nouvelle : "au froid du Revermont 1793"

 

« fichtre ! Quelle froidure et ce vent qui se lève !!! » grogne une silhouette drapée dans un manteau vert d’où sort le sommet d’un mirliton drapé de noir. En cette nuit du 31 de décembre 1793, le hussard Jean Gunet serre sa pelisse écarlate tressée de jaune autour du cou pour se prémunir des frimats de cette fin d’année, dans ce foutu Revermont. Il tape des pieds sur le sol gelé, afin de faire tomber la neige et le givre avant d’entrer au chaud dans son cantonnement.

Il avait été envoyé là, avec un détachement du dépôt « La Patriote » de Vienne, sur un bon signé de son lieutenant, le brave Simon, et du secrétaire de mairie, dont il se méfiait, le sieur Denoly. Alors jeune recrue étant arrivé au dépôt de Vienne à la fin de l’été, il avait entendu dire qu’un cousin du secrétaire avait été pris les armes à la main dans les combats de Lyon : « foutu fédéraliste » avait-il pensé en essayant, pour faire bonne constance vis-à-vis de ses camarades, presque tous d’anciens soldats, de boire cette infâme spiritueux vert fabriqué par des cy-devants calottins dans une chartreuse. Gunet, qui n’avait pas le penchant pour la bouteille, avait eu du mal, d’autant plus que le sieur Denoly le guettait du coin de l’oeil ; à cela s’ajoutait la chaleur étouffante de l’auberge et le bruit des conversations. Gunet se plaisait à penser que pas loin du dépôt « La Patriote » se trouvait un contre-révolutionnaire alors que ses camarades entonnaient la Carmagnole en pointant leur sabre.

« Bon ! » avait dit le lieutenant Simon. « Il nous faut aller dans l’Ain, chez toi » dit-il en interpellant Gunet, originaire de Bourg-Régénérée. Le maréchal-des-logis Chartran, grand gaillard aux rudes moustaches, le bonnet de police toujours sur l’oeil, avait préparé les feuilles de route en recylant des documents marqués au titre des Hussards de Lauzun, qu’il avait escamoté à la mairie de Vienne.

Les 58 hommes composant le détachement s’étaient mis en route, plus proche d’une bande de routiers médivale qu’une troupe de la République. En effet, bon nombre des braves présents n’avaient d’uniformité que le désir commun de servir la Patrie. Si quelques uns avaient des mirlitons rouges et noirs, certains portaient un bonne de police souvent issus d’un société populaire et pas mal portaient un bicorne. Les surtous bleu céleste à collet et parements écarlates cotoyaient les gilets d’écurie. Gunet était un des rares à pouvoir se prévaloir d’avoir de son mirliton et sa pelisse. Sa belle pelisse rouge, bien chaude. Il avait toujours ce que le club de Bourg lui avait donné : un sarrau, un bonnet de police, un col noir, trois chemises, deux paires de souliers, deux paires de bas, un sac de toile et le pantalon de coutil qu’il portait. Il gardait ces effets précieusement car le lieutenant lui avait dit qu’il ne savait pas quand ils allaient perçevoir de l’habillement neuf.

Arrivé à la caserne de Brou, Gunet n’avait eu que le temps de revoir le beau visage de marbre de Marguerite d’Autriche, avant d’être envoyé en garnissaire vers Treffort afin de faire fabriquer des montures de sabre par quelques artisans afin de réparer et garnir des lames de sabre modèle 1786 arrivées de l’arsenal de Ville-d’arme. Gunet et Flambert, bon ardennais, étaient logés chez Bérard, ouvrier faïencier de Meillouno, qui avait été obligé de se recycler fondeur.

Et en ce 31 décembre, c’est là que se rend Gunet, transi par le froid.

 

Après avoir poussé le lourd battant de bois tenu par des fers qui servait de porte, Gunet entre dans la chaude pièce commune au mur bleu pâle éclairée par le feu de l’âtre dans lequel chauffait un gamelon. La pièce avait été bien arrangée ces derniers mois et mise à disposition par la municipalité : on y avait même rajouté une belle fenêtre à meneaux, venant des ruines du château. La nuit était tombée depuis quelques heures. « Bon sang » lui dit Flambert, « t’as pas fini de berdaler, oui ? ». « Abîle, on t’attend pour dîner », rechérit-il, « t’étais où ? ». « VinZou, j’étais à l’atelier là, afin de bien donné les cotes de la garde. J’ai dû même y laisser mon sabre pour qu’ils z'y prennent dessus » dit Gunet, en tombant son lourd manteau. « Ils vont attaquer demain de fondre les gardes de sabre dans des creusets en terre cuite » ajoute-t-il en déchaussant sa pelisse qu’il prend soin de bien pendre. Posant son mirliton, il s’assoit autour de la table de bois massif où l’attend déjà Bérard, le sourire aux lèvres. « Ce soir c’est fête » dit-il en arrangeant bien proprement sa tenue, éclairé par un chandelier de bronze, venant sans doute de l'église. « Ma femme nous a fait à préparer un bon cevis » dit Bérard en se levant pour aller à la cheminée alors que Gunet s’installe sur sa chaise de bois dont la paille craque sous son poids. « Bon Dieu, qu’est c’est c’te caboulé ? » lance Flambert dont les bornes gastronomiques se limitaient à la canada comme il disait, les pommes de terre comme disaient les instruits et la saucisse fûmée. « sais-tu », lui dit Bérard, alors que Gunet, après avoir mis ses couverts, attachait la serviette à son cou, « qu’ici, pour la Nouvelle Année, la seule vraie festivité c’est la Messe de Minuit. Mais vu que c’est y plus possible, alors on garde ce que l’on a au retour : le civier, un peu du boudin cuit avec des petites saucisses, de l’huile et du saindoux. Et c’est ce que tu vas manger ce soir » dit-il en amenant sur la table noircie par le temps, le gamelon chaud. A ce moment là, interloqué, Flambert est interpellé par Gunet qui, bien que patriote, lui dit : « viens m’aider à mettre la grouba de chalende au feu ». 

 

 

L-G Tournier-Colletta

novembre 2022

 

 

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