nouvelle : "au soleil de Crau en 1808"

Le vent soufflait agréablement en cette fin de matinée dans la cour du cantonnement où le détachement de l’escadron avait été envoyé quelques jours plus tôt à la demande du général commandant la 8e division.

 

Le capitaine n’avait pas été ravi d’envoyer des hommes dans cette campagne un peu reculée uniquement parce que le fils du maire, clerc de notaire, qu’était son père, de son état, avait reçu des intimidations de quelques paysans que les frais de succession avaient énervé. « Diantre » avait-il gueulé, en frappant du poing sur son bureau, "m’envoyer foutre des gendarmes pour veiller aux miches d’un noircisseur de pages dans cette steppe désertique !!". « Il faut bien que le général Saint-Hilaire se soit fait amadouer pour m’enlever 12 hommes ». Afin de rentabiliser son effectif, le capitaine avait envoyé le détachement en garnison dans la vieille forteresse des archevêques d’Arles pour y faire le plein de fourrage pour la compagnie qui devait repartir fin mai.

 

Jean Micard était pourtant bien. Mieux qu’à la caserne de l’Evêchée au demeurant, à Marseille, entre l’odeur des poissons, venant du port accompagné des cris des mégères et celui désagréable de la saleté de la ville avec ses rues étroites où il était resté trop longtemps à garder l’entrée de l'hôtel Majastre où séjournait le Roi Charles IV d’Espagne. Servir de chaperon à un avatar des Bourbons n’était pas à son goût, ni même l’odeur de cette gastronomie ibérique et encore moins le son de cette guitare, accompagnant des râles catalans, qui lui irritait les oreilles. Mais ce qui lui avait le plus déplu c’était les « Vive le Roi » des marseillais qui avait accompagné son arrivée.

 

Là, au moins, il était au grand air ! Cela lui rappelait presque son Jura natal. Presque ; le soleil et les jeunes Mireilles avec leurs boutis et leurs chapeaux de paille en plus. Et ce n’était pas pour lui déplaire.

Jean était au service depuis que la conscription l’avait tiré de Saint-Laurent-en-Grandvaux au printemps 1805. Si au début il avait été assez aigri de quitter la cordonnerie de son père et les bras, espérés, de la jolie Marie Bouvet, il avait appris, assez rapidement et au contact des anciens à faire sien ce destin et à en tirer le meilleur. Incorporé au 9e de ligne, sa science de l’écriture, apprise de haut vol auprès de l’abbé Perrier et son savoir de la lecture lui avait permis, après la campagne de 1807, d’entrer chez les Immortels. Dès lors, il s’était révélé d’un naturel optimiste et c’est ainsi qu’il quittait le bâtiment en pierres coquillés, brillant d’or au soleil de midi, de la cour nord, pour aller rejoindre de grand escogriffe de Célestin Bouvet qui l’attendait déjà sous la porte d’Angoulême.

Mais avant cela, il devait aller voir le maréchal des logis Gerber et se changer, car il était hors de question qu’il profita de son après-midi en ville revêtu de son sarrau bleu foncé et de son pantalon d’écurie qui sentait le cheval. Il voulait aussi mettre en ordre sa coiffure pour ainsi revêtir son habit bleu national à revers, parement et retroussis rouges, ainsi que son beau gilet chamois et sa culotte de peau jaune. Mais pour cela, il fallait déjà passer par chez Gerber !

 

 

Jean, marchait, les sabots aux pieds sur la calade de la cour, le vent léger lui soufflant aux oreilles, passe à côté d’une cuisine pour entrer sous le porche qui le conduit à la cour surplombée de trois grandes tours habitées et entourée d’une galerie un peu tape à l’oeil à son goût. Là, à main droite, il frappa à la porte et attendit, en remettant son bonne de police droit, que Gerber lui dise d’entrer. « Entrez ! » entendit-il d’une voix à l’accent germanique surgissant de derrière la lourde porte cloutée. « Gendarme Micard » dit-il après avoir poussé la porte, s’être mis au garde à vous et saluer son supérieur. La lumière était basse dans ce qui fut une des salles de ce qui aurait été un palais. Seules quelques meutrières et une ouverture amenaient un peu de lumière au maréchal des logis Gerber qui était attablé au côté d’un escalier de pierre menant à l’étage. « Qui y’a t il Micard ? ». « Chef, j’ai fini de faire le décompte de l’avoine et du fourrage. Voici les bons ». « Les bons, chef ! ». Jean regarde Gerber avec des gros yeux ronds tandis que celui-ci qui décolle le nez de son registre, la plume à la main, le regarde fixement en tendant la main. « Les bons, chef, Micard. Vous n’êtes pas encore sous-lieutenant, donc lorsque vous me parlez vous me donnez du chef ». « Oui, chef » répond Jean qui souvent faisait les écritures de Gerber car ce dernier était entré dans la Garde, non pas pour son érudition mais pour son ancienneté au Royal Etranger. « Voilà les bons, chef ». Gerber sourit : « C’est bon Micard, vous avez le temps de vous changer pour rejoindre Bouvet qui doit déjà vous attendre. Ne le faites pas trop patienter car les jolies salonoises seront pour lui » rajoute-il en rangeant les bons dans son porte-feuille de maroquin vert.  

 

L G Tournier-Colletta

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