1794 : l'activité des comités révolutionnaires de l'Ain

 

3.24 Travaux des comités de surveillance

 

D'après les tests définis par Martine Lapied pour caractériser les attitudes politiques des comités de surveillance, "on peut retenir la date et le mode de création, la composition sociale et les éventuelles épurations, le fonctionnement"1, on peu en déduire que les comités de surveillance de l'Ain sont une œuvre révolutionnaire répressive et policière à mutliples objectifs2, savamment réorganisée par les représentants du peuple Albitte, Méaulle et Boisset, pour qu'ils correspondent idéologiquement à l'ambiance politique nationale. Le fait qu'à partir de pluviôse an II, les membres des comités ne soient plus élus mais nommés, renforce cette politisation. Dans l'Ain, les comités de surveillance sont nombreux, 155, et inégalement répartis sur l'ensemble du territoire, mais trois fois plus nombreux que les sociétés populaires. Mais ils demeurent moins nombreux qu'en Haute Normandie, où sur 6 districts on compte 521 de ces comités, mais de loin plus nombreux que dans le Puy de Dôme où seuls 3 comités existent3. Le nombre de comités de surveillance dans l'Ain est à peu près aussi nombreux qu'en Côte d'Or voisine, où se trouve 210 comités, faisant de ce fait une homogénéité bourguignone.

Toutefois, 32% des révolutionnaires de l'Ain recensés font partie de ces comités de surveillance. Relativement bien organisés avant la crise fédéraliste, les comités de surveillance de l'Ain se politisent dès l'été 1793 en se montrant défavorables au mouvement de fronde ambiant. L'hiver 1793-94 marque le point d'orgue de création de comité, 68% le sont à ce moment sous l'impulsion du représentant Gouly et des sociétés populaires de Bourg, Belley, Ambronay ou St Rambert. De ce fait, les comités de surveillance se trouvent rapidement mis sous l'obédience politique des sociétés populaires car beaucoup des membres choisis pour ces comités le sont parmi les membres d'une société populaire. Cette orientation plus politique se vérifie dans l'antagonisme communal comité-municipalité, dans lequel les comités se donnent une prédominance sur les municipalités. Toutefois, la légalité des comités de l'Ain, c'est à dire leur observation de la loi est très importante dans l'Ain, en effet, suivant la loi du 21 mars, 18% des comités sont créés et suivant la loi du 14 frimaire an II, 56% des comités se réorganisent durant l'hiver 1793-94. Les lieux de réunions des comités sont symptomatiques de l'importance qu'ils se donnent, 58% d'entre eux délibèrent, secrètement, à la mairie, 18,56% dans une maison et 16,24% à la cure. Par ces dispositions les comités prennent possession des lieux stratégiques de la vie politique locale afin de se déclarer comme un des éléments incontournable de celle-ci.

 

Le travail des comités de surveillance dans l'Ain diffère selon deux facteurs : la situation géographique du comité et la situation politique. Avant brumaire an II, peu de comités de surveillance ont une activité mis à part ceux de Bourg et de Belley qui chassent les fédéralistes. A partir de brumaire an II, les comités de surveillance des communes vont commencer par contrôler l'application des lois puis vont servir de moteur révolutionnaire en les faisant exécuter. Sur la frontière, les comités de surveillance connaissent un grand regain d'activité, de par leur situation géographique, soit avec la Suisse ou le département du Mont Blanc, qui leur fournit beaucoup de travail ; le passage et la surveillance des étrangers4, ainsi que le contrôle du transit des vivres. Durant l’hiver 1793-94, le comité de Divonne s'occupe du passage d’étrangers, en majorité savoyards mais aussi allemands, et de marchandises. Puis, lorsque le printemps arrive, il trouve une nouvelle activité avec le trafic de faux assignats. Les activités des comités de Seyssel, Versoix et Meyrin, sont sensiblement les mêmes, le comité de Meyrin se soucie principalement, en brumaire an II, du trafic de blé entre la France et la Suisse ; tandis qu'à Seyssel le comité s'emploie à la chasse aux prêtres et aux nobles, il ne se passe pas un jour sans que des perquisitions et des appositions de scellés soient effectuées. A Versoix, le contrôle des gens de passage conduit les membres du comité à être très méfiants vis à vis des étrangers venant de Suisse ou du Mont Blanc5. Quant à lui, le comité de surveillance de Collonges contrôle 216 passeports entre le 15 thermidor et le 15 fructidor an II, alors que celui du Bourg en contrôle 316 du 25 Frimaire an II au 28 thermidor an II. Si des particularités existent pour les comités frontaliers, en revanche le travail d'un comité non-frontalier varie peu d'une commune à l'autre. L'ardeur que mettent les membres des comités de surveillance à leurs fonctions dépend non seulement de leur patriotisme mais aussi de la façon dont leurs actions sont perçues par leurs concitoyens. Pour cela les membres du comité de surveillance de Bourg demandent à Merlino un insigne, le 24 Pluviôse an II, pour se faire reconnaître publiquement.

