1792 : la fin de la Monarchie dans l'Ain

2.14 La chute de la royauté et la mort de Louis XVI : Le décès de la monarchie constitutionnelle et les premiers pas vers la Terreur

 

Le soir 10 août, Rubat, alors député à la Législative, annonce aux administrateurs du district de Belley dans une lettre de quatre pages la prise des Tuileries. Le député n’est pas dupe :“ l’insurrection du peuple n’est point spontanée, les fédérés sont à la tête, le jour et l’heure étaient marqués et tous les mouvements de cette insurrection sont réguliers et conduits par des chefs ”[1]. Le 12 août, c'est au tour de Jagot d'informer le district de Nantua la chute de la royauté. Ce n'est que le lendemain qu'un courrier extraordinaire informe les administrations séantes à Bourg des derniers événements parisiens. La nouvelle provoque néanmoins un certain émoi. Le conseil général du département hésite sur les mesures à prendre. Le commandant de la gendarmerie est convoqué. Gauthier des Orcières, procureur général syndic, prend la parole et persuade ses collègues d'enregistrer les lois et arrêtés nouvellement arrivés. Le 14, Rubat annonce à ses compatriotes belleysans le transfert de la famille royale à la prison du Temple. Le 15 août, la société populaire de Bourg montre la voie politique en adressant une lettre de félicitations à l'Assemblée. Le lendemain, alors que Convers est élu président de la société populaire, la ville de Bourg apprend les événements du 10 août. L'élection de Convers marque l'arrivée à maturité d'un mouvement politique patriote plus populaire et plus démocrate face à une majorité de patriotes, toujours jacobins, mais moins révolutionnaires. Désormais, deux partis cohabitent au sein de la même société. Le 17 août,  certain de ses informations, l'administration du département convoque le district et la municipalité de Bourg. Gauthier des Orcières prend la parole et propose d'envoyer une adresse de félicitation à la Législative. La réunion s'achève sur la prestation du serment de maintenir la liberté ou de mourir en la défendant. Rapidement l'opinion politique se radicalise. Le 24, Barquet, principal du collège de Bourg, membre du conseil général du département, fait un discours, au nom des professeurs et élèves de son collège, très empreint d'idées révolutionnaires. Le même jour, le conseil général du département interdit la circulation de journaux royalistes, affichant sa détermination à vouloir s'engager dans une voie où aucune réaction n'est autorisée.

            Malgré l'émoi du 13, la journée du 10 août est perçue dans l'Ain comme un succès. Sa publicité est faite publiquement, comme le 29 septembre où l’abolition de la Royauté est proclamé sur la place principale de Saint-Laurent en présence de la Garde Nationale, de la brigade de gendarmerie nationale de Saint-Laurent, de la compagnie de grenadiers du 5ème bataillon des volontaires de l’Ain et d’un détachement du 4ème régiment de chasseurs à cheval, les deux dernières unités en garnison à Saint-Laurent. Le lendemain 30 septembre la même proclamation est faite au chef-lieu du Canton de Saint-Trivier-de-Courtes.

 

            Dans le département, la chute de la monarchie instaure la mise en place d'une politique de chasse aux suspects comme le fait simultanément le conseil général du département de Saône-et-Loire [2]. Si des prêtres sont inquiétés[3], dès le début du mois de septembre, le conseil général de la ville de Bourg nomme sept commissaires pour procéder à leur désarmement. Dès lors, la société populaire de Bourg est désertée par ses membres les plus modérés. Le 10 octobre 1792, elle reçoit la visite de l'abbé Laussel[4], curé de St Bonnet du Troncy, et de l'officier savoisien Caffe. Laussel démontre la culpabilité de Louis XVI à la tribune, mais son discours, si exaltant qu'il soit [5], ne réunit pas, dans un élan général, tous les suffrages d'une société divisée où les modérés de 1791 ont disparu et où les divisions entre futurs fédéralistes et jacobins avancés commencent à se faire sentir.

