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ventôse an III : un ancien officier, secrétaire du représentant du peuple Gillet à sa soeur

En complément de Paroles de Grognards, aux éditions Gaussen, voici une nouvelle lettre inédite. Un officier de l’armée de Sambre-et-Meuse, devenu temporairement secrétaire du représentant du peuple à Maestricht, écrit à sa sœur :  

 

Arenche, 1er ventôse an III

La lettre du 17 pluviôse m’est parvenue, ma chère amie, aussi bien que les précédentes : malheureusement, celle de Bangiers ainsi que les certificats ne le sont point encore et je ne sais s’il a eu la précaution que je lui avais recommandé de les charger à la poste, je vais les y réclamer ; il m’a fallut marquer à la Commission qu’ils étaient en route et que je les enverrai aussitôt leur réception. J’ai toujours avec moi mon extrait baptistère.

Chocard a été fidèle à sa promesse de m’écrire de Fontenay, il a mieux fait encore, il a écrit de chez ces dames et, j’en ai eu de la sorte quelques nouvelles. Tu dois avoir vu dans une de mes dernières [lettres] ce que je te disais relativement à celle que tu m’as fait passer de la citoyenne Lise M. J’y réponds directement aujourd’hui et comme l’autre, je te la laisse décacheter. Tu verras que Chocard m’a fourni le moyen de tourner la chose en plaisanterie et je l’ai saisi avec empressement. Nous verrons ce qu’elle répondra à cela, car il faudra bien qu’elle réponde. J’ai écris à ce monsieur qui voulait s’en mêler aussi et comme il doit être à Nantes, je lui ai demandé de suite un certificat de ma compagnie attestant ma nomination et mes services dans ce corps, auquel j’ai tenu jusqu’au 8 nivôse dernier. Quant à l’article des appointements, tu voudras bien dire à papa que s’il connaissait certains articles de la loi du 2 thermidor, ils verront qu’à défaut de la solde présence, il faut des formalités pour toucher la solde d’absence qu’il m’est impossible de remplir et quoique l’idée d’un remboursement qui ne m’eut point gâté mais flatté au premier moment.

J’ai trop bien vu que je n’y avais aucun droit et mon emploi me met à portée d’en savoir le pour et le contre. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’on ne croirait jamais que je n’ai touché rien pendant un temps où j’étais … mais, j’étais convenu de n’en plus parler.

A la rigueur, comme secrétaire d’un représentant [du peuple], je ne tenais plus à aucun corps. C’est fini.

Je n’oublierai point vos commissions, sans rien assurer cependant. Tu ne m’as pas assez détaillé celle pour [les] dentelles. Dis-moi la quantité d’aulnes, la largeur, le prix qu’elle valait autrefois, celui d’aujourd’hui, afin que ne j’aille pas être dupe, dans le cas toutefois où je trouverai une bonne occasion d’en acheter. Peut-être serait-il bon de m’envoyer un échantillon sur lequel tu me ferais les détails comparativement. Tu vois, que je ne veux rien négliger pour te rendre contente, sans promettre que des efforts cependant. Du reste, il y a encore les gants de soie et le drap. Nous verrons si cela se peut. Quant à la nouvelle commission de mouchoirs, c’est une autre affaire…que ne parlait-on dans le temps propice ?

Il est bon de dire que le discrédit de nos assignats est tel dans tout ce pays (et la forte contribution qu’on leur demande en numéraire y contribue assez) qu’ils aiment mieux garder leurs marchandises que de les vendre, ne trouvant rien après pour placer leurs fonds, qu’ils les mettent non seulement à un prix excessif mais même qu’ils ne fabriquent pas les objets recherchés. Les mouchoirs du n°2 par exemple : que j’ai eu à 35 livres, ils ont doublé et encore on n’en trouve pas.

