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1795 : des mineurs de l'armée du Rhin dans les Dombes

DES SAPEURS DE L’ARMEE DU

RHIN DANS LES CAMPAGNES DE DOMBES

 

 

« À la fin de l’année 1794, la situation économique s’était beaucoup dégradée. L’assignat entamait sa chute finale vers une valeur quasi-nulle1. L’hiver fut rigoureux et les rivières gelèrent, stoppant les transports dans le Nord. La guerre empêchait toujours l’accès aux réseaux traditionnels d’importation. Les prix montèrent en flêche2… La récolte de 1795 fut meilleure en certains endroits, mais dans d’autres la production avait diminuée3.

Les derniers mois de 1794 et le printemps de 1795 connurent un accroissement du nombre d’émeutes de subsistance, surtout dans le Bassin parisien et en Normandie…Très peu de troubles éclatèrent sur les marchés, fort dégarnis à cette époque, ou dans les magasins des marchands. Par contre, les arrêts de convois et les incursions chez les cultivateurs devinrent les formes les plus caractéristiques. Malgré la vigilance des colonnes volantes, les émeutiers arrêtaient beaucoup de convois de grain. La plupart des émeutes dans les fermes ressemblaient à celles de la Guerre des farines. Pourtant, il y avait autour de Paris et dans le pays de Caux des rassemblements importants d’hommes, de femmes et d’enfants qui venaient de plusieurs communes et battaient la campagne pour effectuer des réquisitions4. Parfois, les mouvements servaient à la fois à intercepter les transports et à soumettre les cultivateurs à leurs réglementations : le peuple cherchait surtout à garder, sur place, les provisions locales »5.

Dans l’Ain, sur les arrières de l’armée des Alpes, la crainte d’une crise frumentaire due non pas à la faible récolte mais au manque de main d’œuvre amène l’administration à détacher des militaires spécialisés dans les travaux de Génie.

Dès le 1er thermidor an II, afin de ne pas enlever des bras aux moissons, nécessaires, le C.S.P. ordonne que les ouvriers employés à la récolte et membres des gardes nationales ne peuvent pas être requis à ce titre et qu’ils seront payés. Dans l’Ain, le problème ne se pose plus car déjà depuis l’été 1793, et la levée des 300 000, les qualités des hommes recrutés pour les levées de 1793 sont inférieurs à celles des volontaires de 1791 et le recrutement est cette fois-ci critique6, "nous sommes bien disposé en notre particulier de concourir avec vous pour exciter le zèle des citoyens de noter commune. Quoique nous ne doutons pas de leur empressement à voler au secours de leur frères du Mont-Blanc et à empêcher la violations du territoire de la République . . .nous vous observons . . .qu'il serait difficile de faire partir tous les citoyens attendu que les travaux de la campagne sont urgents en ce moment où il faut préparer les semailles et recueillir le menus grains, ce qui ne pourrait se faire ni par les femmes ni par les hommes hors d'état. . .nous vous prions en conséquence de nous instruire qu'elle est la classe de citoyens qui sont dans le cas d'être requis"7.

S’appuyant sur un arrêté du C.S.P. du 18 fructidor an II, qui met en réquisition des journaliers et des manouvriers « qui s’occupent habituellement des travaux de la campagne »8, et un second du 22 messidor qui met à la disposition des administrations des prisonniers de guerre et des militaires ; faisant que « l’instrument du despotisme est converti en instrument utile, et le Guerrier républicain échange un instant, contre la faulx nourricière du moissonneur, l’arme qu’il saura bientôt reprendre contre l’ennemi de son pays »9, la commission de commerce et d’approvisionnements de la République, le 21 vendémiaire an III, donne « tout les moyens nécessaires »10 aux administrations pour battre les moissons dans des proportions plus grandes que celles « des réquisitions qui…sont assignées »11. Cette circulaire renforce un extrait des registres du C.S.P., du 12 vendémiaire, pour le battage des grains « nécessaire à cet approvisionnement »12.

Suivant les ordres du général en chef, les sapeurs de la 4e compagnie du 3e bataillon de sapeurs sont envoyés dans les arrondissements de Bourg, Trévoux et Châtillon afin de battre les grains. Le 24 fructidor an II, l’agent en chef des subsistances militaires de l’armée des Alpes informe l’agent national du district de Châtillon que le général commandant l’armée des Alpes a mis à sa disposition 100 sapeurs afin d’accélérer le battage des grains dans l’Ain. 25 sont destinés au district de Châtillon à répartir dans les communes où il manque le plus de bras pour une récolte abondante. Ce sont 24 sapeurs de la 4e compagnies du 3e bataillon de sapeurs de l’armée du Rhin, conduits par un caporal, qui se rendent de Grenoble, le 2e sans-culottide an II à Châtillon où ils arrivent le 3 vendémiaire an III, après cinq jour de marche, en passant par Rives, Bourgoin, Lyon, Meximieux et Bourg. Les sapeurs partent en troupe ou individuellement pour Châtillon13.

