.

[6] BOUGEAUT (Alfred) : Les Cordeliers, page 147.

[7]Témoignage de Claude-Marie Gayet, cahier de dénonciation 1. A.D. Ain 15L 132.

[8]Lettre du 4 ventôse an II, de Vauquoy et Convers. A.D. Ain 1L 255.

[9]Déclaration de Convers. A.D. Ain 15L 131.

[10]Témoignage de Jean Rougemont, cahier de dénonciation 1. A.D. Ain 15L 131.

[11]Témoignage numéro 15, cahier de témoignage A. A.D. Ain 15L 132.

[12]Témoignage de Jean Rougemont. Cahier de dénonciation 1. A.D. Ain 15L 131.

[13]Lettre de Gauthier-Cincinatus, du 10 germinal an II, cité par DUBOIS (Eugène) :  Histoire de la Révolution dans l'Ain. Tome 5 page 14.

[14]Témoignage de François-Marie Charron. A.D. Ain 15L 131.

[15]La société des sans-culottes de Bourg Régénéré à la Convention Nationale, n.d. Collection particulière.

[16]Lettre de Merle. A.D. Ain 13L 60.

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