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nivôse an IV : la mairie de Bourg se plaint

Extrait des registres de la municipalité de Bourg

Du 11 nivôse an Ive de la République

 

Le conseil municipal assemblé dans le lieu ordinaire de ses séances, présents les citoyens Goyffon président, Ducloz, Dufour, Perrier, Picquet, officiers municipaux et Bon, commissaire provisoire du pouvoir exécutif.

Un membre a observé que les événements qui se multiplient depuis quelques jour dans notre commune sont de nature telle qu’il serait peut-être nécessaire de les faire connaître tant au Directoire Exécutif, qu’à la députation du département ; en conséquence il a demandé que les termes de la narration qu’il avait projeté fussent examinés pour, s’ils étaient approuvés, en être adressé deux copies ainsi qu’il a été dit.

Sur quoi, après avoir entendu la lecture, le conseil en certifiant la sincérité du contenu et approuvant les expressions, arrête que le dit narré sera transcrit au registre et que copie en sera de fuite adressée au Directoire Exécutif et à la députation.

Le 27 frimaire, la commune reçu du département un arrêté de Reverchon qui confère au citoyen Gondran, chef de brigade du 20e régiment de dragons, en ce moment en garnison à Bourg, le commandement militaire sous le titre de commandant de la place et en prive le citoyen Monnier aussi chef de brigade de la gendarmerie, mais surement plus ancien de service.

Le 28, à une heure après midi arrivèrent dans  notre commune 50 dragons du 8e [régiment]. A quatre heures, ils occupèrent nos places et nos rues à cheval et en armes : à quatre heures et demi, ils commencèrent des perquisitions et recherches domiciliaires ; à cinq heure, le conseil reçut une lettre du citoyen Gondran portant notamment qu’il est chargé par le représentant de faire des arrestations et qu’il se rendra à la commune pour rendre compte avec détail.

A six heures, les citoyens Gondran et Teillard chargés de commission de Reverchon se présentèrent à la commune, ils déposèrent sur le bureau un arrêté daté de Mâcon le 26 qui chargent les autorités constituées, les commandants des brigades de gendarmerie, ceux de la Garde Nationale et tous les dépositaires de la force publique de s’assurer de dix personnes désignées au dit arrêté, lesquelles par la dernière déposition devaient être conduites dans les maisons d’arrêt de Mâcon, pour de là, être traduite dans les tribunaux compétents.

Pendant la conférence, le citoyen Gondra communique un second arrêté du Reverchon qui ordonne la traduction à Mâcon du citoyen Lapierre. Vu cet arrêté, le conseil représenta audit Gondran qu’un mandat d’arrêt lancé contre le dit Lapierre par le juge de paix ; au mépris de cette pièce, Lapierre fut enlevé le surlendemain et l’on croit pouvoir assurer qu’il fut mis en liberté après une demi-lieue de marche.

Cependant, les perquisitions avaient été faites ; la force armée s’était introduite dans l’intérieur des bâtiments de l’administration départementale ; elle s’était introduit dans l’intérieur du domicile des citoyens, elle en avait fait ouvrir les portes, le tout sans être assisté d’aucun officier civil, et enfin elle avait arrêté un seul individu.

Le conseil municipal réfléchissant sur le fonds de l’arrêté du représentant et sur les moyens par lui employés pour en obtenir l’exécution, estima qu’il serait à propos de déléguer un membre auprès du dit Reverchon pour lui faire des observations motivées sur l’acte constitutionnel et sur le code des délits et peines.

L’administration départementale avait cru la même mesure nécessaire ; en conséquence, elle avait aussi député un de ses membres.

Les tribunaux instruits de ces deux députations jugèrent à propos de s’y réunir par l’adjonction du commissaire du pouvoir exécutif.

Le 29, les cinquante hommes du 8e [dragons] étaient à cheval en présence des prisons pour opérer la translation ordonnée du seul individu arrêté ; cet individu était dans un état de faiblesse qui laissait à craindre sur les suites du voyage ; cet état était constaté par un certificat de chirurgien. Le conseil municipal prenant ce certificat en considération donna une invitation par écrit au chargé de l’ordre de translation de la différer, répondant personnellement du détenu.

Le chargé d’ordre obtempéra à l’invitation et les dragons du 8e repartirent pour Mâcon d’où ils étaient arrivés la surveille.

Les députés des autorités constituées se rendirent à Mâcon le même jour 29, ils ne purent voir Reverchon que le 30 au matin, ils lui firent des observations sur le contenu en son arrêté et sur l’ordre de translation qui était une distraction du juge naturel ; ils n’obtinrent aucun changement.

Le 1er nivôse, autre arrêté qui licencie la compagnie de grenadiers et chasseurs de la garde nationale sédentaire du département de l’Ain. Cet arrêté a été exécuté sur la commune de Bourg, il a fait beaucoup de mécontents et peut-être sans motif au moins pour les grenadiers.

