1812 : coup de chaud à Lons

 

  « Putain de merde, foutons le camp » gueule Désiré Perrard, tenant son sabre an XI, en sortant rapidement du tribunal de Lons, sa sabretache battant ses bottes à hautes tige. « Foutre, je comprend mieux comment le Pancrance Mayet s’est fait la belle des geôles de Beaune en 1811 » lance-t-il tout de trac en remettant son shako au gendarme qui lui aussi sortait, presque affolé du tribunal.

Il faut dire qu’il y avait de quoi être affolé, même pour un gendarme ! Pierre Marie Pernet leur avait couru après durant des semaines, à la bande au Pancrace Mayet. Et cela n’avait pas été simple, car le bourge, comme disait alors un vieux de Marboz : « il attaquait les riches pour donner aux pauvres », dans les bois de Fougemagne, entre Beaupont et Coligny. Donc les gens se gardaient bien de parler de la bande de Pancrace Mayet, surtout aux gendarmes. Le bougre était alors un roi dans sa terre de Bresse dont il était natif. A cela le fait que certains l’appelait Mayet et pas Mayer. Le Pancrace c’était déjà fait la malle du bagne de Toulon, en juin 1810, et il avait été arrêté en 1811 en Saône et Loire. Pour bouger les locaux, il avait fallu mettre une récompense sur la tête du Pancrace. Depuis, il pourrissait avec ses compères dans les geôles de Lons. Pourrissait ! 

En cet été de 1812, seize malfaiteurs de la bande de Pancrace Mayet comparaissent aux assises du Jura, dans la salle lambrissée du tribunal. Le gendarme Pernet, sous la chaleur excessive, assiste au procès, en grande tenue, son habit de drap de laine bleu aux parements rouges sous ses buffleteries chamois surpiquées. A ses côtés se trouve le hussard Perrard qui, de passage dans le département pour aller voir ses parents, est venu par curiosité voir le procès ; son camarade au 6e régiment, Pierre François Noé, natif de Mogneneins, dans l’Ain, lui avait parlé du brigand au grand cœur. Prudent, il avait laissé sa pelisse et ne portait que son dolman rouge à collet bleu ouvert sur son gilet : et bien lui avait pris.

Après quatre jours de procès, lorsque au milieu des odeurs nauséabonds émanant des prévenus, le président du tribunal avait commencé à dodeliner en roulant des yeux tout en se tenant la tête et en frissonnant, Perrard fait part au gendarme Pernet de ses craintes : « diantre gendarme, il va crever ton magistrat, regardes les bubons qu’il a sur sa face, ainsi que des notables là devant » dit il en montrant quelques bourgeois eux aussi mal en point. « Tu sais, j’ai vu cela en Espagne, gendarme. Des frissons, l’envie de vomir, le mal de tête et des douleurs dans les os et puis lorsque t’es bien rongé, des petites tâches rouges sur ton corps, sauf les pieds. C’est  la fièvre pourprée qu’on nous a dit ». « Bon sang hussard, arrêtes, monsieur le juge est juste mal, du fait de la vilenie des détenus et de leurs crimes. Regardes les, ils sont bien portant. Si ils avaient été malades, ils seraient tout crevards » dit doucement Pernet. Perrard, fixe le gendarme : « Y’a pas eu des prisonniers z ‘espagnols déjà malades à Beaune l’an dernier ? » demande le hussard. « et que tout le monde a faillit crever ? Je te dis que je connais ça ». Mais lorsque le juge se mit à défaillir et qu’un des bourgeois vomi, sous la risée des brigands, Perrard se lève et quitte le tribunal à toute jambe ; Pernet sur les talons tenant de raisonner le cavalier léger : « allons, allons, gardez votre calme ». Après avoir descendu les trois volées du grand escalier de pierre qui mène au tribunal, Perrard, qui en avait vu d’autre se retourne et pointe du doigt le gendarme : « Votre prison est maudite, gendarme » dit-il en pensant au massacre des jacobins burgiens en 1795. 

Quelques semaines plus tard, Perrard est au régiment, prêt à rejoindre les escadrons de guerre parti pour les steppes de Russie. Alors qu’il remet son bonnet de police sur la tête, l’étrille à la main, Huard, le vaguemestre entre à l’écurie : « Perrard, une lettre pour toi, avec le cachet de la gendarmerie » dit il en riant. « Tu as encore du laisser des ardoises que les condés te courent après ! » rajoute-t-il en lui tendant le pli. « Tiens » dit le hussard jurassien, en tendant l’étrille à un jeune conscrit bien mal à l’aise dans sa tenue d’écurie. Perrard décachette le pli et le lit. « Tu as eu de la chance gendarme. Ton juge il en a claqué alors que ces bandits n’ont eu aucun dérangement dans leur santé » dit il tout haut. « Je t’avais dit que tes prisons étaient maudites » rajoute-t-il sous le regard interrogatif du jeune conscrit. 

 

L.G. Tournier-Colleta

17 janvier 2023

Écrire commentaire

Commentaires: 0