an III : le laxisme en matière de subsistances

3.32 Le laxisme thermidorien

 

A cette fronde anti-lyonnaise s'ajoute en l'an III, un relâchement thermidorien qui entraîne dans les campagnes une opposition latente qui se traduit par des tendances à la désobéissance, un début d'accaparement et de spéculation, alors jusque là jugulé par la pression terroriste. Pour les habitants des campagnes, sur qui pèsent le plus ces réquisitions, la confiance dans l'assignat est amoindrie par sa dévaluation constante1. Alors que la loi du maximum est abrogée, ces réquisitions ne sont pas faites pour arranger les finances des agriculteurs étant donné qu’ils sont payés suivant “ le taux des mercuriales ”2. Dès le mois de thermidor an II, les difficultés d'approvisionnements se font vraiment sentir dans le district de Pont-de-Vaux. Les 17 et 18, la société populaire de Bâgé demande à la municipalité “ une réquisition de bled et seigle suffisante pour l'approvisionnement des citoyens de ladite commune ”3. A l'annonce de cette pétition, l'agent national du district prend la mesure des événements. Désormais avertis de la nécessité d'approvisionner les marchés, il sait aussi que la seule manière d'y parvenir est d'avoir recours aux réquisitions. Mais si “ les réquisitions sans nombre qu'il (le district de Pont de Vaux) a essuyées l'année dernière a dépourvu absolument les citoyens de leur subsistance"4, il sait qu'il faut les organiser et surtout bien les diriger, car "la cupidité de certains cultivateurs est telle qu'ils se refusent de conduire leurs denrées dans les marchés qu'ils sont habitués d'approvisionner, que même des officiers municipaux égoïstes et sans délicatesses se refusent de délivrer des acquits à caution à ceux qui sont bien intentionnés ”5. Les pénuries en grains sont telles que les troupes à cheval n'ont pas de fourrages. Pour subvenir à la nourriture des chevaux, il faut, le 3 vendémiaire an III, que le district requiert Louis Fetus, grenadier, de faire verser au magasin 60 quintaux de foin. Désormais, tout trafic de grains prend une importance extrême. Le 11 vendémiaire an III, deux sacs d'avoines appartenant à un citoyen de Meximieux sont saisis à Bourg, tandis que le citoyen Greppo, ancien feudiste employé aux subsistances militaires à Trévoux, est suspecté par le district de Montluel. Le 17 vendémiaire an III, à la suite d’une réquisition de subsistances pour la Grenette de Montluel, des citoyens informent le district “ qu'il se fait par le Rhône clandestinement et au mépris des lois une déportation de grains ”6 qui met “ le district dans l'impossibilité de remplir diverses réquisitions dont il est frappé ”7. Pour contrecarrer ce trafic, le directoire du district de Montluel prend un arrêté le 25 vendémiaire an III qui établit un guet de quatre gardes nationaux et un caporal, à Thil, sur les bords du Rhône et rappelle le mode d'exécution des réquisitions : toute exportation secrète de denrées est illégale et les agents nationaux sont personnellement responsables des “ événements qu'ils n'auront pas prévenus ”8. Pour cela, le district se réserve le droit de mettre en état d'arrestation les accapareurs, les trafiquants ainsi que toutes les personnes suspectées dans ce type d'affaire. Cet arrêté concorde avec une lettre de l'agent national du district qui impute aux agriculteurs la pénurie de grains dans laquelle se trouve le district. En effet, les “ habitants des campagnes. . .(dont) la cupidité et l'habitude qu'ils ont contractée. . .d'exporter dans les départements circonvoisins les bleds qui doivent servir à la subsistance des défenseurs de la Patrie et à l'approvisionnement de nos frères des districts qui n'en récoltent pas ”9 font que les divers arrêtés et les invitations fraternelles à coopérer restent lettre morte. Dans un arrêté du 20 brumaire an III, les représentants du peuple Ritter et Turreau, envoyés auprès de l'armée des Alpes et d'Italie, restreignent l'accès aux subsistances entreposées dans les magasins militaires “ de la gauche du Rhône depuis Genève jusqu'à Arles ”10. Dans le district de Bourg, les réquisitions de subsistances posent aussi de gros problèmes. Dans plusieurs communes11, des habitants sont condamnés, par jugement du tribunal du district de Bourg, à verser des grains dans les magasins. Le temps n’aide pas la production et donc les réquisitions : le grand froid de l’hiver an II/an III va jusqu’à geler les pommes de terre récoltées. De ces faits, et malgré les conseils du district de St Rambert du 15 nivôse an III sur l’usage des truffes ou pommes de terre gelées12, "l'audace des malfaiteurs s'accroît de jour en jour par l'impunité et l'absence d'une force suffisante pour les réprimer et les poursuivre"13. En effet, suite au mauvais temps et avec les nouvelles réquisitions pour approvisionner les marchés des villes de l'Ain et notamment Bourg, les habitants des campagnes continuent d’accaparer les grains malgré une récolte très fructueuse pour l'an III. L'avertissement qu'ont voulu donner les représentants du peuple et les administrateurs des districts aux récalcitrants n'a eu qu’un effet temporaire. Dès le mois de thermidor an III, la municipalité de Bourg se plaint des "laboureurs (qui) refusent à livrer, à un prix honnête, les denrées les plus nécessaires à la subsistance"14. Malgré les réquisitions et les arrêtés du directoire du département, les agriculteurs résistent : le 18 messidor an III, le district de Châtillon doit faire incarcérer un laboureur qui a refusé de conduire une ânée de froment à la grenette. Le 15 fructidor, seize municipalités du district de Bourg sont dénoncées comme n'ayant pas accompli les réquisitions et le 30 brumaire an IV, le directoire du département envoie une force armée dans quatre communes qui refusent de fournir du blé à la grenette de Bourg.