Le 2 nivôse, le commissaire près les tribunaux communique amicalement au président de l’administration municipale un 3e arrêté qui destitue quatre membres et les remplace par quatre citoyens dont deux avaient déjà donnés par écrit le refus au bas dudit arrêté ; lequel est motivé par l’article 4 de la loi du 29 vendémiaire, et cependant les membres destitués n’ont jamais été ni maire, ni procureur, ni juge de paix.

Autre arrêté dument notifié qui destitue un administrateur du département et le remplace ; cependant cet administrateur avait antérieurement donné sa démission motivée sur ce qu’il avait un autre emploi, et ensuite de cette démission le conseil y avait pourvu à forme de l’acte constitutionnel pour l’adjonction d’un autre administrateur [1].

Un autre arrêté qui destitue le juge de paix de la commune nouvellement élu par le peuple et le remplace par un citoyen qui refuse d’accepter.

Le 6 nivôse, à cinq heures du soir, sans violence, sans effraction et sans bruit, le détenu arrêté par ordre de Reverchon s’évade ; l’on met à sa recherche aussitôt que l’on est instruit, mais il ne peut être ressaisi. Le juge de paix prend connaissance de cette évasion et il a lâché un mandat d’arrêt contre le concierge et [le] guichetier ; c’était le huitième jour de l’arrestation et le détenu n’avait point encore été renvoyé, ni entendu par aucun officier de police.

Le 8 du courant, à 11 heures du matin, arrive à la commune, deux dragons du 8e qui réclament le logement de 25 hommes qui voyagent à la suite du représentant. A 2 heures, un autre dragon porteur de l’ordre de route, à 3 heures, une berline trainée par des chevaux d’artillerie ; le bruit se répand qu’elle porte un représentant. Deux membres du conseil [municipal] vont le visiter.

Le 9, à 10 heures du matin, la force armée à cheval occupe de nouveau nos places ; le président écrit au commandant militaire pour savoir si ce rassemblement a lieu par ses ordres, et en ce cas, en connaître les motifs. Le commandant répond qu’il a reçu ordre du commissaire du gouvernement de réunir 25 hommes en face de son logement pour en disposer ainsi qu’il jugera convenable.

A 11 heures, cette force armée s’ébranle, elle se met en marche et pourquoi : pour publier une proclamation.

A deux heures, lettre de Reverchon à la commune, en plus de faire faire une proclamation pour réunir les citoyens dans l’édifice des Pénitents pour y entendre la lecture des lois.

Le 10, réunion de mille individus au moins. Reverchon arrivé sans costume, le sabre de côté, après un moment de lecture des lois, il prend la parole et lit un discours dans lequel, entre autres choses, il se plaint d’avoir été précédé par la Terreur[2] et se félicite de n’être point recherché par ce qu’on appelait autrefois les honnêtes gens[3].

Un fonctionnaire public lui répond qu’il était faux que la Terreur l’a précédé[4], que le peuple ne le craignait point, qu’il n’avait point de motif de le craindre parce qu’il était toujours dans la Loi et que le représentant ne voulait sans doute que l’exécution de la Loi. Cette réponse fut couverte d’applaudissements et le citoyen Reverchon se retria de fait.

Il se rendit à midi au département, où il installa en qualité de commissaire, le citoyen Morand, en destituant le citoyen Brangier, qui occupait provisoirement attendu le refus de celui qui avait été nommé par le Directoire Executif.

Aujourd’hui, 11, les officiers de la gendarmerie nous annoncent que Reverchon a fait des changements dans ce corps[5], et qu’il y a placé deux hommes qui avaient été autrefois rejetés.

Depuis ce temps, aucun mouvement, s’il en arrive, l’exposé narratoire en sera aussitôt fait et adressé si besoin est, aux autorités compétentes.

 

Pour copie conforme au registre, signé Goyffon président, Perrier, Picquet, Duclos et Dufour, officiers municipaux et Bon, commissaire provisoire du Pouvoir Exécutif.

 



[1] Les municipaux de Bourg font alors preuve de la plus mauvaise foi possible en dénonçant ce qu’ils glorifiaient lorsque ces types d’arrêtés étaient pris par Boisset.

[2] En effet, l’idée de la Terreur naît en l’an III afin de qualifier le régime du Gouvernement Révolutionnaire et ainsi disqualifier les idées et les hommes de l’an II. De fait, la Terreur est aussi Blanche et fait, dans l’Ain, à partir de 1795, plus de victimes qu’en 1794.

[3] Ces honnêtes gens, autrement dit Thermidoriens, sont ceux qui ont assassinés les sans-culottes de l’Ain, en l’an III puis les détenus à Lyon le 24 avril 1795 où le commissaire civil Dorfeuille trouve la mort.

[4] Ce fonctionnaire ment puisque « le peuple », du moins celui reconnu légitime pour l’être par les Thermidoriens de Bourg, massacre les sans-culottes de l’Ain le 30 germinal an III.

[5] En effet, les témoins reprochent aux gendarmes de l’Ain, présents lors de la translation des sans-culottes de Bourg dans le Jura, le 30 germinal an III, de n’être pas intervenus énergiquement pour faire cesser le massacre.

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