1793 : fonctionnement du maillage sociétaire dans l'Ain

3.21 Le fonctionnement des sociétés populaires

 

Suivant le souhait du club des Jacobins de Paris1, les sociétés des Sans-Culottes dans l'Ain s'organisent de la même manière : la société de Bourg agit comme une société mère2 à laquelle les sociétés des chefs-lieux de canton demandent à être affiliées ; Jules Juvanon, de retour d’une mission à Bourg, en septembre 1793 dit : “ l’esprit public acquérait chaque jour un nouveau degré d’énergie, que le club des sans-culottes aurait bientôt entièrement régénéré cette ville ”3. Après une enquête sur leur patriotisme, l'affiliation est prononcée ou la société est épurée : “ il a été arrêté à l’unanimité que la société de Treffort, composée de bons sans-culottes, demeurait affiliée à celle de Bourg Régénéré4. A leur niveau, ces sociétés affilient celles des communes de leur canton. Dans certains cas, les sociétés développent des liens fraternelles entre elles. D’abord par des participations actives à des fêtes ou des banquets5 puis, en prairial an II, un phénomène de « fraternité active »6 se met en place. Celle-ci consiste en l’échange de présence de membres de chaque société aux séances de l’autre et vice-versa, afin de mutualiser, communiquer « réciproquement nos lumières ; nos sentiments de fraternité ne pourront que s’accroître »7.

Les sociétés populaires s’installent souvent dans les églises désaffectées et afin d’instruire le peuple sur la politique et les lois, elles font installer des tribunes ouvertes où le public, en « spectateurs »8, peut venir assister aux débats.

Ces affiliations deviennent même des associations de sociétés, durant l'hiver 1793-94, avec pour buts communs, "prendre des renseignements mutuels pour arriver tous au même but, l'affermissement de la Liberté, de l'Egalité et de la République, une, indivisible et démocratique"9. A ce moment là, malgré les lois en vigueur depuis frimaire an II, ces réunions de sociétés peuvent s'apparenter à une forme de réminiscence locale du fédéralisme jacobin méridional.

Si en 1791, la création des sociétés populaires peut être due à l'enthousiasme et à la concrétisation de la volonté populaire, en l'an II, ces sociétés populaires, conscientes de leur souveraineté, agissent envers Paris tels des censeurs, apportant leur caution d'adhésion populaire à la politique. Dans l'Ain, comme ailleurs, ce sont elles qui désignent les administrateurs suspects et les patriotes dignes de confiance. La société populaire de Bourg est à la tête d'un maillage départemental de type pyramidal avec l'établissement "entres elles, d'une correspondance active pour tout ce qui intéresse le salut public et l'exécution des lois"10. De ce fait, les sociétés populaires se veulent l'organe purifié d'instruction des lois. Ceci a pour conséquence, la politisation très forte des sociétés urbaines qui comprennent rapidement qu’un nombre restreint de membres facilite l'application d'une politique donnée ainsi que l'acceptation de cette politique par lesdits membres11, se coupant des autres patriotes pour devenir une minorité agissante.

 

Le règlement de la société de Bourg est commun à beaucoup de sociétés avec quelques modifications éventuelles. En effet, lorsqu'une société s'épure et devient société des Sans-Culottes, sous le contrôle de commissaires de Bourg, elle accepte le règlement de la société mère : " à l'ouverture de chaque séance, le président par ordre de liste, nomme quatre censeurs, lesquels sont pour la surveillance, l'ordre qui doit régner dans la société; et si toute fois il se trouve quelques perturbateurs, les censeurs sont autorisés à les dénoncer, et le président a droit de les faire arrêter et conduire dans la maison de sûreté. Chaque candidat doit être présenté et appuyé de dix membres, et est affiché pendant trois jours; pour lors il passe au scrutin. S'il est admis, il prête entre les mains du président, le serment prescrit par les lois; s'il est rejeté, nulle réclamation. Lorsqu'un membre demande la parole, il monte à la tribune, et si quelqu'un l'interrompt, il et rappelé à l'ordre et censuré. Toute dénonciation se fait par écrit et est envoyée au comité de surveillance. Le scrutin épuratoire est toujours à l'ordre du jour, car en effet, citoyens, tel sous le masque du patriotisme est reçu membre, et par la suite, le masque tombant, la gangrène fait des progrès; adieu la Révolution, adieu la Société"12. Toutefois, quelques sociétés se dotent de règlements particuliers13. En nivôse an III, la société d'Ambérieu adopte un règlement qui proscrit de la société épurée toutes les personnes n'habitant pas la commune. L'admission d’un candidat dans une société populaire se fait après délibération. A la société de Belley, l'appel des séances extraordinaires se fait, avec l'accord de la municipalité ou du comité de surveillance, par un tambour.

