1794 : vers un tribunal révolutionnaire aindinois

 

3.23 Le Comité Central de Surveillance de l'Ain

 

Le 5 brumaire an II, sur une requête des sans-culottes de Bourg et une idée de Blanc-Désisles revenu de Paris, le représentant Reverchon organise le Comité Central de Surveillance du département de l'Ain. Si son arrêté n'a qu'une portée géographique restreinte, puisqu'il ne fait que transformer le comité de surveillance de la Société Populaire des Sans-Culottes de Bourg, il a une très grande aire d'influence, puisqu'il le transforme en Comité Central de Surveillance du Département de l'Ain. Cette création correspond, en province, au projet élaboré en août 1793 à Paris de "substituer aux institutions une forme originale de pouvoir exécutif (sur la base de comités centraux de sociétés populaires), proche de celle que les sans-culottes parisiens réclamaient"1. Ce cas de comité central n'est pas unique, le 21 avril 1793, une fédération de sociétés populaires est organisée à Baume-de-Transit dans le but de créer un tel comité. Un comité de ce genre est créé à St Paul-les-Trois-Châteaux en avril 1793. Or la différence avec ces essais post-fédéralistes réside dans le fait que dans l'Ain c'est un représentant du peuple en mission qui l'établi, lui léguant ainsi une partie de ses pouvoirs et que sa création se fait après la crise fédéraliste.

Les sans-culottes disposent d'un outil puissant pour imposer leur volonté aux modérés. Ils ont désormais le pouvoir d'incarcérer dans l'étendue du département. Beaucoup des membres du Comité Central occupent déjà d'autres fonctions2 et sont tous membres de la société des sans-culottes de Bourg, contrairement au comité central du district de Montélimar qui est "composé de député d'environ quarante sociétés"3. Sa création se fait malgré l'interdiction de centraliser les arrestations dans les départements. Le 6 brumaire an II, les membres du nouveau comité prêtent serment et approuvent les arrestations ordonnées par le précédent comité. Le même jour, sur ordre de Bassal et Bernard ils font incarcérer les fédéralistes4.

Reverchon lui donne le droit d"établir une correspondance suivie entre les différents comités du département, sur les objets qui leur sont dévolus par la loi"5. Les membres choisis pour ce comité ont presque tous été victimes de la crise fédéraliste, ne cherchant qu'à se venger de leurs ennemis politiques. Le Comité Central de Surveillance est un atout exceptionnel dans la lutte politique des Sans-Culottes. Merle, pour lors accusateur public du Tribunal Révolutionnaire de Lyon, félicite les sans-culottes de “ l’établissement et la formation du comité central de surveillance. Il est composé de vrais sans-culottes, c’est à dire des vrais et chauds amis de la liberté ; c’est ce qu’il nous faut dans ce moment afin d’atterrer l’aristocratie et le fédéralisme de manière qu’ils ne reparaissent pas ”6. C'est un embryon local de fédéralisme jacobin, équivalent bressan de la Commission de Surveillance Temporaire lyonnaise. Comme elle, il envoie certains de ses membres comme commissaires auprès des représentants, pour faire ratifier des listes de suspects à incarcérer et ou à destituer, ou dans les districts pour organiser correctement les comités de surveillance jugés suspects ou tièdes7. Dès le 9 brumaire an II, le Comité Central fait connaître son existence et ses buts dans une circulaire qu'il adresse à tous les comités de surveillance et aux sociétés populaires de l'Ain ; il est là pour organiser la mise en place des comités de surveillance là où il n'y en a pas, surveiller les comités et détruire les ennemis intérieurs. Dès sa création, le Comité Central dresse un tableau de tous les citoyens composant les différents comités de surveillance de l'Ain. De même, il dicte, invite ou donne des directives aux comités de l'Ain. C'est ainsi qu'il autorise le comité de Verny à avoir une correspondance suivie avec les autres comités du département. Par son centralisme, le Comité Central devient le point de regroupement des informations et le centre de décision pour tout département. Le 16 brumaire an II, le Comité Central obtient de nouvelles prérogatives du Représentant Petitjean, il a le droit "de faire imposer les riches égoïstes, pour les frais et les dépenses que le Comité sera obligé de faire pour leurs travaux ainsi que celui du bureau"8.

