nouvelle : "le chasseur des Tuileries"

« Bon sang !!! » « Truchet, tu veux bien te lever et allez voir ce qui se passe, bon sang de bon sang » dit le sergent Rose derrière sa moustache rousse paille émaillée de tache de mousse de bière, tout en lui donnant un coup de pied pour réveiller le pauvre Truchet.

Pierre Jean Truchet était menuisier de son état mais depuis quelques semaines, il servait dans les chasseurs de la Garde Nationale. « C’est l’élite » lui avait lit le lieutenant Février, clerc de notaire de son état. Truchet l’avait bien cru, il avait servit quelques semaines en 1813 au dépôt du 9e de ligne et là, il avait vu ce que c’était de ne pas être l’élite, alors se retrouver dans celle-ci, pour une fois, cela ne le dérangeait pas. Tout comme cela ne le dérangeait pas qu’une fois dans sa vie, un peu de grâce se pencha sur son sort et être aux chasseurs de la Garde nationale était pour lui, fils d’un manouvrier de Mâcon, un peu de cette ascension sociale qu’avait promis la Révolution. Truchet se lève se son châlit sans trop bousculer l’Eric, un savoyard que tout le monde surnommait Tempête dans le Gobelet. Déjà habillé, il décroche sa capote de la patère, l’enfile puis la boutonne. A la lumière d’une lanterne soude, le sergent lui ajuste ses buffleteries aux épaules. « Putain, tu fais gaffe et tu viens vite nous dire Truchet, d’accord ? » lui dit le lieutenant Février, élégamment dans son bel uniforme plastronné à boutons argents. Truchet se saisit de son fusil, alors dans le râtelier, ce fusil sans véritables marquages qu’il avait racheté, « neuf d’arsenal », chez un ancien du 2e dragons.

Il faisait encore noir lorsque Truchet sort du corps de garde de la rue de l’Echelle, au nord de la cour du Carrousel dans ce palais des Tuileries, qui avait été déserté de son dernier monarque, il y a quelques heures. Depuis le départ du Roi Louis XVIII, Paris était sans gouvernement. Comme en 1789, la Loi c’était la Garde Nationale, c’était les citoyens en armes. Depuis le début de l’après-midi, des officiers avaient défilés. Vers 16 heures, un grand moustachu dans son élégant uniforme bleu de ciel soutaché d’argent était arrivé. Il était allé voir Février et ils avaient discuté. On disait que le Père La Violette était parti le matin de Fontainebleau mais que sa marche avait été ralentie par l‘arrivée de nouveaux corps qui venaient se joindre à lui sur la route.

Alors que Truchet sort dans la rue, des bruits de pas se font entendre sur le pavé : « papa, papa, attends ». Pierre Jean se retourne et voit Cédric son fils arriver en courant. « Papa, on dit que l’Ogre arrive, je veux le voir, papa ». « Voyons mon grand, je ne peux pas t’emmener », lui répond Truchet qui met la bretelle de son fusil à l’épaule. « Files, va à la maison, je dois aller au guichet voir ce qui se passe ». « Non papa » et César, ajustant son chapeau de feutre sur ses cheveux frisés, emboîte le pas de son père. « Papa. La mère Patureaux dit que son frère l’a vu hier et que les populations à chaque village l’arrêtaient, voulaient le voir, l’entendre. Moi aussi je veux le voir ». Truchet regarda ce gamin que la vie lui avait confié, en 1811, presque par hasard, lorsque sa mère, sa voisine qui lui faisait la soupe le dimanche. Blandine était une mulâtre née du mariage d’un ancien chasseur de la Légion des américains et d’une lavandière de Ménils le Montant. Tombée amoureuse d’un grand germain, elle lui avait confiée avant de partir suivre son beau moustachu du régiment de Prusse. Depuis, il élevait le gamin comme le sien, lui qui ne pouvait pas en avoir. Truchet passe une main affectueuse sur la joue : « allez viens, on va voir ». Le menuisier et son fils avancent alors prestement alors qu’un brouhaha s’élève dans la cour des Tuileries.

A 21 heures, lorsque Truchet arrive enfin au guichet et ouvre la grille d’entrée de la galerie du Louvres, il voit vaciller des lumières. Il court, César sur ses pas et, là, alors qu’il débouche vers le pavillon de Flore, il tombe sur une foule d’officiers et de magistrats qui crient leur joie alors qu’un homme porté à bout de bras est ramené au sol. Au milieu des lanternes, l’homme avance. Truchet reconnait là quelques généraux qui, il y a encore quelques jours, venaient aux Tuileries faire leurs amabilités au Désiré. « Putains d’emplumés, vous serez toujours les mêmes : premiers à boire, dernier au feu ! le peuple y peut pas compter sur vous, aristos ! » dit il à voix basse mais juste assez fort, pour que l’homme, en redingote grise s’arrête à son passage. Là, le Petit Tondu porte alors le regard sur ce garde national qui tenait par la main un petit garçon noir et là, Truchet croise le regard du Père La Violette. D’une voix à peine audible, d’un accent, Napoléon s’adresse au gamin : « ton père n’a pas tord, petit. Son constat est avisé ». Il regarde Truchet, lui rajuste le 2e bouton et lui dit doucement : « Ces gens-là n'ont ni cœur ni entrailles ; je suis moins vaincu par la fortune que par l'égoïsme et l'ingratitude de mes frères d'armes ». Là, il porte la main au visage de l’enfant, lui pince l'oreille puis entre de nouveau dans la marée humaine qui l’entoure. La foule d’officiers et de municipes passent, des ordres fusent et Truchet reste là, sans bouger quelques instants tenant la main à César.

De retour au poste, vide, Pierre Jean s’assoit et retire son 2e bouton pour le mettre dans une petite boîte qu’il fabriquera avec soin, avec César pour qu’il le garde et après ses enfants.

C’était le 20 mars 1815. Et ça, Truchet allait s’en souvenir toute sa vie !

 

L-G Tournier-Colleta

 

Octobre 2022 

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