nouvelle : le gros chat blanc du 8e

Cela faisait deux heures qu’Emile était assit là, sur le muret de pierres sèches à regarder le sol, le gros chat blanc sur ses genoux. Le sol était encore humide de l’orage du jour précédent mais un soleil chaleureux se levait.

Emile était arrivé là, dans ce village du Vaucluse, avec son gros chat blanc, il y a déjà six ans.

C’est lorsqu’il était parti du cantonnement de l’Ain, qu’il avait récupéré ce petit chat blanc, dans une ferme des environs de Pouillat, où une mégère lui avait donné : « Si vous ne le prenez pas, hussard, il se fera crever » lui avait dit la bonne femme, les mains sur les hanches, sous l’avancée du toit de sa ferme. Emile descend de son cheval, sous le regard rieur du brigadier Hubert. « Je le prend votre chat, votre papouillat » lui répond Emile hilare. Regardant la bonne tête du miron et son poil blanc, il le tend vers Hubert et dit «  il s’apellera Frimairus », alors que nous étions en juin. Le minet était plein de ces puces noires qui courraient sous son petit pelage blanc mais au bout de quelques jours, remis sur pied par le maréchal vétérinaire, la vermine avait disparu : le petit chat blanc s’était avéré solide et surtout effronté : il n’avait pas peur, même du chien de la Cabotte, la vivandière de la 2e compagnie du 1er bataillon du 101e de ligne.

Blanc, le chat en l’était pas vraiment, il avait des taches marron pales sur la tête et le dos, mais dans l’escadron tout le monde l’appelait le chat blanc. Pour la compagnie, il était devenu la mascotte et au bivouac, tout le monde lui donnait un bout de gras et recevait en retour un ronronnement contre un amas de caresse.

Puis, fin 1805, Emile, avec le 8e hussards était parti à l’Est ; le chat blanc le suivant, toujours. Il avait un peu miaré lorsqu’il avait fallu le mettre dans les fourgons du régiment, afin de rallier plus vite les plaines de Prague. Mais le soir, autour du feu, Frimairus ne manquait jamais de venir se blotir contre Emile puis de le regarder se réveiller le matin en ronronnant pour attendre sa caresse et son repas qui souvent, en campagne, dans cette Pologne, comme la troupe, se limitait à de la patate que le chat, contre toute attente, adorait, surtout frit, sous les amusements de la compagnie.

Un matin enneigé de 1806, le brigadier-chef De Monry, qui avait été muté du 1er chasseurs d’où il avait été cassé pour mauvais comportement, s’approche et frappe le chat blanc. « Putain de greffier, fiche le camp ! ». « Lorsque tu traînes vers nous, tu mets tes poils de partout et je suis obligé de brosser mon habit à longueur de temps » dit-il alors qu’Emile se lève, la main sur la garde de son sabre an IV. « Hola, le bourgeois, calmes tes ardeurs et laisses mon chat tranquille » lui répond Emile alors que les hussards se lèvent pour lui retenir le bras. Il faut dire que De Monry avait ramené cet habit du 1er chasseurs et qu’il se pavanait avec dans les garnisons pour faire son gourgandin alors que les autres avaient le dolman vert à collet et parement rouges. Frimairus, avait bien compris, et lorsque cela était possible, il en manquait pas de dormir dessus. Quoiqu’il en soit, ce soir là, sous les coups de ce con, le chat s’était enfui et lorsqu’Emile a du partir en patrouille, le chat blanc n‘était toujours pas revenu : « putain de merde », dit il à la Gaité, en montant son cheval, « regardes, s’il te plait, si tu vois mon chat, il est encore jeune et je ne voudrai pas qu’il lui arrive malheur ». « Ne te fais pas de mauvais sang Emile », lui répond la cantinière, « ton chat ne craint rien, il est plus malin de que toi ». Quelques temps après, le gros De Monry prenait un coup de sabre, lui amputant des doigts de sa main, de trois prussiens, sans qu’aucun cavalier de la compagnie de bouge pour le secourir puis il avait été muté au 12e chasseurs.

De retour de patrouille, après s’être un peu brosser les côtes avec des russes, le chat blanc était de retour. « Regardes l’Emile, ton chat est là » dit en riant le hussard Faure tout en désignant du doigt, une grosse tête velue. Frimairus était sur la fenêtre du cantonnement, assis sous la neige à attendre. Lorsqu’Emile lui ouvre l’huis, le chat entre en miaulant et donne un coup de sa tête pour recevoir une caresse. Dès lors, chaque fois qu’Emile rentrait, le chat venait le voir pour attendre sa caresse ; le soir, il se mettait dans la couverte et le matin, il regardait Emile en ronronnant jusqu’à ce qu’il se lève ; ainsi allait la vie d’Emile à l’escadron, malgré les guerres et les épreuves : Frimairus était un repère et un bonheur.

En 1812, Emile obtient son congé. De retour à l’escadron, il rend au fourrier son équipement, son armement et son uniforme. « Té, Emile, parce que tu as été bon soldat, le capitaine t’accorde le droit d’emmener ta pelisse et ton bonnet de police », lui dit se dernier en lui mettant les deux effets de côté. « N’oublies pas ton gros chat blanc », rajoute-t-il en souriant. « Ca ne manquera pas mon vieux » lui dit Emile, « qui prendra soin de moi et me donnera chaud ? La veuve d’un rentier ? » rajoute-t-il en chaussant la pelisse et attrapant son chat.

Emile parvient à acheter cette petite ferme, au soleil, bordé par un muret où se trouvait le four banal. Là, il faisait de quoi mettre dans sa popote, lisait beaucoup et prenait le temps de regarder son vieux compagnon. Le gros chat blanc était devenu aussi casanier, dormant au bord de la fenêtre et attendant à chaque retour d’Emile, sa caresse, après son coup de tête et son miaulement. Ainsi va la vie, Emile caressant le Frimairus dès que cela était possible, afin de sentir son poil doux son sa main, encore une fois, et entendre le ronronnement rassurant du vieux matou. Car il savait que comme toute chose cela ne durerait pas. « Mais cela pouvait encore durer un peu, non, mon vieux ronronnier ? » se demandait souvent l’ancien hussard en regardant la grosse tête de son chat au nez rose. Sauf que ce matin, à 8h 50, le bonheur prit fin.

Aujourd’hui le gros chat blanc était mort, Emile allait désormais avoir froid.

 

L.G. Tournier-Colleta

 

4 novembre 2022

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