Dès sa constitution, le Comité Central dicte aux comités de l'Ain la manière à suivre. C'est lui qui autorise le comité de Verny à instaurer une correspondance suivie avec les autres comités du département. Par son centralisme, le Comité Central tend à vouloir regrouper les informations et devenir le centre de décision des comités de surveillance et des sociétés populaires du département. Il essaye aussi de devenir le relai entre eux et les représentants du peuple en mission. Suite à une dénonciation du conventionnel Deydier, contre le cumul des fonctions et le centralisme, les membres du Comité Central de Surveillance de l’Ain reçoivent, le 11 frimaire an II, une lettre du représentant Reverchon l’interdisant. Après s'être défendu de ces accusations, le Comité Central de Surveillance du Département de l'Ain se dissout le 14 frimaire an II. En un mois et neuf jours d'existence, il a fait arrêter 97 citoyens mais a permis la main mise complète de la société de Bourg sur la politique départementale. Si le pouvoir de contrôle et d’arrestation des sans-culottes se trouve amoindri par la dissolution du Comité Central, les sans-culottes de Bourg parviennent à façonner les comités de surveillance communaux grâce à leur serment, qui, grâce différentes missions de Juvanon, Rollet-Marat et Baron-Chalier, est le plus répandu : " Nous jurons de surveiller tous les traîtres, de n'avoir aucune considération particulière, de suivre l'intimité de notre conscience, de rapporter toutes nos actions au salut de la Patrie et de garder le secret le plus inviolable de toutes nos délibérations. Nous appelons sur nos têtes le glaive national si nous manquons à aucuns de nos engagements"9.

Comme dans la Drôme, l'existence du Comité Central de Surveillance de l'Ain permet à quelques sans-culottes de démarquer du lot de la masse, tel Blanc-désisles à Bourg ou Claude Payan dans le midi.

 

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

mis en ligne par l’association SEHRI

 

 

1 DUPORT (Anne-Marie) : "Les congrès des sociétés populaires tenus à Valence en 1793 : résistance au fédéralisme et anticipations politiques" in Actes du 111e congrès national des sociétés savantes Poitiers 1986. Paris, C.T.H.S., 1986, pages 21 à 37.

2Baron est déjà administrateur au département, Rollet est officier municipal, Duclos est notable, Alban est officier municipal, Convers agent national de la commune de Bourg et Blanc-Désisles est maire.

3 DUPORT (Anne-Marie) : "Les congrès des sociétés populaires tenus à Valence en 1793 : résistance au fédéralisme et anticipations politiques" in Actes du 111e congrès national des sociétés savantes Poitiers 1986. Paris, C.T.H.S., 1986, pages 21 à 37.

4Sont mit en arrestation, Populus ex-constituant, Duhamel, Barquet.

5Arrêté de Reverchon portant sur la formation du Comité Central de Surveillance pour tout le département de l'Ain. A.D. Ain série L fonds non classé.

6 Lettre de Merle, 22 brumaire an II. A.D. Ain 13L 60.

7 C'est le cas par exemple à Ambronay où Jules Juvanon, commissaire du Comité Central, convoque extraordinairement le comité de surveillance afin de vérifier si le comité a bien été installé; c'est le cas aussi de Montluel où se rendent Rollet-Marat et Baron-Chalier.

8Registre de délibérations du Comité de Surveillance de la Société Populaire des Sans-Culottes de Bourg. A.D. Ain 14L 15.

 

9A.D. Ain 14L 15.

Écrire commentaire

Commentaires: 0