La seule variation dans le travail des comités tient aux fluctuations politiques d'après thermidor an II. De brumaire à thermidor an II, les comités de surveillance de l'Ain s'occupent d'affaires diverses et variées, comme arrêter les suspects, poser les scellés, visiter les prisons, s'occuper des dons patriotiques, du ravitaillement, des subsistances, de l'accaparement, de la fabrication de cuir, de visites domiciliaires, de recevoir des dénonciations, de réviser les certificats de civisme, de contrôler les voyageurs, bref tout ce qui entre dans le cadre de l'application des lois qui est d’ailleurs souvent à l'appréciation du comité, seul juge de l'étendue qu'il donne à ses fonctions. Si certains comités sont assez prudents vis à vis de leurs concitoyens, d'autres le sont beaucoup moins. Le comité de surveillance de Virieu-le-Grand fait arrêter, après une enquête sérieuse, un citoyen pour avoir dit que les assignats étaient des torches-cul6. Mais il arrive que certains comités omettent d'être impartiaux et servent ouvertement aux vengeances personnelles de certains membres, comme à Jujurieux et à Seyssel7. Le travail qui incombe aux comités de surveillance et la liberté que ces derniers se donnent dans leur marge d'action, peut pousser certains d'entre eux à outrepasser leurs fonctions. C'est le cas à Nantua et à St Rambert lorsque le comité députe deux de ses membres à Belley pour arrêter deux citoyens s'y trouvant8, dépassant ainsi leur limite géographique. Quelques comités de surveillance ne se donnent pas qu'un rôle de police du Gouvernement révolutionnaire et se sentent un rôle moral9 et judiciaire, instruisant des affaires de vols ou de mœurs. Le 22 Nivôse an II, le comité de surveillance de Bourg fait traduire à la maison d'arrêt de Bicêtre huit femmes de mauvaise vie10.

A partir de thermidor an II, le travail des comités de surveillance tend à ne plus être le même, d'une part du fait de la suppression d’un grand nombre d’entre eux mais aussi à cause de la chute du régime terroriste qui ouvre les prisons amenant un vent de modération. Désormais, les comités sont limités dans leurs pouvoirs. Certains acceptent cela sans trop de problème mais autre n'acceptent pas ce changement, notamment en ce qui concerne la libération de détenus. Désormais les comités ne font plus qu'enregistrer les décrets et veiller à leur application, ils ne délivrent que très rarement des mandats d'arrestations bien qu'ils reçoivent encore des dénonciations.

 

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

mis en ligne par l’association SEHRI

 

1 Etat des recherches de Martine Lapied sur les comités de surveillance dans le Sud Est de la France, tiré de son mémoire d'habilitation, 1997.

2 Chasse aux suspects, aux nobles, aux accapareurs, aux déserteurs, aux fédéralistes, surveillance des subsistances, des étrangers, des adversaires politiques.

3 Dans les Côtes du Nord, le nombre de comités est de 98, dans le Cher, il est de 15 et dans le Vaucluse de 17.

4 Il s'agit principalement de Suisses et de Savoyards entrant ou sortant en France, sans définition d'orientation politique, patriotes ou aristocrates.

5il est intéressant de noter que pour tous ces comités frontaliers les ressortissants du Mont-Blanc ne sont pas considérés comme Français mais bien comme savoyards malgré le rattachement du département à la France.

6Registre de délibération du comité de surveillance de Virieu-le-Grand, page 6. A.D. Ain 14L 10.

7Registre de délibération du comité de surveillance de Seyssel page 142, registre du comité de surveillance de Jujurieux pages 24-25. A.D. Ain 14L 118 et 14L 9.

8Registre de délibérations du comité de surveillance de St Rambert, page 12. A.D. Ain 14L 91.

9"instruit encore que ces deux citoyens ne sont pas parfaitement exact à remplir leur devoir puisque l'un d'eux ne se lève ordinairement que sur les dix ou onze heures du matin et ne se couche à la vérité qu'à la minuit". Registre de délibération du comité de surveillance de Lagnieu, page 40. A.D. Ain 14L 106.

 

10Registre de correspondance du comité de surveillance de Bourg, page 13. A.D. Ain 14L 16.

Écrire commentaire

Commentaires: 0