Dis-moi donc si l’on voudra donner un prix qui passe peut-être celui de Partis, dans le cas où je réussirai alors à en réunir six où une partie du nombre. Je t’avoue cependant qu’il m’est bien dur d’offrir pareils difficultés lorsque je voudrais si fort obliger ces dames, lorsque je désirerai tant leur donner une preuve de zèle et de soins. Vous ne m’avez pas dit leurs noms, mais je suppose bien que ce sont celles que vous voyez le plus souvent et que je connaissais aussi le plus.

Exprimez leur, en rendant compte du fait, combien je suis fâché de n’être point au mois [de] frimaire passé.

Tu sais à présenter et vous aviez fort bien vu que le citoyen Gillet[1] ne partant qu’à la fin de sa mission, le domestique ne me remettrait le paquet que bien tard. Ce sera Palustre[2] qui en sera chargé.

Je ne manquerai pas d’écrire à Marchand au sujet de ce que papa m’a dit. J’aurai aussi du thé en Hollande. Je suis sur de maintenant trouver des occasions pour y aller, si mes fonctions le permettent ou cessent. Robert, comme je crois vous en avoir parlé, est maintenant près du représentant du peuple Alquier et il pourra m’envoyer un passeport où m’être utile d’ailleurs si les circonstances l’exigent. Ce digne ami s’est détourné de son chemin pour Amsterdam, en venant à Maestricht, exprès pour m’y voir, quinze jours au plus après mon départ. Mais nous nous reverrons. Je ne suis nullement inquiet, cependant, je voudrais être au mois [de] germinal, ce n’est qu’à cette époque, au plus tôt, que je saurai à quoi m’en tenir.

J’ai fait part aux dames de la maison que j’habite, de tout ce que vous leur dites d’honnête et d’agréable. Elles vous rendent le réciproque : elles ont paru très sensibles à cette marque d’attention et la mère me charge de vous dire qu’elle sait apprécier le plaisir des parents en apprenant le bien être des enfants qu’ils aiment et qu’elle est toujours dirigée par ce sentiment.

Je suis bien aise que tu ais de l’eau de Cologne. Je vous félicite des plaisirs que vous goûtés. Continues à m’en parler, je les partage.

Tu ne m’as point parlé, je crois, où je l’ai oublié, de la parisienne mr et mme Martin, c’est sans doute même chose.

Adieu, mille choses à mademoiselle de Neuville.

J’embrasse papa et Annette

 



[1] Pierre Mathurin Gillet, né le 28 juin 1762 à Lanrelas près de Broons. Avocat à Rochefort-en-Terre. Rallié aux idées révolutionnaires, il est élu membre de l'administration du département du Morbihan en 1790. Le 5 septembre 1791 Gillet est élu deuxième député suppléant à l'Assemblée législative. Il est nommé procureur-général-syndic du département. Le 9 septembre 1792 il est élu député du Morbihan à la Convention. Modéré, il siège avec la Plaine tout en ayant certaines accointances avec la Gironde. Au procès de Louis XVI, il rejette l'appel au peuple puis choisit de voter la détention jusqu'à la paix. Gillet est envoyé en mission dans les départements de l'Ouest au printemps 1793. Il destitue des administrateurs et fait arrêter des juges. De Lorient où il se trouve, il s'oppose aux journées du 31 mai et du 2 juin 1793 mais ne signe pas la pétition de protestation, ce qui lui permet d'échapper à l'arrestation. En juin, il se trouve à Nantes avec Merlin de Douai lorsque les Vendéens assiègent la cité. Après la levée du siège, Gillet destitue le général Beysser puis réclame la venue de Jean-Baptiste Carrier comme représentant en mission. En 1794 il est attaché à l'Armée de Sambre et Meuse et il participa aux stratégies militaires, le 26 Juin 1794 il est présent à la bataille de Fleurus. Thermidorien, en 1795 il est membre du Comité du Salut Public et le 1er Prairial An III, il participe à la répression des émeutes. Il sera réélu député mais il meurt à 33 ans quelques jours après sa réélection épuisé par trois années de service.

[2] Membre de la commission de Niort et de Fontenay.

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