Faut-il en déduire qu'il y a alors deux types de réquisitions, l’une jugée de première importance qui concerne les armées pour lesquelles on emploie des moyens extraordinaires et une deuxième jugée de moindre importance qui concerne les communes, les marchés et les grenettes locales ? Etant donné les efforts déployés par les représentants du peuple pour fournir les réquisitions militaires et l'efficacité avec laquelle elles sont appliquées, on peut sans nul doute penser que oui.

 

La crainte des accapareurs liées aux habitudes prises par les habitants sur les marchés durant la Convention, posent de grands problèmes lors de l’introduction de règlement sur les marchés et la vente des biens sous le Dierctoire. A Saint-Laurent-sur-Saône, où la peur des accapareurs et des agioteurs venus de l’autre côté de la Saône, agitent les marchés de puis l’automne 1789, il faut l’intervention hebdomadaire de la force armée pour imposer les lois sur les marchés : « nous avons les yeux ouverts sur les foires et les marchés de Saint-Laurent pour rompre vigoureusement et avec éclat les anciennes habitudes à cet égard il nous auroit fallu une petite armée rangée en bataille dans la prairie, nous ne l’avons pas et c’est avec une sorte de satisfaction que la modique force qui a été déployée y a produit un grand effet et nos laboureurs voyant la nécessité de se conformer aux nouveaux réglements et commencent à s’y soumettre encore deux ou trois marchés et nous serons à nos fins »15.

 

A côté de cette idéologie révolutionnaire de l’an II, née de confrontation et de réaction à des événements, se structure une application, une matérialisation de la Révolution au quotidien par les militants sans-culottes.

 

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

mis en ligne par l’association SEHRI

 

 

1 En nivôse an III, un assignat de 100 livres s'accepte pour 25, en pluviôse an III il est accepté pour 22 et en ventôse an III pour 20 livres

2 Délibérations du district de Châtillon, 19 nivôse an III. A.D. Ain série 5L 25.

3 Séance publique du district de Pont de Vaux, 22 thermidor an II. A.C. Bâgé Rév.10.

4 Séance publique du district de Pont de Vaux, 22 thermidor an II. A.C. Bâgé Rév.10.

5 Séance publique du district de Pont de Vaux, 22 thermidor an II. A.C. Bâgé Rév.10.

6 Séance publique du district de Pont de Vaux, 22 thermidor an II. A.C. Bâgé Rév.10.

7 Séance publique du district de Pont de Vaux, 22 thermidor an II. A.C. Bâgé Rév.10.

8 Extrait des registres de délibérations du directoire du district de Montluel du 25 vendémiaire an III. Collection de l’auteur.

9 Extrait des registres de délibérations du directoire du district de Montluel du 25 vendémiaire an III. Collection de l’auteur.

10 Arrêté de Ritter et Turreau, 20 brumaire an III. A.D. Ain 1L.

11 Ce sont les communes de Marboz, Foissiat, St Martin le Châtel, Longchamp, Lent, Malafretaz et Bény.

12 Le district de St Rambert fait passer aux communes de sont arrondissement, le 15 nivôse an III, un extrait du Journal d’Agriculture sur l’usage des pommes de terre gelées, ou truffes. Il conseille de les faire geler entièrement puis de les mettre dans un endroit chaud. Elles sont alors bonnes râpées ou pilées.

13 Registre des délibérations du directoire du district de Montluel. A.D. Ain 7L.

14Plainte des officiers municipaux de Bourg du 7 thermidor an III, citée par DUBOIS (Eugène) : Histoire de la Révolution dans l'Ain. Tome 5, page 46.

 

15 Registre de délibérations du département. 15 août 1798. A.D. Ain 2L 57.

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