1794 : les représentants du peuple dans l'Ain

 3.25 LES REPRESENTANTS DU PEUPLE EN MISSION

 

"Le corps des représentants en mission constitue l'élément distinct majeur de la structure de la Terreur en province" [1]. Au fur et à mesure que les problèmes s'accroissent en 1793, la Convention, délègue certains de ses membres, (toujours des jacobins convaincus [2]) dans la République, afin d'assurer une certaine coordination entre Paris et les départements. Durant un an, du printemps 1793 au printemps 1794, l’Etat est absent. Ce vide permet aux « représentants en mission…ne trouvant face à eux que des autorité locales…puissent mener une politique de terreur » [3]. Dès lors, ces représentants, par leur liberté d'action, tendent à devenir un corps, une faction, au cœur de la Montagne par rapport à leurs collègues restés dans le sein de la Convention.

Par le décret du 9 mars 1793, la Convention précise les attributions des conventionnels envoyés dans les départements. Ce décret leur donne aussi des attributions militaires. Ils ont les pleins pouvoirs en ce qui concerne le recrutement, mais aussi, suivant l'article 8, des pouvoirs de Salut Public : "les commissaires de la Convention Nationale. . .auront le droit de prendre toutes les mesures qui leur paraîtraient nécessaire pour rétablir l'ordre partout où il serait troublé" [4]. Mais les représentants en mission n'en demeurent pas moins responsables devant la Convention. La période du 9 mars 1793 au 9 nivôse an II marque une période d'anarchie dans les attributions des représentants en mission[5]. En effet, les pouvoirs des uns contrecarrent les pouvoirs des autres. La période allant de la présence de Javogues dans l'Ain à la contestation des pouvoirs de Gouly, par les représentants à Commune-Affranchie en est l'illustration parfaite. Mais à partir du 9 nivôse an II, le Comité de Salut Public ressert ses liens avec les représentants en mission. Désormais, les conventionnels en mission sont "rigoureusement circonscrits dans les départements qui leur sont désignés. Ils sont revêtus de pouvoirs illimités. . .ils sont réputés sans pouvoir dans les autres départements" [6]. Avec le décret du 7 septembre 1793 qui donne aux arrêtés des représentants en mission force de loi "tant que le Comité de Salut Public ne les a pas dénoncés comme contraires aux principes"[7], les représentants en mission deviennent de véritables "Convention" en province[8], dépositaires du pouvoir de celle-ci et agissant au nom du peuple souverain. A ce titre, ils sont les seuls à pouvoir intituler "Au nom du peuple Français" [9] leurs arrêtés, proclamations, ou toute autre acte et donc de revêtir leurs décisions la légitimité nationale. De ces faits, l’accueil réservés aux premiers représentants en mission dans l’Ain par les autorités locales sont fastueuses : garde d’honneur de 12 cavaliers, piquet de grenadiers, garde nationale sous les armes, tirs de boîtes à feu, illuminations et accueille par la municipalité qui se rend au devant d’eux puis collation ; c’est ainsi qu’Amar et Merlino sont accueillis en avril 1793 à Pont de Veyle et Châtillon.

Relais de la politique centrale de Paris, les représentants en mission deviennent le 9 nivôse an II des autorités constituées au même titre qu'une municipalité ou un directoire de district[10]. Albitte vient dans l'Ain avec la mission d'établir le Gouvernement révolutionnaire c'est-à-dire mettre en marche un gouvernement, une "autorité publique (qui) ne tire pas sa légitimité d'une Constitution et de la Loi, mais de sa conformité à la Révolution" [11], et ceci jusqu'à la paix. Dotés de tels pouvoirs, les représentants sont des autorités autonomes qui font de leurs agents des commissaires aux fonctions étendues. Cette autonomie de pouvoir amène les représentants du peuple à être un moteur du Gouvernement Révolutionnaire dans les départements, ou à servir les espoirs de militants locaux : "ces représentants énergiques ne se bornaient pas d'ailleurs à une politique purement répressive. Ils associaient à leur œuvre la masse des petites gens en édictant des taxes forcées sur les riches"[12]. Javogues est le premier dans l’Ain à stimuler l’ardeur patriotique mais surtout à donner une conscience idéologique à la sans-culotterie locale. Pour les sans-culottes Javogues est un réel patriote dont les “ mesures révolutionnaires qui ne tendaient qu’à sauver la république puisqu’elles n’avaient pour but que l’intérêt général, celui du peuple ”[13], tant et si bien que lorsqu’il est dénoncé à la barre de la Convention pour certaines de ses mesures, les sans-culottes de l'Ain ne comprennent pas les motifs de ces attaques.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

mis en ligne par l’association SEHRI

 



[1]LUCAS (C.) : La Structure de la Terreur. L’Exemple de Javogues et du Département de la Loire. Oxford University Press 1973. Traduit par G.Palluau St Etienne Université Jean Monnet, 1990.

[2]Tout les représentants issu de la Convention, envoyés dans l'Ain, sont membres du club des Jacobins de Paris, et tous ( à l'exception de Gouly, par exemple), ont votés la mort de Louis XVI.

[3] MARTIN (Jean-Clément) : les échos de la Terreur. Belin, 2018.

[4]Décret de la Convention National du 9 mars 1793, portant nomination des commissaires chargés d'accélérer le recrutement dans les départements. Collection de l'auteur.

[5] LUCAS (C.) : La Structure de la Terreur. L’Exemple de Javogues et du Département de la Loire. Oxford University Press 1973. Traduit par G.Palluau St Etienne Université Jean Monnet, 1990.

[6] Extrait des registres du Comité de Salut Public de la Convention national, 9 nivôse an II. A.D. Ain série L non classée.

[7]"Décret de la Convention National du 7 septembre 1793 relatif aux arrêtés des représentants du peuple près les armées et les départements. Collection de l'auteur.

[8]LUCAS (C.) : La Structure de la Terreur. L’Exemple de Javogues et du Département de la Loire. Oxford University Press 1973. Traduit par G.Palluau St Etienne Université Jean Monnet, 1990.

[9]Décret de la Convention Nationale du 5 jour du 2 mois de l'an second de la République relatif à l'intitulé des arrêtés et actes des autorités constituées. Collection de l'auteur.

[10]Dans son décret du 9 nivôse, le Comité de Salut Public agit "en exécution de l'article 1er section 4ième du décret du 14 frimaire an II, qui autorise le Comité de Salut Public à prendre toutes les mesures nécessaires pour procéder au changement des autorités constituées". Extrait des registres du Comité de salut Public. A.D. Ain série L non classée.

[11]FURET (François) : "Gouvernement Révolutionnaire" in Dictionnaire critique de la Révolution Française. Institutions et créations. Editions Flammarion, collection champs, 1992. Page 240.

[12] MATHIEZ (A.) : La vie chère et le mouvement social sous la Terreur. Tome 2, page 26.

[13] Registre de délibérations de la société des sans-culottes de Bourg, A.D. Ain 13L 10.

 

 

 

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