nouvelle : "en marche avec le 23e dragons "

 

 

« Putain ! » dit-il en trébuchant. Voilà l’état de fait pour Isidore Récamier alors qu’il marche depuis déjà trois heures avec ses foutues bottes à l’écuyère et ses éperons qui clinquent dans ce chemin aride, poussiéreux et caillouteux. « Merde alors, ça commence à faire chier ces bon dieu de cailloux, chef ! » dit il au brigadier Braletard qui marchait devant.

Isidore est cavalier au 23e régiment de dragons depuis 2 ans maintenant et encore une fois, il se retrouve à pieds, avec ses foutus bottes qui pèsent un âne mort et qui en plus lui scient les pieds malgré le fait qu’il les ait tartiné d’une pâte d’œufs de suif et d’eau-de-vie il y a pas 15 jours.

« Diandre, brigadier, vous z’auriez pas pu y dire qu’on allait encore se trimbaler à pinces ; j’aurais mis les souliers » gémit-il alors que Lalauze le regardait en rigolant.

 

Ce dimanche, à l’issue de l’inspection du chef d’escadron Bonnieux, la section avait été détachée de la 4e compagnie du régiment qui fut, avant, le Royal Piémont. Le lieutenant Dussoudre avait été clair : « vous allez au village portez les bons de réquisitions et vous préparer de quoi faire boire les bêtes ». « Si vous ne revenez pas avec les bons signés, le capitaine va vous tailler des croupières ! ».  

Le maréchal des logis Lacroix, un brave Bourguinon, leur avait fait ranger leur plumet vert à moitié jaune dans le fourreau : « plus besoin de cela pour aller chercher du vin ». « Mettez moi cela dans votre porte-manteau et allez au village de Cortona, voici les bons de réquisition pour un feu de Vernaccia » dit-il en souriant.

En fin de matinée, la section s’était mise en route. En chemin, Braletard leur dit de mettre leur ceinturon en bandoulière, ce que Lalauze avait fait depuis le départ. Mais la chaleur de ce mois d’août 1808 faisait coller la crinière de leur casque aux visages transpirants, tandis que le col de leur chemise absorbait la transpiration dont l’habit à collet vert et revers jaunes était déjà saturé.

 

« Foutre ! » lui lança le brigadier, le regard noir sous son casque dont la crinière avait été tressée et nouée autour de la bombe. « Tu nous fais chier Récamier ». « Tu pouines pour quelques mètres à faire pour ramener du vin à la compagnie alors qu’en 1805 j’ai fait Boulogne à Austerlitz à pied ». « Cesses de te plaindre, il fait beau, nous sommes tranquilles et en bonne santé. Cette ballade te fera le plus grand bien » renchérit le brigadier Braletard.

 

Lalauze continue de se marrer, lui qui était alors au régiment lorsque ce dernier était 14e de cavalerie. « Bon sang, Récamier, mets toi à la place de Berton, tu te souviens ? » sort alors Brichet dit Bibiche. « Tu sais le gars de la Marne ». « Oui » répond Récamier « nous sommes entrés dans la compagnie de dépôt ensemble ». « Ben tu vois, lui il se plaint plus, p’être qu’y préf'rait non ? » lui répond narquoit Bibiche. En effet, Charles Berton était mort de phtisie pulmonaire à l’hôpital de Reggio en décembre 1806 sans que le médecin n’y puis rien faire. « Dame, tu as raison, le pauvre bougre, on était b'en copain ; on avait causé aux italiennes de Germano» dit Récamier en rigolant et en se passant un mouchoir à carreaux sur le front, poussant son casque en arrière. « Il y tordait pas du cul le Berton quand fallait courir la prétendaine » rajouta-t-il en riant. « En attendant, ça à bien foutu Mariani dans la merde en tout cas », lui rétorque Lalauze, « ce foutu bougre lui avait empreinté 1 franc 20 et il le rendra jamais ; au mieux Mariani a récupéré une chemise et le col cravate noir ».

Chemin faisant, la discussion animait le petit groupe et Récamier avait oublié qu’il avait mal aux pieds alors qu’à la lisière du sous bois qu’ils venaient de dépasser, on voyait apparaître le clocher de Cortona.

 

L-G Tournier-Colletta

aôut 2022

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