 

Pour les lecteurs belleysans de la Feuille Villageoise, organe patriote mais girondiste jusqu’à sa neutralité éditoriale politique à partir d’octobre 1793[6], la Convention qui va se réunir n’est pas la duplication de la Convention américaine qui n’est qu’une « assemblée qui n’avait d’autre mission que de revoir et réformer l’acte de la constitution fédérative des états-unis » est-il écrit dans la Feuille Villageoise en 1792. Cette dernière donne une définition de ce que doit être la Convention Nationale, définition qui peut être en partie grandement reprise par les patriotes de l’Ain : « la Convention Nationale de France…est assemblée dans une crise révolutionnaire ; elle est assemblée sans la présence du roi ; elle est assemblée pour former un plan nouveau de gouvernement ; elle est assemblée pour faire toute les lois, prendre toutes les résolutions et exercer toutes les autorités qui peuvent sauver l’empire. Bien plus ; elle est composées dignes et capables de porter l’immense fardeau qui leur est imposé » : cette dernière affirmation expliquant largement l’intérêt pour les patriotes d’être bien représentés à la nouvelle assemblée.

Les élections de septembre 1792 jouent un rôle primordial dans l'accession des jacobins au pouvoir. En effet, avec l’accès des citoyens passifs aux Assemblées primaires, les ténors de la société populaire de Bourg et notamment Blanc-Désisles font une campagne active contre les "factieux, les lâches, les modérés en tout genre "et les ennemis de l'intérieur. Toutefois, elles sont boudées par les électeurs, mais elles hissent le parti populaire issu du milieu jacobin de la société des Amis de la Constitution à la municipalité de Bourg : Blanc-Désisles, Rollet, Convers, Chaigneau et Alban aîné se retrouvent au conseil municipal grâce au soutien des plus modestes. Les élections pour la Convention, à Trévoux, se déroulent dans une atmosphère lourde suite à la défaite de Longwy. Elles montrent le parti pris jacobin des électeurs du département et la tentative de main mise des électeurs jacobins de Bourg sur le système électif et représentatif. En effet, lors des assemblées ils essayent d'imposer le mode de scrutin par acclamation. Ne pouvant le faire, ils animent un débat inattendu : "ils souhaitaient qu'en vertu des pouvoirs que les assemblées primaires ont délégués, nous prissions un arrêté tendant à révoquer quand nous le jugerions à propos les pouvoirs des députés à la Convention Nationale qui trahiraient notre confiance"[7]. Là encore, même si leur idée est perçue comme l'expression de patriotisme par les autres électeurs, ces derniers refusent cette idée "anarchiste" [8]. Si Blanc-Désisles voit ses espérances d'élection déçues, Rostaing est, au 5 septembre, susceptible d'être élu, ce qui enverrai à Paris un jacobin burgien. Mais les électeurs de l'Ain réunis à Montluel prennent soin d'élire les six députés dans les différentes régions du département et surtout des hommes qui "n'ont pas un génie transcendant...notre département ne fournit pas de grands hommes"[9]. Si les hommes de loi sont majoritaires, tous sont membres ou proches des sociétés populaires du département : tous sont des jacobins. Deydier est le premier élu, Gauthier des Orcières le second, Jagot le troisième et Royer le quatrième.

            Au même moment dans tout le département, la psychose des accapareurs et des agioteurs gagne du terrain. Le 16 novembre, les boulangers de Bourg se plaignent du manque de blé, bien que la récolte ait été normale. A Nantua, la peur de la famine s'installe. Le 14 septembre à Saint-Laurent, une émeute éclate par « une quantité de volontaires du département de Saône-et-Loire » [10] qui forcent l’entrée du domicile du sieur Pierre Dubief, négociant de la commune. Malgré les appels au calme, les volontaires s’emparent d’un coffre en fer, brisé à coup de masse mais ne contenant rien. Lorsque la municipalité pose des scellés sur deux meubles, les volontaires découvrent 11 sacs de blé gâté déclenchant leur fureur et « poussant toutes sortes d’imprécations contre le dit sieur Dubief pour avoir du blé gâté dont ils tenoient la montre en main »[11] « et d’y dévaster ou démolir encore plusieurs maisons sous prétexte que ceux qui les habitoient étoient marchands de Bled » [12].

