1915 : le bleu horizon

A l'origine le bleu ciel de l'automne 1914

            Afin de pourvoir en habillement les hommes, et après les pertes de l'été, l'effort des confections est mis sur les capotes, les képis et les pantalons. Toutefois, dès le 24 octobre 1914, le ministère de la guerre fait le constat de l'échec du pantalon garance et dans une circulaire il préconise que « le pantalon sera de couleur bleue, soit qu'il soit confectionné en étoffe bleue, soit que confectionné en drap garance ou autre il soit recouvert d'un second pantalon en toile bleue »[1]. Il faut en effet, suite aux écatombes de septembre, « cacher le rouge », mais aussi désormais que la guerre se ralonge, « protéger le pantalon de drap contre l'usure, garantir mieux l'homme contre le froid et l'humidité »[2]. A cette mesure s'ajoute l'apparition du drap gris bleuté clair, « réservé pour la confection des capotes et des képis ». Les pantalons et les vestes peuvent être fabriqués avec des velours de coton et de draps réglementaires de teinte neutre.

Cette recherche du camouflage touche aussi les troupes d'Afrique le 25 octobre. Ils perçoivent dès lors des capote du modèle de l'infanterie en drap, plus chaud, des couvre chéchia, un pantalon kaki et une veste kaki. La perception se faisant par échelon « au fur et à mesure des livraison » [3], l'armée reste économe de ses effets et de ses deniers, le ministre de la guerre prescrit de transformer les pantalons des zouaves et des tirailleurs, en allégeant le sarouel du « drap qui se trouve dans l'entrejambe »[4].

Dès le début de la guerre, une portion de l'armée porte une veste de couleur bleu ciel. Il s'agit des hussards et des chasseurs. C'est le 9 décembre 1914, que la notice descriptive des nouveaux uniformes des troupes métropolitaines et coloniale donne le drap bleu clair comme drap uniforme. Ce drap est à la base le drap tricolore[5] mis à l'essai vers 1912 à qui on enlève le rouge produit en Allemagne, restant composé de laine bleu-indigo et de laine-blanche. Cette notice introduit aussi une simplification de la confection de la capote notamment, pourtant déjà modifiée le 27 septembre. La vareuse est désormais toute arme et prend comme modèle la vareuse dolman des chasseurs alpins mais de couleur bleu clair mais avec un collet droit, sans doublure et dans parements aux manches. La culotte et le képi aussi deviennent toutes armes, sauf pour les  troupes alpines qui voient leur béret conservé par circulaire du 21 mars 1915, en bleu ciel. Désormais seules les soutaches des pattes de col distingues les subdivisions d'armes. La confection de la capote des troupes à pied doit revenir à 3 francs, la vareuse à 3 francs 20 et le képi à 1 franc 50.

Toutefois le jonquille donné le 9 décembre 1914 à l'infanterie de ligne et aux Zouaves, est modifié le 16 avril 1915 pour prendre la couleur du drap de fond, « les écussons jonquilles étant abandonnés en raison de leur visibilité »[6].

 

L'image du bleu horizon

Le bleu horizon façonne de manière durable la perception du soldat français de la Grande Guerre. Déjà, durant la seconde moitié du conflit, l'uniforme bleu horizon s'il dépersonalise le soldat par rapport à son arme, il unifie et fédère. En effet, avec une armée française composée des troupes métropolitaines et coloniales, l'uniformisation bleu horizon gomme les différences entre métros et coloniaux et tous ne considèrent le bleu horizon que comme la seule couleur et la seule valeur humaine et viril. Pourtant, pour certains « vieux poilus », l'arrivée de ce bleu horizon est vu avec demi enthousiasme voir septicisme : « on voulait donc échanger contre d'autres vêtements neufs et sans gloire, ces pantalons rouges, objets de leur fierté, qu'ils avaient, eux, les poilus du début, en ces jours de septembre » note le chef de bataillon Cader de Marseille. Pour ces vieux poilus, l'image lié à leurs pantalons garance est celle de la victoire de la Marne, « rouge de sang, encombrée des cadavres » ennemis.

Toutefois, à compter de 1915, l’héroïsme des masses de soldats, passif et sacrificiel, bien que mis en valeur par les contemporains, résiste à la mise en récit car il ne permet pas de personnifier le combattant. A ce déficit d'image valorisante voir héroïque, s'ajoute l'uniformisation du bleu horizon gommant encore plus les spécificités et participant grandement à une dépersonnalisation du poilu.

 

Jérôme Croyet

membre du GmT 713 

 



[1]              Circulaire du ministre de la Guerre sur l'habillement, le campement et le couchage. Paris, 24 octobre 1914. Centre de documentation du Musée de L'Empéri, Z20e.

[2]              Circulaire du ministre de la Guerre sur l'habillement, le campement et le couchage. Paris, 24 octobre 1914. Centre de documentation du Musée de L'Empéri, Z20e.

[3]              Circulaire du ministre de la Guerre sur la nouvelle tenue des troupes d'Afrique. Bordeaux, 25 octobre 1914.Centre de documentation du Musée de L'Empéri, Z20e.

[4]              Circulaire du ministre de la Guerre sur la transformation des pantalons de drap des zouaves et des tirailleurs. Bordeaux, 25 octobre 1914.Centre de documentation du Musée de L'Empéri, Z20e.

[5]              laine bleue (60%), rouge (30%) et blanche (10%).

[6]              Bordereau d'envoi du ministre de la Guerre, Paris, 16 avril 1915. Centre de documentation du Musée de L'Empéri, Z20e

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