Toutefois le choix des séances n’est pas sans conséquences. Si des sociétés n’accordent pas de cas au précédant catholique, comme la société de Pont-de-Vaux qui tient ses séances le jeudi puis le lundi, dans certains cas le choix ce porte sur le dimanche, comme à Ceyzériat, Pont-de-Veyle ou saint-Jean-le-Vieux. Ce choix, sans doute symbolique, n’en est pas moins souvent mauvais, car comme lors de la messe, un certain nombre de citoyen préfèrent aller au cabaret ou sur les places publiques que de « parvenir à la hauteur de la Révolution »14 en côtoyant les séances publiques de la société populaire.

 

Si les sociétés sont des créations populaires spontanées15, échappant politiquement et administrativement à l'Etat mais canalisées au fils des mois, les comités de surveillance dans l'Ain ne suivent pas le même principe, ils sont une création législative circonstancielle en réponse à des troubles intérieurs et à des factions16 auxquelles il convient de faire sentir toute la puissance de la République et la force de la Loi. Les comités de surveillance sont régis par plusieurs lois.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

mis en ligne par l’association SEHRI

 

1 "Pour palier les défections et éliminer les sociétés modérés, Paris multiplie les affiliations en province et encourage autour de chaque club la création de réseau secondaire". "Clubs et sociétés populaires" in Dictionnaire critique de la Révolution Française, tome institution et création, page 123.

2 Le comité de correspondance de la commune de Paris félicite, le 30 septembre 1793, la société de Bourg de vouloir correspondre avec la municipalité de Paris.

3 Rapport de Juvanon sur les événements de Bourg. A.D. Ain série L non classée.

4 Extrait du registre de délibérations de la société des sans-culottes de Bourg, 24 brumaire an II. A.D. Ain 13L 53.

5 C’est le cas le 30 germinal an II, avec la présence de commissaires de la société populaire de Saint-Jean, pour la représenter à la fête en mémoire des martyrs de la liberté de Lagnieu.

6 Registre de délibérations de la Société des Sans-Culottes de Saint-Jean-le-Vieux, 10 prairial an II. A.D. Ain 13L.

7 C’est la demande faite par la société de Jujurieux à celle de Saint-Jean-le-Vieux le 10 prairial an II. Registre de délibérations de la Société des Sans-Culottes de Saint-Jean-le-Vieux, 10 prairial an II. A.D. Ain 13L.

8 Registre de délibérations de la Société des Sans-Culottes de Saint-Jean-le-Vieux, 10 prairial an II. A.D. Ain 13L.

9 Extrait des registres de délibérations de la société des sans-culottes de Meillonnas, 9 frimaire an II. A.D. Ain 13L 31.

10Lettre de la société des Sans-Culottes de Bourg à la société des Sans-Culottes de Treffort, du 24 brumaire an II, signée Convers président et Anselme secrétaire. A.D Ain 13L 53.

11"Désisles prétendait que les sociétés populaires ne devaient être composées que d'un petit nombre d'individus, qui tous devaient être révolutionnaires". Témoignage de Convers. A.D. Ain 15L 131.

12Discours de Rollet-Marat à la société populaire de Châtillon-sur-Chalaronne, du 23 octobre 1793. Cité par DUBOIS (Eugène) : La Société populaire des Amis de la Constitution de Châtillon-sur-Chalaronne in Bulletin de la société des naturalistes et des archéologues de l'Ain, n°46, 1932.

13 La société populaire de Lagnieu, créée le 13 brumaire an II, adopte le règlement de la société populaire de Mâcon. La société populaire de Nantua crée le sien en 1791 puis le révise en l'an III. La société de Meximieux, créée le 9 mars 1792, adopte le règlement de la société populaire de Lyon.

14 Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Saint-Jean-le-Vieux. A.D Ain 13L 74.

15 Ces sociétés sont souvent formées sans directives par un noyau de citoyens motivés.

 

16Rebelles vendéens et chouans, contre-révolutionnaires, agioteurs, trafiquants, faux monnayeurs et accapareurs.

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