            Le peuple, qui voit son pouvoir d'achat baisser, se sépare petit à petit des modérés pour se rapprocher des jacobins. L'élection de ceux-ci à la municipalité de Bourg, en est la parfaite illustration, notamment celle d'Alban à Bourg qui souligne bien deux faits ; le rôle grandissant que la petite bourgeoisie est appelée à jouer et, qu'en faisant leur entrée sur la scène politique en septembre 1792, les classes moyennes ne peuvent plus être écartées de la Révolution. Un cap est franchi. Le député Rubat, en toute conscience, le 19 août 1792 au soir dans une lettre au ton très ferme, fait un rapport à ses amis belleysans de la séance extraordinaire de l'Assemblée du jour, où Lafayette a été mis en accusation et un tribunal criminel présidé par Robespierre établi. Alors que la Convention se réunit à Paris, au mois de septembre, une divergence de plus en plus marquée oppose le département et le district de Bourg à la municipalité de Bourg. A Belley, des tensions similaires entre patriotes se développent. Malgré ces oppositions, "l'esprit public…se fortifie relativement à la République"[13]. Le 14 janvier 1793 à Bourg, Blanc-Désisles soutenu par les citoyens Rollet, Reydellet, Dufour et Bottier, fait approuver par le conseil municipal le changement de nom des rues. Pour ces hommes, cet acte marque l'entrée dans une ère nouvelle qui fait table rase du passé. Ainsi, la rue des Halles devient la rue de la Révolution, la rue des Bons-Enfants devient la rue de la Fraternité, la Grande-Rue devient la rue Simonneau[14], la rue de l'Etoile est la rue Brutus, etc. .

 

Le procès de Louis XVI, "l'affaire Capet"[15], n'émeut pas les patriotes de l'Ain qui se plaignent juste de la lenteur de décision et qui attendent "avec grande impatience la nouvelle forme de Gouvernement" [16]. Après l'exécution de Louis XVI, le 21 janvier 1793, pour laquelle quatre des six députés de l'Ain se sont prononcés et qui, si elle ne soulève pas de grandes vagues d'enthousiasmes sauf chez certains patriotes, ne provoque pas de réaction particulière, la politique contre les suspects, commencée quelques mois plus tôt, s'accentue dans l'Ain. Pour une partie des patriotes, la mort de Louis XVI est "une grande leçon à l'univers"[17] qui fait trembler les rois européens, "qui feignent de pleurer sur le sort de Louis Capet, mais…c'est sur la royauté qu'ils versent des pleurs" [18], et étonnent les peuples admiratifs. Si le décès du dernier roi de France pousse l'Ain dans la guerre conquérante extérieure[19], elle le pousse aussi dans la guerre aux ennemis intérieurs : la municipalité de Bourg donne sa définition du suspect[20] puis l'élargit en février à "tout individu, homme ou femme qui . . ne manifeste pas un suffisant enthousiasme pour les lois révolutionnaires et les mesures de salut public " [21], l'administration du district de Trévoux s'oppose à une nouvelle envolée révolutionnaire, le 10 février 1793 : "nous pensons comme vous que la France n'est plus en Révolution qu'il ne doit plus être question de farces patriotiques, que la licence doit être bannie, que les lois doivent être exécutées"[22]. La chasse aux suspects débute par le refus de certificats de civisme. L'accélération des événements révolutionnaires met à mal la Société d'Emulation de Bourg qui n'arrive plus à tenir régulièrement ses séances ni surtout à se tenir éloignée des affaires publiques pour ne se consacrer qu'aux progrès des sciences et des lettres [23]. Elle n'y survit pas et le 13 mars 1793, malgré "le zèle des associés les séances n'ont point été tenu régulièrement depuis assez longtemps, soit par le défaut d'un local…soit à raison de l'absence et des occupations d'un grand nombre de membres, soit enfin parce que les affaires publiques et les circonstances absorbent tous les moments des citoyens " [24] la société suspend ses séances jusqu'à ce "que les motifs de leur interruption cesseront "[25] et surtout jusqu'à ce qu'une nouvelle loi sur l'instruction publique définisse le rôle des sociétés savantes.

 

d'après la thèse de doctorat d'histoire de Jérôme Croyet, "sous le bonnet rouge", obtenue en 2003 à l'Université Lumière Lyon II mention bien et félicitation du président du jury

 

mis en ligne par l’association SEHRI

 



[1] Lettre de Rubat à l’administration du district de Belley, 10 août 1792. A.D. Ain 3L.