Une fois sur le lieu de destination, les sapeurs profitent de leur emploi au battage des blés pour faire « tourner à leurs profits le produit de leurs travail »14 en plus de toucher leur solde. Les sapeurs se plaignent auprès du commissaire des guerres à Bourg, Piat, de ne pas être payer et de ne pas avoir touché de solde depuis le 5 vendémiaire. Ce dernier leur accorde, le 20 vendémiaire an III, 35 sols par jour mais sans leur fournir de pain ou de viande. Le district avance les frais de garnison et de subsistance des sapeurs qui, lui sont remboursés par la Trésorerie Nationale.

Le 9 frimaire an III, le caporal fourrier de la compagnie doit rassembler ses hommes à Bourg pour rejoindre leurs quartiers d’hiver à Grenoble, après avoir touché des subsistances et une feuille de route. Le 19 frimaire an III, les 17 sapeurs quittent Châtillon pour rejoindre l’armée des Alpes15.

 

 

Jérôme Croyet

docteur en histoire

article rédigé en avril 2009

 

1 À 8% de sa valeur nominale en décembre 1794, il s’effondra à moins de 1% en décembre 1795 ; Colin Jones, The Longman Companion to the French Revolution, London, 1988, p. 237. En février 1796, la Convention supprima l’assignat.

2 À Paris, le prix de grain doubla entre décembre 1794 et janvier 1795. Jean-Pierre Jessenne, Histoire de la France : Révolution et Empire, 1783-1815, Paris, 1993, p. 165, voir aussi, Richard Cobb, « Les disettes de l’an II et de l’an III dans le district de Mantes et la vallée de la basse Seine », Paris et Île-de-France, 1951, n° 3, pp. 243-244.

3 En juillet 1795, une lettre du directoire du département de la Côte-d’Or affirmait que « le grain est soixante fois plus cher qu’en 1790 » (lettre du directoire du département de la Côte d’Or au Comité de salut public, 6 fructidor an III-23 août 1795, AD Côte-d’Or, L 546).

4 S. Sanyal a remarqué que ce genre de désordre avait prédominé dans les pays de grande culture du département de Seine-et-Oise, Riots and Revolution..., op. cit., pp. 113, 127. Guy Lemarchand a décrit des bandes, venant de plusieurs communes, composées de plus de 500 hommes, femmes et enfants (La Fin du Féodalisme..., op. cit., pp. 516-519). Dans les départements de la Sarthe et de l’Orne, les attroupements ne réunissaient pas autant d’émeutiers que dans ceux de Seine-Inférieure, de l’Eure, ou de Seine-et-Oise, pourtant, les mouvements se ressemblaient beaucoup (voir Christine Peyrard, Les Jacobins de l’Ouest : sociabilité révolutionnaire et formes de politisation dans le Maine et la Basse-Normandie (1789-1799), Paris, 1996, p. 304). Richard Cobb notait que : « poussées par la misère et par la dureté des temps, beaucoup de pauvres gens eurent recours au banditisme », dans « Politique et subsistances en l’an III : l’exemple du Havre », Annales de Normandie, mai 1955, p. 155. Sur le rôle à la fois légitime et criminel des bandits voir Eric Hobsbawm, Primitive Rebels : Studies in Archaic Forms of Social Movements in the Nineteenth and Twentieth Centuries, New York, 1959, trad. Les Primitifs de la révolte, Paris, 1968.

5 Cynthia Bouton, «Les mouvements de subsistance et le problème de l’économie morale sous l’ancien régime et la Révolution française», in Annales historiques de la Révolution française, Numéro 319, [En ligne], mis en ligne le : 11 mai 2006. URL : http://ahrf.revues.org/document104.html. Consulté le 9 mars 2009.

6La commune de Beaupont enregistre 4 volontaires en 1791, elle n'en enregistre plus que 2 en Avril 1793. Registre des volontaires de Beaupont, collection de l'auteur.

7Lettre des officiers municipaux de Biziat aux administrateurs du district de Châtillon, 21 Août 1793, Archives Départementales de l'Ain, série L.

8 Circulaire de la Commission de Commerce, 23 fructidor an II. .A.D. Ain 5L 47.

9 Circulaire de la Commission du Commerce, 6 thermidor an II. A.D. Ain 5L 47.

10 Circulaire de la IVe Commission, Paris, 21 vendémiaire an III. A.D. Ain 5L 47.

11 Circulaire de la IVe Commission, Paris, 21 vendémiaire an III. A.D. Ain 5L 47.

12 Circulaire de la IVe Commission, Paris, 21 vendémiaire an III. A.D. Ain 5L 47.

13 Si la majorité viennent de Grenoble, un vient de Lyon où il était détenue et 6 de Laffrey où ils sont venus voir leurs parents.

14 Lettre du commissaire des guerres Piat à l’agent national du district de Châtillon, Bourg, 18 vendémiaire an III. A.D. Ain 5L 47.

 

15 Le 9 nivôse, le commissaire des guerres Nadaud en accuse réception à l’agent national du district de Châtillon

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