[2] DUBOIS (Eugène) : Histoire de la Révolution dans l'Ain, tome 2, page 349.

[3] Le 17 septembre 1792, à Pont-de-Vaux une émeute éclate, menée par des volontaires-nationaux en garnison dans la ville et visant à s’emparer du prêtre Dominique Belin. L’extérieur de sa maison est en partie saccagé. Le prêtre étant absent, les émeutiers détruisent des armoiries et autres signes religieux sur les extérieurs de plusieurs bâtiments publics ou privés de la ville.

[4] Registre de délibérations de la Société des Amis de la Constitution de Bourg, A.D. Ain  13L 8.

[5]Voir JACQUET (Laurent) : Le Journal de Lyon, ou moniteur de Rhône-et-Loire. Mémoire de maîtrise sous la direction de Serge Chassagne, Université Lumière Lyon II. Lyon 1996.

[6] DORIGNY (Marcel) : compte-rendu « Melvin Allen Edelstein. La Feuille villageoise. Communication et modernisation dans les régions rurales pendant la Révolution. Paris, 1977 » in Annales Historiques de la Révolution Française n°235, 1979.

[7] Lettre des électeurs de Poncin à la municipalité de Poncin, 5 septembre 1792. A.C. poncin D1.

[8] "cette proposition qu'animait sans doute l'amour de la patrie…l'anarchie la plus complète résulterait de ce système". Lettre des électeurs de Poncin à la municipalité de Poncin, 5 septembre 1792. A.C. Poncin D1.

[9] Lettre des électeurs de Poncin à la municipalité de Poncin, 5 septembre 1792. A.C. Poncin D1.

[10] Le département ordonne le lendemain 15 septembre d’envoyer en urgence 30 chasseurs à cheval pour assurer l’ordre dans cette commune, Octave Morel, idem, p. 121.

[11] AC de Saint-Laurent, 1D3

[12] AD de l’Ain, 2 L 30.

[13] Lettre du district de Trévoux au député Merlino, 16 janvier 1793. A.D. Ain série L.

[14] Même si l’attribution du nom d’une rue à Simonneau peut révéler l’aspect encore libéral des jacobins de Bourg, c’est surtout le seul martyr de la Révolution à ce moment là à qui ils veulent rendre honneur.

[15] Lettre du district de Trévoux au député Merlino, 16 janvier 1793. A.D. Ain série L.

[16] Lettre du district de Trévoux au député Merlino, 16 janvier 1793. A.D. Ain série L.

[17] Lettre de Torombert à Carrier, 27 février 1793. A.D. Ain série J.

[18] Lettre de Torombert à Carrier, 27 février 1793. A.D. Ain série J.

[19] "Aux armes, aux armes, formons nos bataillons…que tous soient pourvus de fusils, piques ou faux tranchantes emmenchées en des bâtons…guerre aux tyrans, paix aux chaumières". Lettre de Torombert à Carrier, 27 février 1793. A.D. Ain série J.

[20] "On précise : sont suspects : 1° les ex-nobles; 2° les ex-religieux; 3°les prêtres qui n'ont pas voulu prêter serment à la Constitution civile du clergé, ou qui ont rétracté leur serment; 4°les prêtres qui, non astreints à ce serment, se refuseraient à prêter celui de maintenir la liberté et l'égalité; 5° les pères, mères, femmes enfants d'émigrés "Archives municipale de Bourg, Registre de délibération.

[21] DUBOIS (Eugène) : La Révolution . . ., page 73

[22] Lettre à Merlino, registre de correspondance du district de Trévoux, A.D.Ain série L.

[23] Alors que la Patrie est déclarée en danger, les membres de la société d'Emulation tentent tant bien que mal de discourir sur la nécessité de planter des arbres sur les places, dans les rues et le long des routes, le 21 mars 1792, ou sur les abeilles, le 14 février de la même année.

[24] 3e registre de délibérations de la Société d'Emulation. Archives de la S.E.A. déposées aux A.D. Ain.

[25] 3e registre de délibérations de la Société d'Emulation. Archives de la S.E.A. déposées aux A.D. Ain.

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